La Corderie royale de Rochefort
La Corderie royale est sans conteste le bâtiment emblématique de Rochefort-sur-Mer. Elle fut le premier chantier du nouvel arsenal maritime car sans cordages, pas de navigation à voile !
Contexte historique
En 1661, lorsque Louis XIV nomma Colbert au Conseil, la Marine du roi ne comptait plus qu'une vingtaine de vaisseaux sur les soixante-trois qu'elle alignait lors de sa création par le Cardinal de Richelieu. Jusqu'alors les bateaux français étaient livrés à prix d'or par la Hollande ; or le ministre voulait augmenter les exportations et relancer le commerce maritime tout en assurant la sécurité des navires marchands, objets de fréquentes attaques corsaires. Il était donc nécessaire de reconstituer la flotte du Ponant en lui trouvant un lieu de mouillage, de refuge et d'approvisionnement sur la Côte Atlantique. C'est le site de Roca fortis que l'on choisit pour abriter le futur arsenal maritime car occupant une position médiane entre Nantes et Bordeaux à 20km à l’intérieur des terres, il bénéficie ainsi de la protection que lui offrent l'estuaire de la Charente, plusieurs îles et différentes batteries, véritable ceinture de feu, ainsi qu’un rempart entourant la ville, créée de toutes pièces pour l’occasion. La flotte connut alors un essor tel que dix ans plus tard elle se composait de 198 bâtiments de guerre. Pendant 250 ans, 550 navires de guerre sortent des chantiers navals.
L'arsenal, véritable centre névralgique, est une gigantesque manufacture conçue pour :
- construire, entretenir, réparer, armer les bateaux
- former, soigner et loger marins, ouvriers et soldats
- transporter, stocker et transformer différents matériaux en provenance d'autres régions et/ou pays
- administrer au nom du Roi
Un élément indispensable pour les vaisseaux
En effet, les cordages sont un élément indispensable de la marine à voile, qu'il s'agisse des manoeuvres dormantes servant à consolider la mâture (haubans) ou bien du gréement courant, i.e. les cordes mobiles dont la longueur varie afin de régler les voiles (drisses, écoutes). Comme le rappelle une citation en latin placée au frontispice de la Corderie de Rochefort, dont voici la traduction :
Le chanvre déguisé sous différentes formes
Compose dans ces lieux, après mille travaux,
Les cordages divers, l'âme de nos vaisseaux,
Car l'un tient en repos ces machines énormes,
L'autre à son gré les fait voltiger sur les eaux.
De plus, chaque bateau requierait une grande quantité de cordages. C'est pourquoi chaque arsenal comportait sa propre corderie, toutes construites sur le même modèle :
CORDERIE. Espèce d'attelïer ou lieu disposé d'une certaine maniére, propre & commode pour fabriquer des cables ou cordes. Dans les Villes de terre, les Corderies sont à découvert & pour l'ordinaire situées sur les remparts le long des murailles & dans les Villes maritimes ou ports de mer où il se fait des armemens considérables, ce sont des bâtimens bas, couverts , longs & étroits construits près des Arsenaux & Magasins, dans lesquels on file & l'on corde les cables, les hansiers ou aussières & toutes les autres sortes de cordages propres pour la manoeuvre des vaisseaux & bâtimens de mer.
Ce sont ces dernières corderies , qu'on appelle d'ordinaire corderies royales à cause que la plupart sont construites & entretenues aux dépens du Roi. La Corderie Royale de Rochefort est l'une des plus considérables qui soit en France.
Un bâtiment superbe mais onéreux
Colbert du Terron, cousin du ministre, est nommé intendant de la région. Tous deux supervisent le projet rochefortais. Dans son ouvrage, François Blondel, architecte de Louis XIV, revient en détail sur les nombreuses difficultés qu'il a rencontrées dès les débuts de la construction qui s'étend de 1666 à 1669 avec deux mille ouvriers sur le chantier. Car la corderie est située dans un méandre de la Charente toute proche, le sol est donc vaseux et il fallut consolider les fondations qui reposent sur une plate-forme en bois faite de madriers de chênes de 14000 m3 ; d'autre part, la façade Ouest (côté ville) a été étayée avec onze renforts.
On construit un bâtiment spécifique de 300 mètres (hors pavillons) car d'après le calcul des ingénieurs, pour obtenir un cordage à la longueur réglementaire d'une encâblure - soit presque 200 mètres d'un seul tenant - il fallait torsader les fibres de chanvre sur 300 mètres, le mouvement de torsion réduisant le cable d'un tiers. La corderie de Rochefort bat tous les records puisque elle fait 374 mètres de long avec des murs de 2 mètres d'épaisseur. De par la qualité des matériaux (pierres de taille en bossage) et l'harmonie des volumes (un pavillon à chaque extrémité et un double pavillon au centre), avec sa toiture à la Mansart dont les lucarnes sont surmontées de frontons en alternance arrondis ou triangulaires, le bâtiment est un des fleurons de l'architecture classique. L'architecte prit soin de placer les éléments de décor du côté du fleuve et donc visibles seulement par les marins. Mais l'aspect pratique ne fut pas négligé car il s'agissait d'une manufacture doublée d'un lieu de stockage pour la matière première. Au rez-de-chaussée et à un étage de combles, on trouvait différents ateliers. Tout cela explique le coût particulièrement élevé des travaux. Colbert désigna par la suite Rochefort comme "la ville d'or" et convint qu'il serait déraisonnable de réitérer une construction jugée "trop superbe" pour son usage !
La matière première de la corde
- L' agriculteur lie les bottes et les dispose en cônes dans les champs.
- la plante est ensuite passée sur un gros peigne en bois afin d'en extraire les graines
- puis c'est l'étape du "rouissage" : on place les bottes sur un radeau de bois qu'on immerge en le chargeant de pierres ou de sable pendant 8 à 10 jours. L'humidité décompose la matière qui lie les fibres entre elles et la sépare de la chènevotte (partie intérieure rigide de la tige).
- on fait sécher les bottes dans un grand four.on débarrasse la fibre de la chènevotte en écrasant la tige à l'aide d'un outil en bois avec une mâchoire articulée pour que ne subsiste que la fibre brute.
- regroupée en queue de chanvre, la filasse est conditionnée en ballots afin d'être acheminée vers les corderies par chariots ou par halage.
Différentes catégories d'ouvriers se succédaient pour transformer le chanvre en cordage :
- Les espadeurs débarrassaient les restes de chènevotte attachés à la filasse en frappant vigoureusement avec des palettes de bois sur le chanvre.
- Pour l'affinage, les peigneurs traitaient la filasse. On obtenait ainsi la fibre ultime pour la corderie mais aussi l'étoupe ( fibres courtes et déchets accrochés aux peignes) servant au calfatage des navires.
- Les fileurs plaçaient au dessus de leur ceinture un peignon (paquet de chanvre assez volumineux pour faire un fil de la longueur de l'atelier). Puis ils formaient une petite boucle avec quelques fibres et l'engageaient dans un crochet du rouet. En reculant, ils alimentaient d'une main le fil en chanvre, de l'autre régularisaient sa tension et son épaisseur. Celui-ci était enroulé sur un touret en bois.
- Les cordiers procèdaient au "commettage" en réunissant trois fils de même épaisseur et même longueur : ils obtenaient ainsi les torons qui se tordaient les uns et les autres. Cette tâche requierait un personnel doté de force physique et en nombre. Au XIXe siècle, on utlisa des machines à vapeur pour assembler les câbles.
- On procédait enfin au goudronnage car les cordages, exposés à des conditions climatiques extrêmes, devaient être imperméabilisés afin de ralentir leur vieillissement et les rendre imputrescibles. Ils étaient donc entreposés dans un espace clos et chauffé. Le goudron s'obtenait en faisant brûler lentement dans un haut fourneau des bois résineux (pins) ; un liquide gras et visqueux suintait des bûches sous l'effet de la chaleur ; on immergeait le cordage séché dans le goudron liquide et chaud, puis on l'égouttait sur un plan incliné pour le stocker et finir de le sécher dans des greniers aérés.
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