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En vers et en musique : les trois empereurs s’affrontent à Austerlitz

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La bataille d’Austerlitz, qui s’est déroulée le 2 décembre 1805, un an jour pour jour après le sacre de Napoléon à Notre-Dame de Paris, a non seulement fait le bonheur des historiens et des hagiographes de l’Empereur, mais aussi celui des peintres, des plasticiens, et, ce qui est peut-être moins connu du grand public, des poètes, des dramaturges et des musiciens.

Affiche de Jules Jonchère pour la revue de l’année 1896 au Théâtre Déjazet (Paris) : «Le soleil d’Austerlitz»

BnF, Estampes et photographie, ENT DN-1 (JONCHERE, J.)-ROUL < Originaux >

La célébration théâtrale et musicale de la plus prestigieuse des victoires militaires de Napoléon a - pour d’évidentes raisons de propagande politique – débuté presque immédiatement après la bataille.

L’un des tout premiers à s’atteler à la tâche est le compositeur et organiste Jacques-Marie Beauvarlet-Charpentier (1766-1834), qui commet dès 1805 une Bataille d'Austerlitz, surnommée la journée des trois Empereurs, « pièce militaire et historique pour le forte-piano avec accompagnement de violon ». Après avoir débuté sa carrière sous l’Ancien Régime, Beauvarlet-Charpentier fournit force hymnes patriotiques aux Sans-culottes, pour ensuite chanter les louanges de Bonaparte. Il réalise une sorte de «fresque musicale» pour piano relatant la cérémonie du sacre en décembre 1804, qui est republiée l’année suivante avec La Bataille d’Austerlitz.


Jacques-Marie Beauvarlet-Charpentier : Cérémonie du Couronnement de sa Majesté l'Empereur des Français ! Pièce historique pour le forte piano, Paris [1804]
BnF, département de la Musique, VM12-2511

 

Le filon s’avérant porteur, Beauvarlet-Charpentier récidive en 1806 avec une Bataille d'Iéna ou La Prusse Conquise par Napoléon le Grand, également pour piano et violon.

La « concurrence » n’est pas en reste, et Louis Jadin (1768-1853), autre grand thuriféraire des hommes de pouvoir, de Louis XVI à Napoléon III, y va également de sa Grande bataille d'Austerlitz surnommée la bataille des trois empereurs, « fait historique arrangé pour le piano forte ».
Mais s’il est une institution qui, dès sa fondation par Louis XIV, est dévolue à la glorification des souverains, c’est évidemment l’Opéra. Il s’invite aux réjouissances le 4 février 1806 : le retour des troupes victorieuses est célébré à l’occasion d’une reprise des Prétendus, un opéra de Jean-Baptiste Lemoyne (musique) et de Marc-Antoine-Jacques Rochon de Chabannes créé en 1789, auquel a été ajouté un intermède, Le Retour d’Austerlitz ou La Fête de Mars. Composé par Daniel Steibelt sur un livret de Joseph Esménard, il est agrémenté d’une chorégraphie de Pierre Gardel, alors maître de ballet de la désormais Académie Impériale de Musique. Toutes les « stars » sont convoquées pour cette représentation : Étienne Lainez, le fameux ténor, la soprano Caroline Branchu, favorite présumée de Napoléon ; pour la danse, figurent notamment à l’affiche Auguste Vestris, Louis Duport et Emilie Bigottini, elle aussi fort appréciée de l’Empereur et future maîtresse du maréchal Duroc. Ce dernier participa lui-même à la bataille d’Austerlitz, à la tête d’une division de grenadiers.

 

Joseph Esménard, Daniel Steibelt, Pierre Gardel : Austerlitz, intermède, Paris, 1806
BnF, Littérature et art, YF-1388

Au-delà des parades militaires, cet Austerlitz se veut aussi une glorification de l’Empire français en devenir, dans toutes ses composantes géographiques et humaines, ainsi qu’en témoigne la surprenante troisième scène de l’ouvrage :

« Des groupes de différentes nations étrangères se forment sur le théâtre, et prennent part à la fête que les Français préparent. Deux Polonaises précèdent des Mameloucks qui sont suivis de jeunes Grecs et de femmes Musulmanes. On fait lire aux uns et aux autres l’inscription que porte un des médaillons : Bataille d’Austerlitz. A ce nom, qui semble promettre à tous les peuples de nouvelles destinées, ils témoignent par leurs gestes, toute leur admiration et la plus vive allégresse. Ils exécutent ensuite les danses gracieuses de leur patrie. Un jeune Suisse et sa femme succèdent aux Grecs et aux Sultanes. Enfin, les différens [sic] groupes se réunissent. On distingue, seulement par la variété des costumes, des Parisiens, des Mameloucks, des Grecs, des Italiens, des Espagnols, des Suisses, qui forment un chœur général. »

 


Retour des Vainqueurs d'Austerlitz, d'Yéna, d'Eylaud [sic], de Friedland, etc., etc,
A Paris chez Martinet, libraire, rue du Coq N° 15 [1806]
BnF, Estampes et photographie, RESERVE QB-201 (150)-FOL, p.40

 

Pierre Desvignes (1764-1827) choisit, en sa qualité de « Maître de Musique de la Métropole de Paris » - c’est-à-dire Maître de chapelle de Notre-Dame, selon la dénomination retenue par la loi du 15 janvier 1791 portant création des trente-trois paroisses parisiennes – d’honorer la mémoire des soldats morts au combat par un De Profundis pour soli, chœur et grand orchestre exécuté en la cathédrale de Paris en mars 1806.

 

 

 

Napoléon a manifestement apprécié le zèle de Desvignes, et finit par le nommer Maître de chapelle adjoint à la Chapelle impériale des Tuileries, créée en 1802, pour y seconder Jean-François Lesueur, l’un des auteurs de la musique jouée lors des cérémonies du sacre.
La bataille d’Austerlitz n’inspire pas seulement les musiciens, loin s’en faut. Dramaturges et poètes s’empressent tout autant de tresser des lauriers à l’Empereur et à ses généraux. Les premiers ouvrages paraissent encore avant la fin de l’année 1805, soit quelques semaines à peine après les événements :

 
Antoine de Charbonnières : La journée d’Austerlitz ou La Bataille des trois empereurs, drame historique, Paris [1805]
BnF, Littérature et art, YF-12361

 

René-Jean Durdent (1776-1819), littérateur rouennais qui a quasiment fait profession de propagandiste napoléonien, exalte – comme plus tard la Troisième République avec la colonisation – la mission civilisatrice de la Grande Armée à travers un « poëme historique en deux chants », modestement intitulé Austerlitz ou L’Europe préservée des Barbares.

 


René-Jean Durdent : Austerlitz ou L’Europe préservée des Barbares, Paris, 1806
BnF, Littérature et art, YE-20903

 

Si la cible principale de Durdent semble la Russie, Édouard Giraud, dans son Ode sur la bataille d’Austerlitz, dédiée au préfet des Deux-Sèvres, Claude François Étienne Dupin – qui avait organisé un concours de poésie pour célébrer l’événement –, semble davantage viser l’ « ennemi héréditaire » de la France :


René-Jean Durdent : Ode sur la bataille d’Austerlitz, Niort, 1806
BnF, Littérature et art, YE-2959

 

Le Vainqueur d’Austerlitz ou Le Retour du Héros, « divertissement à grand spectacle » de Frédéric Dupetit-Méré et de Laurent Augustin Pelletier de Chambure – lui-même colonel dans l’armée de Napoléon -, est d’une facture assez surprenante, qui a probablement inspiré Le Retour d’Austerlitz ou La Fête de Mars de Steibelt et Esménard. L’ouvrage, créé à Paris au Théâtre Molière, rue Saint-Martin, le 2 février 1806, s’ouvre à la manière d’une pastorale rousseauiste, sans rapport évident avec une scène de bataille :

Le Théâtre représente un Jardin délicieux ; au fond est un bosquet en forme de temple ; il est orné de quelques guirlandes de fleurs ; quelques tables sont çà et là ; autour des tables sont groupés […] quelques paysans ; au fond, d’autres groupes de villageois, les uns dansant, les autres jouant à différents jeux.

La pièce s’achève dans une tout autre ambiance, à la manière des apothéoses tant prisées à l’Opéra depuis Louis le Grand :

Tout le monde se place en tableau ; les tambours battent au champs ; une gloire descend, portant le buste de Napoléon sur un piédestal ; il est couronné par les dieux Mars et Jupiter : tous les personnages qui sont dans cette pièce le couronnent de même en chantant le chœur. Un feu d’artifice fait voir en transparent ces mots : AU VAINQUEUR D’AUSTERLITZ.

Frédéric Dupetit-Méré, Laurent Augustin Pelletier de Chambure : Le Vainqueur d’Austerlitz ou Le Retour du Héros, Paris, Locard, 1806 pp. 2, 22 [BnF, département Littérature et Art, 8-YTH-18677]
 
L’engouement pour Austerlitz ne s’arrête pas aux mois qui suivent le fait d’armes. La Monarchie de Juillet, notamment, ncourage les créations glorifiant l’événement dans le but de faire oublier autant que possible le désastre de Waterloo.
Ainsi, Auguste Le Poitevin de L'Égreville, dit Prosper 1791-1854), journaliste, dramaturge spécialisé dans les fresques historiques, collaborateur d’Honoré de Balzac, crée le 29 janvier 1837 un Austerlitz en « trois époques et huit tableaux » au Cirque Olympique :

 

Prosper Lepoitevin, Francis Cornu : Austerlitz : événements historiques en trois époques et huit tableaux,
Paris, 1837 (Le Magasin théâtral ; t. XVI)
BnF, Littérature et art, YF-449 (7)

L’ouvrage remet Austerlitz en perspective avec d’autres moments saillants de l’épopée napoléonienne ; ainsi, la seconde partie met en scène le général Kléber lors de la campagne d’Égypte, ménageant quelques tableaux « exotiques » dont le public est friand.

 


Louis Maleuvre : Austerlitz, drame de Prosper Lepoitevin, Francis Cornu et Anicet-Bourgeois :
costume de Chéri-Menau (El-Ougha), Paris, Hautecœur Martinet, 1837
BnF, Estampes et photographie, 4-ICO CIR-11
 

La Troisième République elle aussi va exploiter le filon, avec, cette fois, l’espoir de faire plus ou moins passer la «potion amère» de Sedan – le 18 juin 1815 est désormais lointain – et de restaurer la fierté nationale des Français. La musique de salon, tout particulièrement les pièces faciles pour le piano, comptent parmi les supports privilégiés pour entretenir les rêves de gloire et les ardeurs patriotiques. D’innombrables publications en témoignent. On citera ainsi (sans prétention à l’exhaustivité) :

Après la guerre de 1914-1918, ce type de production tend à disparaître plus ou moins, et c’est le cinéma, avec notamment Abel Gance puis Sacha Guitry, qui va perpétuer le souvenir napoléonien dans la culture populaire.
 

 


Gilles Borel, d’après Jacques-Marie Beauvarlet-Charpentier : 
Bataille d’Austerlitz dénommée la Journée des trois empereurs, Paris, s.d. [vers 1850].
BnF, département de la Musique, D-754

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