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Les services d’étalage des grands magasins parisiens

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29 mars 2024

Ce deuxième billet fait suite à celui consacré aux origines de l’art commercial et s’insère dans le cycle relatif à l’art de la devanture en France aux XIXe et XXe siècles. Il aborde la question des services (ou studios) d’étalage des grands magasins qui emploient fréquemment les étalagistes pendant l’entre-deux-guerres, alors que d’autres sont indépendants et interviennent ponctuellement auprès de commerçants-détaillants.

Vitrines de jouets, magasins du Louvre, 17/12/31, Agence Rol

Pendant l’entre-deux-guerres, à l’aune de la reconnaissance et de la professionnalisation de l’étalagisme, les services d’étalage se multiplient dans les grands magasins de la capitale. Les étalages font alors partie intégrante des stratégies commerciales et deviennent un poste de dépenses des « plus considérables » comme en témoigne la Revue internationale de l’étalage dans son numéro de septembre 1923.

Dédiés à la scénographie des vitrines, les studios sont organisés sous la direction d’un chef-étalagiste, recruté parmi les sous-ordres après plusieurs années d’expérience, et placé à la tête d’une équipe polyvalente. Dans la chronique de l’Amicale des étalagistes de France (AEF) qu’il rédige en septembre 1931, Hippolyte Glévéo, étalagiste influent, précise ainsi que dans un magasin important de détail, le service des étalages est généralement composé d’une foule de collaborateurs :

Hippolyte Glévéo, « L’étiqueteur », Revue internationale de l’étalage, no 9, septembre 1931

En ce sens, il considère que ces services démontrent « une petite application du Taylorisme » où les différents postes de travail d’exécution sont répartis selon une division horizontale entre les membres du personnel placés, selon une division verticale, sous les ordres du chef-étalagiste qui se charge, quant à lui, de la conception, et ce dans le but de faire croître la productivité et le rendement des étalages.

« Maître absolu » de son service, le chef-étalagiste est, en effet, responsable d’un certain nombre de tâches pour lesquelles il est grassement rémunéré :

Hippolyte Glévéo, « L’étalage moderne », Revue internationale de l’étalage, no 9, septembre 1923

Et en tant qu’architecte, celui-ci dispose d’un plan de chaque vitrine sur lequel sont mentionnés les articles présentés pour répondre, à chaque instant, à toute demande de la clientèle. De plus, il est responsable d’un budget de dépenses annuelles dont il fractionne les sommes « par stades bien arrêtés et réglés par le calendrier des étalages ». Mais sa tâche majeure, « la plus ingrate », est l’imagination. S’il délègue une bonne partie des étapes d’exécution d’un étalage, il doit quotidiennement la mobiliser pour « composer huit ou dix étalages chaque semaine, huit ou dix vitrines », même entre trente et quarante de toutes les dimensions selon la taille de la devanture du magasin. Aussi, pour faire « germer [d]es conceptions nouvelles » en un temps très court et ne jamais se répéter pour ne pas lasser le public, Glévéo lui recommande de se munir d’un carnet dans lequel croquer immédiatement ses inspirations et éviter qu’elles lui échappent (Revue internationale de l’étalage, no 9, septembre 1923, p. 9).

Les chefs-étalagistes des grands magasins parisiens comptent parmi les plus importants de l’entre-deux-guerres. Actifs dans leur communauté de métier, la majorité d'entre eux adhère à l’AEF ou à la Fédération des étalagistes de France (FEF). Dans leurs rangs, se trouvent notamment Fonck, d’abord chef-étalagiste des Galeries Lafayette avant d’entrer, au début des années trente, aux Trois Quartiers, Roux au Printemps, Angelo Manéra aux Grands magasins du Louvre, Pasquet, qui succède à Fonck aux Trois Quartiers en 1935, Émile-Louis Borne au Bon Marché, Tarral au Bazar de l’Hôtel-de-Ville et et Marcel Robert à la Samaritaine.

Étalage « Le rêve rose, le rêve bleu », Aux Galeries Lafayette, Paris, Revue internationale de l’étalage, no 8, août 1935

Le compte-rendu de la réunion de l’AEF du 28 juillet 1935, paru dans la Revue internationale de l’étalage d’août 1935, s’accompagne de photographies de vitrines réalisées par les services d’étalage de certains de leurs studios, comme « Le rêve rose, le rêve bleu » des Galeries Lafayettes, les étalages de costumes de plage des Grands magasins du Louvre ou de maillots de bain du Printemps.

Manéra, chef-étalagiste renommé du studio des Grands magasins du Louvre pendant les années trente, reçoit la visite de la revue Parade alors qu’il travaille à ses prochaines présentations. Si l’on en croit les maquettes brièvement aperçues par le journaliste, celles-ci « seront comme toujours sensationnelles » (Parade, numéro 115, juillet 1936).  À titre d’exemple, il est à l’origine d’une vitrine de faux-cols et de chemises de garçonnet en 1930. Sur trois niveaux, l’étalage se compose de deux premières rangées de chemises alignées et pliées en trapèzes, au-dessus desquelles culminent quatre têtes de mannequins au long cou, disposées diagonalement les unes à côté des autres et portant de nombreux faux-cols, une cravate, un couvre-chef et de quoi fumer (Angelo Manéra, Étalages parisiens, Paris, Arts et métiers graphiques, 1949).

Petites annonces, Parade, no 126, juin 1937

À la fin de l’entre-deux-guerres, il apparaît que les services d’étalage des grands magasins ont pris une telle importance dans le milieu de l’étalagisme parisien qu’ils en deviennent un gage de compétences que les demandeurs d’emploi ne manquent pas de faire valoir dans leurs annonces. En 1937, deux décorateurs-maquettistes en recherche d’« emploi stable ou travail à forfait » mentionnent les « références de studios » dans leur demande commune de recrutement pour faire valoir leur savoir-faire (Parade, no 126, juin 1937). La réciproque est également vraie : pour faire avancer leur carrière, gagner en responsabilités et donc en rémunération, les étalagistes n’hésitent pas non plus à chercher une place au sein de ces services. En 1937, un étalagiste « connaissant [la] décoration, la lettre, étant doublé d’un bon peintre aquarelliste ayant suivi [les] Beaux-Arts » et doté de « sérieuses références » cherche une place de « chef étalagiste pour diriger [un] service d’étalage » (Revue internationale de l’étalage, no 2, février 1937). De même, en 1938, un maître étalagiste décorateur diplômé, médaillé et doté de « références de tout 1er ordre », demande aussi une « situation plus importante » dans un « service d’étalage de 30 à 35 vitrines » (Revue internationale de l’étalage, no 9, septembre 1938).

Demandes d’emplois, Revue internationale de l’étalage, no 2, février 1937

Pour aller plus loin :

Accessible sur Gallica :

Les sélections Presse par secteurs d'activité et Presse professionnelle dans Presse et revues

À consulter à la BnF :

Revue internationale de l'étalage / fondateur M.-P. Favre-Bulle ; rédacteur en chef O.-J. Gérin, Saint-Mandé ; Paris : [s.n.], 1909-[1938]
Parade / fondateur V. N. Siégel ; directeur René Herbst ; Paris : [s.n.], 1927-1953
Manéra, Angelo, Étalages parisiens, Paris, Arts et métiers graphiques, 1949

Retrouvez les autres billets de la série sur l'art de la devanture en France :

Napolitano, Camille, Aux origines d'un art commercial : l'art de la devanture en France (XIXe-XXe siècles), 2022

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