Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Deux nouveaux monotypes d’Edgar Degas dans les collections de la BnF

0
1 juin 2023

Deux monotypes acquis en décembre 2022 par le département des Estampes et de la photographie viennent compléter la collection d'estampes d'Edgar Degas conservée à la BnF, entièrement numérisée dans Gallica.

Scène nocturne, estampe (monotype) d'Edgar Degas, 1877-1880 (détail)

Les monotypes de Degas, qu’il appelle « dessins faits à l’encre grasse et imprimés» occupent une place à part au sein de son œuvre graphique, où il s’est montré « le plus libre, le plus entraîné, le plus endiablé », selon le critique Arsène Alexandre. De nature expérimentale et réservés à un cercle intime, ils ne furent découverts qu’en 1918, lors de la vente de son atelier. La volumétrie exacte de ces dessins imprimés, sans doute voisine de quatre cents pièces, est difficile à établir avec précision. En 1968, Eugenia Parry Janis en avait recensé trois-cent-vingt-et-un, en noir et en couleurs, purs et rehaussés de pastel ; cinq ans plus tard, Jean Adhémar et Françoise Cachin cataloguaient, à leur tour, deux-cent-un monotypes purs. Beaucoup ont échappé aux catalographes et sont restés inédits. C’est le cas des deux monotypes acquis en décembre 2022 par le département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France. Avant cette entrée remarquable, le département en conservait déjà huit (Torse de femme, Sortie du bain, Portrait de Marcellin Desboutin, trois paysages dont Un village dans l’Estérel en couleurs, et deux illustrations pour la Famille Cardinal de Ludovic Halévy). Les sujets respectifs des deux nouveaux monotypes, un paysage animé par un personnage assis au pied d’un arbre et une scène nocturne, n’étaient pas représentés dans les collections.

 

Le procédé du monotype se situe aux confins de l’estampe et de la peinture. Il consiste à peindre sur une plaque de métal (cuivre ou zinc) ou éventuellement de celluloïd ˗comme Degas l’a expérimenté˗, à l’aide d’encre grasse ou de peinture à l’huile. Par passage sous une presse à taille-douce, on imprime une épreuve unique. Il est parfois possible d’en obtenir une seconde beaucoup plus pâle. Degas se servait de ces tirages très pâles comme support à une mise en couleurs au pastel. Depuis Giovanni Benedetto Castiglione qui en fut un adepte au XVIIe siècle, aucun artiste ne s’était lancé avec autant de passion dans la pratique de cet art particulier. C’est à Ludovic Napoléon Lepic que revient le mérite d’avoir initié Degas et le privilège de co-signer le monotype inaugural d’une riche production. Graveur et collectionneur mais aussi éleveur de chiens, membre actif de la Société des aquafortistes, ce « drôle de pistolet » comme le considère son ami Degas, s’est attaché à renouveler l’eau-forte originale en inventant –ou croyant inventer– la technique de la gravure monotypée qu’il baptise « eau-forte mobile ». Il noircissait entièrement à l’encre d’impression une plaque gravée et faisait surgir formes et lumières à l’aide de chiffons promenés sur la matrice avant son passage sous la presse. Le processus pouvait être inlassablement recommencé donnant chaque fois naissance à une épreuve unique. En témoignent plusieurs vues du Lac de Nemi, près de Rome.

Degas, qui grave à l’eau-forte depuis 1856, dans la tradition de Rembrandt, est davantage intéressé par la multiplication des états successifs d’une même plaque, témoins des étapes de la genèse d’un motif, que par la possibilité de tirer un nombre important d’épreuves strictement identiques. À la fin des années 1870, il imprime lui-même sur sa propre presse et module à l’envi ses encrages. Ainsi le procédé de Lepic répond-il à ses curiosités techniques. Mais Degas va plus loin. Renonçant au motif gravé, il utilise la plaque de métal comme support pictural, selon deux manières différentes. La première, dite « à fond sombre », consiste à travailler en négatif, autrement dit à dessiner des blancs sur du noir, en enlevant l’encre posée sur la plaque à l’aide d’un tampon de mousseline, d’un pinceau, d’une pointe, du doigt ou de tout autre outil. La seconde technique, dite « à fond clair », consiste à dessiner de façon classique avec de l’encre plus ou moins diluée posée au pinceau sur une plaque vierge, afin d’obtenir un dessin noir sur fond blanc.

C’est ainsi qu’a été conçue la suite illustrant les nouvelles de Ludovic Halévy sur la Famille Cardinal, qui met en scène deux jeunes danseuses de l’Opéra, Pauline et Virginie, ainsi que leurs parents et leurs admirateurs. L’encre utilisée est souvent noire, parfois grise, ou encore brune (Torse de femme). D’autres monotypes sont en couleurs : exécutés dans les années 1890, à la peinture à l’huile, ce sont des paysages qui frôlent parfois l’abstraction (Un village dans l’Estérel).

Réalisé à l’encre noire, le monotype Au pied d’un arbre a été légèrement rehaussé d’une touche de pastel bleu sur la silhouette du personnage qui semble occupé à dessiner sur le motif, son canotier posé à ses pieds. Au sein du corpus des monotypes connus de Degas, le sujet est unique. Il ne décrit pas à une habitude de l’artiste, lui qui était rétif à la peinture en plein air.
 

Le sujet de la Scène nocturne est plus difficile à identifier : les trois individus représentés sont-ils assis à la table d’un café-concert qui tel celui des Ambassadeurs, sur la promenade des Champs-Elysées, accueille le public dans un jardin à l’« illumination féérique» ou sont-ils dans une voiture à cheval, en promenade au Bois de Boulogne ? Bien davantage que la restitution fidèle du motif, la matérialité des effets obtenus par le tapotement au doigt ou à la mousseline, les expansions aléatoires d’encre découvertes après le passage sous la presse, les puissants jeux de clair-obscur étaient au cœur des préoccupations de Degas dont les expérimentations en la matière ont définitivement lié son nom à l’art du monotype.
 
 

 Voir aussi

La sélection Gallica "Edgar Degas (1834-1917)" présente l'intégralité des estampes et de photographies de l'artiste conservées au département des Estampes et de la photographie.

Elle prend place au sein de la sélection "Estampe après 1800" de Gallica.

La sélection "Artistes -XIXe siècle" présente des ressources consacrées à Degas dans Gallica. 

Les billets de blog "Les carnets de Degas, pour entrer dans les arcanes de sa création artistique" et "Degas Danse Dessin : Valéry et Degas"
 

Pour aller plus loin

L'exposition "Degas en noir et blanc" sur le site Richelieu de la BnF, du 31 mai au 3 septembre 2023

Eugenia Parry Janis, Degas Monotypes (cat. exp. Fogg Art Museum, Cambridge), Cambridge, Harvard University, 1968.
 
Jean Adhémar, Françoise Cachin, Edgar Degas : gravures et monotypes, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1973.
 
Jonas Beyer, Entre dessin et estampe. Edgar Degas et la redécouverte du monotype au XIXe siècle, Dijon, Les Presses du Réel, 2017.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.