Les premiers modernistes brésiliens et la France
La BnF a le plaisir d’accueillir, le 14 janvier 2023, le club de lecture de l’Ambassade du Brésil en France, consacré à l’écrivain Antonio de Alcântara Machado. L’occasion de revenir sur l’émergence du mouvement moderniste au Brésil dans les années 1920, et sa découverte en France.
C’est un petit groupe d’artistes et d’écrivains qui, en février 1922, met en place dans un esprit ludique la Semaine d’Art moderne de São Paulo, restée dans les mémoires comme emblématique d’une nouvelle forme d’art, d’une déclaration d’indépendance artistique et littéraire concomitante avec le centenaire de l’indépendance du Brésil.
Grâce au patronage du baron du café et historien Paulo Prado, auteur d’un essai sur la tristesse brésilienne, non traduit en français à ce jour, l’avant-garde se réunit au Théâtre municipal de São Paulo pour présenter des œuvres désirant rompre avec les traditions académiques, romantiques et parnassiennes de ses prédécesseurs. Des œuvres qui puisent leur inspiration dans l’observation et la valorisation des lieux de vie tropicaux, mais aussi dans les avant-gardes européennes, comme le Surréalisme et le Futurisme. Les modernistes souhaitent échapper à une forme de provincialisme dans lequel ils se sentent enfermés du fait de leur héritage colonial. De nombreux manifestes seront publiés dans les années 20, dont le plus célèbre est le manifeste anthropophage d’Oswald de Andrade.
Parmi les membres les plus éminents de ce groupe moderniste se trouvent les écrivains Mario de Andrade, fondateur du « klaxisme », signalé dans une brève journalistique française en 1924, Oswald de Andrade, Manuel Bandeira, Menotti del Picchia, Sergio Milliet, Graça Aranha ; le sculpteur Victor Brecheret ; les peintres Anita Malfatti, Emilio di Cavalcanti et Tarsila do Amaral ; le compositeur Heitor Villa-Lobos, ainsi que le bibliothécaire et historien Rubens Borba de Moraes.
Certains d’entre eux font des voyages réguliers vers l’Europe, tels Anita Malfatti, ainsi qu’Oswald de Andrade, qui profère le 11 mai 1923 une conférence à la Sorbonne sur l’effort intellectuel du Brésil contemporain, sous le patronage de la Maison de l’Amérique latine et de l’Académie internationale des Beaux-Arts, et avec la présentation du professeur Georges Le Gentil. Heitor Villa-Lobos séjournera également à Paris la même année.
C’est lors de cette soirée que Blaise Cendrars, l’auteur de la Prose du Transsibérien, publiée en 1913, fait la connaissance d’Oswald de Andrade. Il rencontre également la peintre Tarsila do Amaral, qui forme avec Oswald de Andrade un couple surnommé « Tarsiwald ». Tous les trois sympathisent : Tarsila do Amaral illustrera les Feuilles de route de Blaise Cendrars en 1924, tandis qu’Oswald lui dédiera son recueil Pau Brasil [Bois Brésil].
Du côté des jeunes modernistes brésiliens, le nom de Cendrars n’est pas inconnu : le nom du poète suisse a en effet circulé dans les milieux de l’avant-garde au Portugal pendant la grande Guerre, grâce aux Delaunay, qui y résident alors, puis au Brésil.
Cendrars prendra plaisir à être l’hôte des modernistes brésiliens en France, et contribuera largement à leur sociabilité et à leur reconnaissance dans la capitale française. Tarsila do Amaral dira de lui :
C’est Blaise Cendrars qui m’a mis à la page, qui m’a révélé la Lutèce des artistes et des peintres ultra-modernes, ses restaurants… tel négociant de tableaux, critique d’art et biographe d’artiste comme A. Vollard.
Cendrars ne tardera pas à être invité au Brésil par Paulo Prado, dont il deviendra l'ami intime, et s’y rendra ainsi dès 1924. Très enthousiaste, il s’exalte devant les paysages et la culture brésilienne, parcourt la région du Minas Gerais avec ses amis modernistes, qui créeront brièvement une association de sauvegarde du patrimoine baroque brésilien, dont Cendrars sera partie prenante. « Brésiliens, gardez vos trésors. Ne prenez plus le bateau pour le Havre, mais le train pour le Minas », s’exclamera-t-il après le choc esthétique ressenti devant les sculptures de l’Aleijadinho.
Mario de Andrade lui fera découvrir la musique brésilienne, notamment les œuvres d'Ernesto Nazareth.
Ce séjour brésilien, écourté en raison des combats qui éclatent à São Paulo en juillet 1924, sera fécond pour Blaise Cendrars, qui écrira dès son retour un roman promis à une grande fortune littéraire, inspiré des paysages brésiliens, même si l’intrigue a lieu en Californie : L’or, publié en 1925 chez Bernard Grasset.
Cendrars contribuera à faire paraître dès 1925, en France, le recueil Pau Brésil d’Oswald de Andrade chez René Hilsum, aux Editions du Sans Pareil. Ce qui ne l’empêchera pas de se brouiller quelques temps plus tard avec l’auteur, qui le taxera, par dépit, de « pirate du lac Léman », l’accusant d’avoir une vision exotique du Brésil, faute impardonnable aux yeux d’un moderniste convaincu. Son amitié avec Paulo Prado sera en revanche plus durable, et restera emblématique des liens transatlantiques forts développés tout au long des années 20 dans les domaines intellectuelles et artistiques. Les concerts d’Heitor Villa-Lobos à Paris, dès mai 1924, puis en 1927 à la salle Gaveau, ainsi que l’exposition individuelle de Tarsila do Amaral à Paris en 1926, participeront de ces mêmes échanges féconds.
Pour aller plus loin, quelques articles du site France-Brésil :
- Blaise Cendrars, Brésil au cœur, de Michel Riaudel
- Le modernisme brésilien et la poésie francophone, de Vagner Camilo
- Un dialogue franco-brésilien : les lettres de Roger Bastide à Mario de Andrade, de Ligia Fonseca Ferreira
- Echanges de modernités, de Michel Riaudel
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