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La Comtesse de Ségur (1799-1874)

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On ne présente plus la Comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchine, autrice emblématique de la littérature enfantine, mais aussi figure controversée : catholique fervente, elle présente un aspect presque sadique avec ses punitions corporelles, mais elle innove grâce à sa pédagogie de la compréhension et de la bienveillance.

Portrait de Madame de Ségur en 1860, photographie, 1876

 Mais les poissons, qui ne se sentaient pas à l'aise hors de l'eau, remuaient et sautaient tant qu'ils pouvaient. Pour les faire tenir tranquilles, Sophie leur verse du sel sur le dos, sur la tête, sur la queue. En effet, ils restent immobiles ; les pauvres petits étaient morts."

Et voilà une des "bêtises" de l’héroïne de ce récit devenu un best-seller toutes catégories, Les Malheurs de Sophie, publié en 1858 chez Hachette par la Comtesse de Ségur. On y voit un style simple, facile à lire pour les jeunes gens auquel il est destiné. Mais est-il besoin de présenter cette autrice pour enfants (surtout les petits) ? Comme le disait Abel Hermant, un critique littéraire de la fin du 19e siècle :

Tout le monde, en effet, a lu [ses romans], à l'âge où l'on lit encore, qui ne passe guère seize ans. Les héros de ces belles histoires demeurent nos amis familiers, nous ne savons plus trop si nous les avons rencontrés dans un livre ou dans la vie."

Les Malheurs de Sophie, d'après la Comtesse de Ségur, illustrations de Simone d'Avène, Liège, 1935

Cette femme est l’une des écrivaines françaises les plus connues, en son temps et encore de nos jours. Même si elle n’a pas écrit de feuilletons édités dans les journaux, mais des textes paraissant directement en librairie, elle fut des plus populaires, lue par toutes les classes de la société.

Un commentateur (M. Castillan, dans 60 visages de femmes) a pu écrire, en 1957, qu'"elle eut une vie calme, toute tranquille, digne et paisible, sans incidents ni drames". Mais ce fut en fait loin d’être le cas. Sofia Fiodorovna Rostoptchina, ou Sophie Rostopchine en français, naît le 1er aout 1799 à Saint-Pétersbourg. Troisième enfant du Comte Rostopchine, elle a pour parrain le tsar Paul Ier. Sa famille appartient donc à l’élite sociale et politique de la Russie d’alors. Quand le souverain est assassiné en 1801, Sophie est envoyée à la campagne dans le domaine de son père, près de Moscou. Elle est une enfant turbulente, brimée par sa mère (qui, occasionnellement, la frappe, la prive parfois de nourriture ou l’enferme de temps en temps dans sa chambre). Elle doit supporter une morale rigoureuse inculquée par ses parents. Mais elle reçoit également l’éducation des fillettes de son temps et de son rang, privilégiant l’apprentissage des langues étrangères, notamment le français. Sa génitrice, fortement influencée par Joseph de Maistre, se tourne vers la religion romaine. Cette "conversion au catholicisme […] entraîne une démission du père demeuré fidèle à la foi orthodoxe et une sorte de délégation de pouvoir à la mère", dira un spécialiste (Neboit-Mombet) en 2005. D’ailleurs, Sophie embrassera à son tour cette nouvelle confession à 15 ans.

En 1812, lors de l’invasion napoléonienne, le Comte Rostopchine est Gouverneur de Moscou. Pour chasser les troupes napoléoniennes qui tiennent la métropole, il ordonne d’y mettre le feu. La cité brûle intensément, et Sophie dira plus tard, dans sa correspondance :"J'ai vu comme une aurore boréale sur la ville". La Grande Armée doit évacuer la localité, ce qui conduit à la désastreuse retraite de Russie. Mais les propriétaires moscovites, ayant beaucoup perdu, arrivent à faire disgracier Rostopchine, qui doit fuir, d’abord en Pologne en 1814, puis en France dès 1817.

Il fait alors venir sa famille à Paris. Là, la jeune fille s’étourdit dans les fêtes et les plaisirs de la vie de la capitale. C’est là qu’elle rencontre Eugène de Ségur, lui aussi descendant d’une illustre famille. Le couple se marie les 13 et 14 juillet 1819. Ils vont ensuite vivre au château des Nouettes, en Normandie, offert par son père à Sophie. Mais son mari est volage et désargenté : il ne trouvera un peu d’aisance qu’après 1830, quand il est nommé Pair de France. Après quelques temps de bonheur pour Sophie, Eugène la trompe sans vergogne. Ce qui ne l’empêchera pas de lui faire huit enfants ! Elle se concentre alors sur leur éducation, préférant vivre aux Nouettes que se mêler aux mondanités parisiennes. Elle subit cependant quelques aléas, comme de violentes migraines, des crises de nerfs et même des périodes d’aphasie, tout en endurant les oukases de sa belle-mère, autoritaire et intransigeante, qui se plaint notamment de n’avoir pas reçu sa dot en entier.

Nouveaux contes de fées, la Comtesse de Ségur, Paris, 1936

Après ses rejetons, c’est encore elle qui s’occupe de leurs progénitures, c’est-à-dire de ses petits-enfants. Mais à quelque chose malheur est bon : c’est en leur inventant des contes qu’elle en vient à la littérature ! A cinquante-sept ans, elle écrit un recueil d’histoires qu’elle regroupe. Lors d’une réception, elle en lit quelques-uns à un grand ami de son fils Gaston, Louis Veuillot, le célèbre polémiste catholique. C’est ce dernier qui les fera paraître chez Louis Hachette sous le titre Les Nouveaux Contes de fées (1856), qui plus est illustrés par le célèbre Gustave Doré. A cette occasion, elle fait preuve d’une volonté certaine, saupoudrée d’humour, car un supplétif de Hachette voulait changer le titre en Contes à mes petits-enfants. Dans un courrier de 1855, elle lui répond :

Je vous demande instamment de n’en rien faire et de maintenir le titre que je veux leur donner : Cinq Contes. Il pleut des Contes à mes enfants, à mes petits-enfants, à ma fille, à ma petite nièce, à mon neveu, à mon filleul, d’une Grand-mère, d’un Grand-papa, etc. Je ne veux être ni plagiaire ni doublure."

Cette première publication connaît un succès certain. Suite à des négociations entre Eugène de Ségur et Hachette, ce dernier, qui désirait avoir le monopole des œuvres de la Comtesse, accepte de lui verser directement, en accord avec son mari, les revenus tirés de ses textes. Est donc signé un contrat d’édition entre elle et Hachette le 1er septembre 1855. L’éditeur crée alors une collection qui au début lui est dédiée, la Bibliothèque rose, toujours active de nos jours. Elle y fera paraître une vingtaine de romans entre 1857 et 1872. Car la littérature pour enfants commence à préoccuper le monde de la librairie. En effet ce marché se développe rapidement et poursuit deux objectifs : le divertissement, enveloppé dans une morale chrétienne. Chez Sophie de Ségur, l’impératif de la distraction est bien présent mais celui de la dévotion est beaucoup plus faible, car elle introduit dans ses narrations, du moins à ses débuts, beaucoup d’originalité, entre simplicité rurale et joie parisienne.

Les Malheurs de Sophie, la Comtesse de Ségur, illustrés par Marie-Madeleine Franc-Nohain, Tours, 1933

Les plus connus sont bien entendu Les Malheurs de Sophie (1864), sa fiction la plus célèbre, et les deux autres titres qui peuvent lui être rattachés, dits du cycle de Fleuville (Les Petites Filles modèles, 1858, et Les Vacances, 1859). Puis viennent Les Mémoires d'un âne (1860), Les Deux Nigauds (1862), L'Auberge de l'Ange-Gardien (1863) et sa suite Le Général Dourakine (1863).

Mémoires d'un âne, la Comtesse de Ségur, Paris, 1938

En vieillissant, elle se renferme un peu sur elle-même. Dans une lettre du 15 mars 1854 adressée à un de ses enfants, elle écrit :

À quoi sert une vieille femme dans ce monde ? Une fois passée à l’état de grand’mère pour tous ses enfants, son rôle est bien fini, elle n’est indispensable à personne."

Elle devient tertiaire franciscaine, sous le nom de sœur Marie-Françoise en 1866. Son fils Gaston, entré dans les ordres, est nommé évêque et est proche des catholiques ultras, acquérant peu à peu une influence grandissante sur ses histoires. D’où le fait que les romans par la suite deviennent plus sombres, plus dévots, et peut-être moins originaux : Pauvre Blaise ! (1861), La Fortune de Gaspard (1864), Un bon petit diable (1865), Jean qui grogne et Jean qui crie (1865), Diloy le chemineau (1868), Le Mauvais Génie (1867) ou Après la pluie le beau temps (1871).

Un bon petit Diable, d'après la Comtesse de Ségur, illustré par Forest, Paris, 1938

Son mari finit par lui couper les fonds, car leur vie de couple n’en était plus vraiment une, mais il meurt en 1863. Elle renégocie à son avantage son contrat avec Hachette. Mais, à l’instigation de Gaston, et suite à une baisse importante de ses ventes, elle vend son château de Nouettes en 1872. Rapatriée à Paris dans le VIIe arrondissement, elle y décède le 9 février 1874, à 74 ans. Sur sa tombe, située dans le Morbihan, elle a fait inscrire une devise qui pourrait la résumer : "Dieu et mes enfants".

Outre ses ouvrages de fiction enfantine, elle publie quelques ouvrages d’éducation religieuse, qui montre une foi profonde : Livre de messe pour les petits enfants (1857), Evangile d’une grand’mère (1865) et Les Actes des Apôtres (1867). Mais elle écrit aussi un ouvrage à compte d’auteur en 1855 (c’est son tout premier), La Santé des enfants, et un recueil de nouvelles (Comédies et proverbes, 1866). Mais c’est surtout ses narrations qui restent.

Elles y relatent des histoires de famille, souvent déprimantes dans une société corsetée, même si la noirceur du propos est cachée dans un style parfois primesautier (elle écrit pour des enfants souvent très jeunes, et ne l’oublie pas). Le père est généralement absent (parfois c’est la mère), les mariages sont malheureux et une violence omniprésente accompagne filles et garçons, qu’ils en soient victimes ou persécuteurs. On peut avoir l’impression qu’elle utilise sa propre vie comme modèle. "A l'inverse du récit d'aventure, ouvert sur l'inconnu et l'errance, l'œuvre de la romancière enferme ses personnages dans l'espace intime de la demeure familiale dont les perturbations constituent le seul ressort du conflit dramatique.", va jusqu’à affirmer en 2003 Claudine Giacchetti. La Comtesse insiste donc sur le respect de l’ordre établi et une morale religieuse, qui est cependant plus que tempérée par la tendresse. Car c’est de celle-ci que nait l’autorité, et non de la force et de la contrainte. Ce qui est nouveau dans la littérature enfantine du Second Empire.

Le monde où évoluent les petits est rigide, car chacun est à sa place et ne peut déroger à sa classe sociale : les châtelains trônent au sommet, servis par des artisans et des domestiques. A l’autre extrémité du spectre social se trouvent les pauvres, secourus par les maîtres. Ségur peint avec réalisme son monde, celui de l’aristocratie. Les châtiments corporels y sont courants, traumatisant les enfants. Ces punitions sont montrées crûment, sans complaisance, avec un réalisme qui peut choquer, même à son époque. Peut-être l’auteur se rappelait-elle sa propre éducation malheureuse avec sa mère. En tout cas, ces châtiments sont clairement condamnés par les personnages positifs des intrigues. Dans ses textes, l’éducation est montrée comme un travail méticuleux, rigoureux, strict certes, mais fondé sur la patience, la confiance et le pardon. Mais, d’un autre côté, trop de laxisme et une défense à tout prix des enfants peuvent renverser les choses et renforcer leur immoralité, voire leur perversion future.

Les Petites Filles modèles, d'après la Comtesse de Ségur, illustrations de Simone d'Avène, Liège, 1935

Les romans opposent des protagonistes qui s’affrontent, entre ceux qui font ce qui est juste, et les autres, qui ne sont que cupides et malhonnêtes. Quand un petit se comporte mal, cette attitude est souvent due à une formation répressive et brutale, comme Sophie maltraitée par sa marâtre (Les Petites Filles modèles), ou des enfants trop choyés par des parents irresponsables (Pauvre Blaise, Après la pluie le beau temps). Mais rien n’est jamais perdu : des jeunes qui semblent mauvais, comme Charles dans Un bon petit diable, montrent leur générosité, quand ils sont retirés de leur environnement brutal.

Ces romans tracent également un tableau de la vie quotidienne des hobereaux de la campagne, avec une grande abondance de détails sur la vie au jour le jour et les mentalités de ces gens. L’auteur nous montre une société qui n’existe plus : présence continuelle des domestiques, vouvoiement obligatoire des parents, traitements médicaux obsolètes (saignées, cataplasmes, ou eau salée), peuples étrangers représentés par des caractéristiques caricaturales (Ecossais avares, Arabes violents, Polonais buveurs ou encore Tsiganes voleurs ou Russes knoutant leur femmes). Les noms des personnages correspondent à des gens de l’entourage de l’auteur, et laissent entendre la caractéristique de leur personnalité, positive ou négative (distingués pour les sages et sympathiques, ridicules ou négatifs pour les égoïstes et les malfaisants – Gredinet, Foubillon ou Gueusard dans Le Mauvais Génie, par exemple).

Le Mauvais Génie, la Comtesse de Ségur, Paris, 1879

On peut voir une certaine évolution dans la narration. Au départ, les textes sont originaux, passionnés, voire violents, comme le cycle de Fleurville. Puis, peu à peu, ils deviennent plus moraux, plus convenables, peut-être sous l’influence croissante de son fils Gaston, cf. Pauvre Blaise ou Un bon petit diable, dans lesquels la bonté des héros est systématiquement récompensée et les méchants invariablement punis pour leur avarice et leur malveillance. L’opposition entre le Bien et le Mal est renforcée, et l’appel à la spiritualité confère à ces histoires un caractère édifiant propre à satisfaire l’Eglise catholique.

Quand on examine son écriture, on y trouve des phrases simples, courtes, pouvant être comprises par tous les petits. Les chapitres sont brefs, les textes assez resserrés, et se lisent sans effort. Parfois même, on y trouve un procédé utilisé dans l’édition des pièces de théâtre, avec une mise en page typique de l’édition dramatique, ce qui facilite encore la lecture des jeunes.

Dans Les Malheurs de Sophie, on se trouve face, non pas à un récit construit, mais à 22 saynètes relatant chacune les bévues commises par une fillette de quatre ans, avec les conséquences douloureuses qui s’ensuivent, pour elle et les autres : brûlures, blessures, moqueries, punitions, parfois physiques toujours présentes. Sophie a déjà des défauts d’adulte (parfois coquette, gourmande, paresseuse ou menteuse), mais elle est surtout irréfléchie. "Sophie était étourdie ; elle faisait souvent sans y penser de mauvaises choses". Son imagination lui fait expérimenter par elle-même toutes les idées farfelues qui lui passent par la tête. Par exemple, elle se mouille les cheveux pour paraître plus jolie, mais "plus Sophie rougissait et baissait la tête, plus elle prenait un air embarrassé et malheureux, et plus ses cheveux ébouriffés et ses vêtements mouillés lui donnaient un air risible". C’est un personnage ambigu, désobéissant et souvent impulsif d’un côté, mais aussi de l’autre quelqu'un de touchant, curieux, inventif et rêveur.

L'Auberge de l'Ange gardien, la Comtesse de Ségur, illustré par Forest, Paris, 1938

Autre type de récit, L’Auberge de l’ange gardien, qui commence ainsi :

Il faisait froid, il faisait sombre ; la pluie tombait fine et serrée ; deux enfants dormaient au bord d'une grande route sous un vieux chêne touffu ; [un petit garçon] grelottait en dormant ; de temps en temps un frisson faisait trembler son corps ; il n'avait pour tout vêtement qu'une chemise et un pantalon à moitié usés ; sa figure exprimait la souffrance, des larmes à demi séchées se voyaient encore sur ses petites joues amaigries."

Là aussi, on trouve un personnage ambigu, Dourakine. Ce roman raconte comment deux orphelins retrouvent leur père, et de quelle manière un héros de guerre peut demander la main de sa belle. La toile de fond en est la guerre de Crimée, que Ségur dénonce avec véhémence (ses batailles-boucheries, ses épidémies, la pauvreté des militaires démobilisés sans un sou, etc.). Ce texte a une suite, Le Général Dourakine, où ce dernier est montré comme un russe indécrottable, partagé entre deux nièces, l’une, bonne catholique et pieuse, l’autre, cupide et hypocrite. Mais ce personnage est aussi bienveillant, débonnaire et pourvu d’un grand cœur.

Certaines histoires mélangent avec bonheur des thèmes chers à la Comtesse, comme la morale chrétienne et la maltraitance de l’enfance qui peut donner des résultats catastrophiques. Un bon petit diable conte ainsi comment l’orphelin Charles est malmené par sa cousine Mac’Miche, détestable et cupide, qui ne cherche qu’à s’accaparer l’héritage de l’enfant. Ainsi, les paroles de cette terrible femme :

Vous voulez donc bien à ces conditions, monsieur Old Nick, vous charger de mon vaurien ? Il est difficile ; je vous ai prévenu : on n'en vient à bout qu'en le rouant de coups."

Un bon petit Diable, d'après la Comtesse de Ségur, illustré par Forest, Paris, 1938

Le succès est grand, et continue de nos jours encore, peut-être moindre, mais la société décrite n’est plus. Plusieurs millions de volumes ont été vendus, et la Comtesse est connue dans le monde entier. Elle a été adaptée souvent au cinéma, et à la télévision. Sans compter les bandes dessinées, les pièces radiophoniques et les dessins animés inspirés de son œuvre. La critique de l’époque a été assez bonne avec elle. Quelques exemples : Le Journal pour tous, 4 janvier 1868,  : "Mme la comtesse de Ségur a dans l'esprit la pointe d’humour qu'avait son père, jointe à un talent de conteur très-remarquable". Le Figaro, 2 avril 1857 :

Ces histoires merveilleuses, que l'auteur a écrites pour ses petites-filles, se recommandent par un style clair et limpide, parfaitement accessible aux enfants. Il enveloppe, d'un bout à l'autre, une morale saine et consolante où les jeunes âmes qui s'éveillent ont la joie de voir à la fin de chaque récit la vertu triomphante et le vice puni."

Quant au critique Emile Faguet, il écrit : "Elle a su si bien conter qu'elle est morte grand'mère de tous les enfants du monde". Ou encore Louis Veuillot, grand ami de son fils : "Madame la comtesse de Ségur, entourée du joyeux et nombreux essaim de ses petits-enfants, n’a vu qu’eux et n’a écrit que pour eux".

Plus récemment, on a également Jean Renoir : "Elle m'apparut comme une sorte de Balzac de la société bien-pensante. Ses romans constituent, sous leur aimable couverture rose, le réquisitoire le plus violent, parce que non voulu, contre la grande bourgeoisie rurale", Jean Dutourd, pouvait proclamer en 1994 : "La comtesse de Ségur est le Balzac de la jeunesse. Elle a composé la Comédie enfantine en vingt volumes, qui sont tous des chefs-d’œuvre. Comme Balzac, elle écrit à la lumière de deux flambeaux qui sont la religion et la monarchie." Mais elle a eu aussi ses détracteurs. Par exemple Marguerite Yourcenar, qui disait en 1980 :

J’ai toujours détesté les livres de la comtesse de Ségur ; la Bibliothèque rose me donne encore mal au cœur quand j’en vois un exemplaire."

Ou, de façon plus modérée Simone de Beauvoir qui avouait dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée :

Maman défendait à Louise de me lire un des contes de Madame de Ségur ; il m’eût donné des cauchemars."

Cette autrice est donc très controversée. Car la Comtesse de Ségur, durant une bonne partie du 20e siècle, a souvent été considérée comme quelqu’un de cruel, amatrice de fouet, d’une éducation bornée, adepte d’une misogynie totale, catholique militante, partisane d’une société figée aux classes sociales bien étanches. Longtemps, beaucoup l’ont jugée comme une aristocrate réactionnaire et intraitable, confite en dévotion. Mais elle était une femme du 19e siècle, bien ancrée dans son temps. Ce qui n’a pas empêché son œuvre de connaître une gloire véritable. Récemment, on a fait ressortir ses qualités pédagogiques, ses observations de la vie réelle (certes de la bonne société), sa volonté d’éviter les fessées, remplacées par la douceur et la compréhension, même si elle est intransigeante sur la morale et ne laisse pas passer grand-chose. La recherche contemporaine a commencé à examiner l’écrivaine comme on le ferait de tout auteur, sans préjugés préalables. Et surtout, la Comtesse de Ségur écrit bien, même si de façon assez succincte. Ses personnages sont vivants, semblent bien réels, et sont décrits assez finement. Elle est toujours lue de nos jours, et beaucoup encore par des enfants : c’est probablement le meilleur compliment qu’on puisse lui faire.

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