Le narcisse
« Narcisse… ce nom même est un tendre parfum » écrivait Paul Valéry. Cette plante vivace, aux propriétés narcotiques, a inspiré les mythes et les poètes, et fleurit au printemps, aux abords des cours d’eau. Laissons-nous hypnotiser un instant par sa beauté dangereuse…
Dans l’usage vernaculaire, le narcisse, blanc, est distinct de la jonquille, jaune. Dans Premières fleurs, livre de leçons de choses à colorier pour les enfants, Georges Auriol représente les deux espèces côte à côte, en les nommant « ambassadeurs du Printemps ». Mais que l’on ne s’y trompe pas ! Lorsqu’on regarde du côté des dénominations scientifiques et de la classification phylogénique, les deux fleurs relèvent du même genre : celui des Narcissus.
Appartenant à la famille des Amaryllidaceae, les narcisses sont des plantes à bulbe et à tige creuse, portant une ou plusieurs fleurs. Les pétales (périanthe) et la trompette (couronne) peuvent être de la même couleur, comme pour le Narcisse jonquille, ou de couleurs différentes, comme le Narcisse tazetta.
Joseph Redouté, Les Lilliacées, Paris, 1802
La plante tire son nom du personnage de la mythologie grecque Narcisse, fils de la nymphe Liriopé. Dans Les Métamorphoses d’Ovide, celui-ci, conscient de sa grande beauté, éconduit tous ses prétendants et prétendantes. Une des « victimes de son mépris » en vient à proférer ce souhait : « Puisse-t-il aimer à son tour, et puisse-t-il ne jamais posséder l’objet de sa tendresse ! » Le jeune Narcisse s’arrête un jour près d’une source pour se désaltérer, et tombe amoureux de son reflet. Il meurt, happé par la contemplation de sa beauté, et son corps est métamorphosé en une « fleur jaune, couronnée de feuilles blanches au milieu de sa tige ».
Le mythe de Narcisse hante nos représentations depuis lors, depuis les Ovide moralisés du Moyen-Âge jusqu’au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, dont le héros est comparé à Narcisse dès les premières pages. Mais pourquoi cette famille de fleurs printanières s’est-elle attiré une telle réputation ? Il est vrai que les narcisses poussent souvent près de l’eau, et se penchent vers la surface, comme dans le mythe. Mais on en trouve aussi dans les prairies ou les sous-bois à l’état sauvage.
Daniel Rabel, Recueil de fleurs et d'insectes dessinés et peints sur vélin, 1624.
Peut-être faut-il ajouter, pour mieux comprendre cette réputation ambiguë, que les narcisses sont généralement toxiques. Dans le Journal de chimie médicale, en 1840, le docteur Jourdain teste les propriétés émétiques du narcisse des prés. Charles Cornevin indique à son tour que les fleurs du Pseudo-narcissus ont été reconnues dangereuses, dans son traité Des plantes vénéneuses en 1887. Aujourd’hui, on sait que la plante et, surtout, son bulbe, peuvent empoisonner les chiens en promenade.
Facile à cultiver et fréquent sous nos climats, le narcisse continue cependant à fasciner par sa beauté. Des papiers dominotés du XVIIIe siècle aux fleurs élancées des artistes Art Nouveau, il peuple nos décorations et nos imaginaires.
Georges Auriol, couverture de programme du Théâtre du chat noir, 1893
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