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Paul Féval (1816-1887) Episode 1, L'homme

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21 novembre 2022

Paul Féval est l’auteur qui, avec Eugène Sue et Alexandre Dumas, a littéralement inventé le roman-feuilleton, ses tics, ses lieux communs, mais aussi sa verve et sa grandeur. Avec une production fournie, des récits truculents et rythmés, son humour également, il a marqué de son empreinte la littérature française. Tout en jouant un rôle mondain et social important.

Paul Féval, photographie, Nadar

Si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi !"

Qui ne connaît cette formule, et son flamboyant créateur, le chevalier de Lagardère ? Celui-ci est, dans la culture populaire, aussi connu que d’Artagnan, Rocambole ou le Capitaine Némo. Ce personnage est le héros du Bossu ou Le Petit Parisien, roman de Paul Féval, qui, avec Alexandre Dumas, Eugène Sue et dans une moindre mesure Ponson du Terrail, a véritablement créé le roman-feuilleton et lui a donné ses lettres de noblesse. Ces "quatre mousquetaires" ont vécu à la même époque, ont écrit les mêmes types de récits et ont laissé un héritage plus ou moins prestigieux, même si leurs narrations sont hétérogènes et assez variées.

Le Journal du Dimanche publie Le Petit Parisien ou le Bossu par Paul Féval, affiche, Paris, 1865

Paul-Henry Corentin Féval naît à Rennes le 29 septembre 1816, dans une Bretagne qui va jouer un rôle important dans son œuvre. Son père est un magistrat, catholique et légitimiste, qui a cinq enfants, mais des revenus insuffisants. Le petit Paul se retrouve à 10 ans interne au Collège royal de Rennes. En 1830, lors de la Révolution qui met bas la Restauration, il se révèle monarchiste, ce qu’il restera toute sa vie, et provoque alors des rixes dans son établissement ; le proviseur l’envoie se calmer à la campagne chez son oncle. Ce séjour va profondément le marquer, car il va s’imprégner des paysages bretons, des légendes celtiques et des traditions chouannes, qui seront plus tard présentes dans son œuvre. Revenu en janvier 1831 dans son école, il obtient son baccalauréat en 1833. Puis, suivent des études de droit et un diplôme d’avocat en 1836. Cependant une plaidoirie perdue le dégoûte à jamais des tribunaux. Il quitte alors le barreau pour monter à Paris.

Au début, sa mère finance son séjour. Au bout de 18 mois d’efforts, et Paul n’ayant toujours aucun travail, elle arrête les paiements, espérant peut-être son retour. Mais le jeune homme s’obstine, préférant vivre dans une misère noire malgré quelques petits travaux ici et là, comme colleur d’affiche, ou commis chez un oncle banquier. Un contemporain, Eugène de Mirecourt, relate ce dénuement :

Sa montre, ses habits, son linge, ses livres, tout est vendu et mis en gage. Honteux de son insuccès, il n’ose pas retourner en Bretagne où sa mère le rappelle. Bien décidé à ne plus lui être à charge, il reste à Paris, dans un état de misère d’autant plus affreux, qu’il apporte à la cacher tous les soins de son orgueil."

Lui-même s’en souviendra fortement :

Ceux qui veulent embrasser la carrière des lettres doivent avoir dans les os de la moelle de lion."

Ses premiers écrits sont refusés. Il réussit finalement à entrer au Nouvelliste comme correcteur, où il publie quelques articles. Il rédige aussi des notices sous pseudonymes dans des recueils encyclopédiques et travaille à un Dictionnaire de la conversation. Si sa première nouvelle paraît en 1839, il se fait connaître par la publication dans La Revue de Paris du Club des phoques (1841). Le directeur du Courrier Français, Anténor Joly, le remarque et lui commande un roman similaire aux Mystères de Paris d’Eugène Sue, tout juste terminés avec un succès éclatant. Ce rédacteur en chef venait de faire traduire Les Mystères de Londres, d’un certain Reynolds, mais le résultat ne lui plaisait pas. Alors, le jeune Féval (il a alors 27 ans) le réécrit entièrement. Cette longue narration (du 23 novembre 1843 au 12 septembre 1844), publiée sous le pseudonyme de Sir Francis Trollop (exigé par Joly), peint un monde à la fois connu et inquiétant, représentant toutes les couches sociales, et dirigé par des puissances occultes et manipulatrices. Le retentissement de ce roman est presque aussi fort que celui des Mystères de Paris : 20 rééditions et une traduction en espagnol la même année. Ça y est : la popularité de Féval égale celle de Dumas et d’Eugène Sue !

Le Bossu de Paul Feval et Anicet Bourgeois, documents iconographiques, 1862

Tous les journaux se le disputent dorénavant, et ses textes connaissent des réussites plus ou moins marquées : Les Amours de Paris, Le Capitaine Spartacus, Les Chevaliers du Firmament ou Le Loup blanc (qui marque l’un des sommets de son œuvre). Pendant la Révolution de 1848, ce partisan de l’ordre dirige pendant quelques mois deux titres antiprogressistes, Le Bon Sens du peuple et l’Avenir national. De même, il réoriente sa production dans un sens plus neutre, vu son tempérament conservateur, de façon à éviter toute colère sociale. En 1854, il épouse la fille de son médecin, qui lui donnera huit enfants. Trois ans plus tard sort Le Bossu ou le petit Parisien, son texte de loin le plus célèbre. Sa production joue surtout sur le roman de cape et d’épée, pleine de fougue et de verve, mais il n’hésite pas à livrer des récits contemporains. Et à côté des innombrables nouvelles qu’il rédige, il édite aussi des chroniques hebdomadaires dans Paris-Journal (1868-1870). En dehors de ses textes de fiction, il rédige une Histoire des tribunaux secrets en 1851 en 8 volumes. Il sort également entre novembre 1862 et août 1863 un journal, Jean Diable, dont il rédige sous pseudonyme la plupart des articles, avec comme collaborateurs Théodore de Banville et Emile Gaboriau. En 1863, il rencontre l’anglais Charles Dickens avec lequel il noue des liens d'amitié ; il écrira d’ailleurs son oraison funèbre pour Le Gaulois.

Son activité mondaine et sociale est importante. Il préside ainsi la Société des Gens de Lettres entre 1865 et 1868, puis entre 1874 et 1876. Il remet en tant que tel un Rapport sur le progrès des lettres en 1868, dans lequel il défend le roman :

Tous les romanciers qui méritent ce nom ont raconté un chapitre de l’histoire de l’Homme, la plus utile de toutes les histoires. Il en est qui sont philosophes, légistes, critiques, voyageurs, mais ils sont tous historiens, sous peine de ne pas être. Il y a du bon et du mauvais dans leur fait : c’est la condition commune à toutes choses humaines."

Il est également Vice-Président de la Société des Auteurs dramatiques en 1872. Il travaille sérieusement à la protection des auteurs, ce qui n’est pas rien. Nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1865, et même officier de cet Ordre en 1869, sa candidature à l’Académie française est cependant rejetée par deux fois (en 1873 et 1875).

Caricature de Paul Féval pour le Panthéon Nadar, Atelier Nadar

Mais la chute du Second Empire, en 1870, coïncide avec une renommée qui s’estompe. De plus, des investissements hasardeux l’entraînent dans un véritable désastre financier. En outre, il est persuadé que la défaite française face aux Prussiens est due à l’abandon par la société des valeurs chrétiennes. Il plonge alors dans une phase totalement dévote. Féval était jusque-là un conservateur et catholique fervent. Maintenant, il sera un serviteur total de l’Eglise et il va défendre ses ministres. En 1877, il publie les Etapes d’une conversion. Ses textes suivants sont emplis d’un catéchisme extrême : Le Denier du Sacré-Cœur, Le Pèlerinage de Tours, Jésuites ! ou Les Merveilles du mont Saint Michel, qui reprend dans une perspective religieuse et édifiante le style et les thèmes des récits bretons de l’auteur. Quand ce ne sont pas des libelles de propagande pour les congrégations et les paroisses de fidèles. Pire : il réécrit une partie de ses œuvres passées pour les accorder aux dogmes de l’Eglise et aux enseignements de la papauté. Un seul exemple : dans la phrase "Depuis qu’il l’avait vue, cette Angélie, un changement s’était fait en lui" (Les Compagnons du silence) il intercale dans la nouvelle version "et que le désir d’être son époux lui emplissait le cœur". On est donc bien loin du roman d’aventures qui a fait sa gloire. Tous ces textes remaniés vont être réédités par Victor Palmé, éditeur catholique militant, et ce seront les seuls disponibles pendant un long moment, ce qui a nuit très longtemps à sa réputation.

En 1880, Paul Féval est victime d’un financier malhonnête, ce qui achève de le ruiner. Il devient sujet à des crises d’hémiplégie, et sa femme meurt en 1884. Il est alors recueilli par les frères de Saint-Jean-de-Dieu dans la capitale. Oublié, victime d’attaques neurologiques de plus en plus fréquentes qui finissent par le rendre à moitié paralysé, il meurt le 8 mars 1887 à Paris, rue Oudinot.

Jules Lermina a écrit que

M. Féval a été un des grands amuseurs de notre époque."

Ce "conteur habile, intarissable, chatoyant, capable de savoir capter et retenir le lecteur" comme l’écrira plus tard Le Figaro, a néanmoins été boudé par le monde littéraire de son temps : Edmond Biré écrivait en 1888 que

la critique pourtant […] affectait de ne pas connaitre Paul Féval, un vrai romancier celui-là, qui jetait à tous les vents du ciel, avec une prodigalité sans mesure, ses récits sans nombre, ses contes héroïques ou terribles, ses romans d’aventures, d’un entrain merveilleux, d’une ironie particulière."

Un de ses enfants, Paul Féval fils, va d’ailleurs exploiter ainsi une partie de son œuvre : La Jeunesse du Bossu (1934), Cocardasse et Passepoil (1909), Les Chevauchées de Lagardère (1909), Le Fils de Lagardère (1893, avec A. d'Orsay), Les Jumeaux de Nevers (1895, avec A. d'Orsay), Mademoiselle de Lagardère (1929), La Petite Fille du Bossu (1931). Il tirera également profit de la veine des mystères urbains anglais avec Les Bandits de Londres. Tout cela avec un certain succès.

Féval a beaucoup écrit, tant des romans (plus de soixante-dix !) que de très nombreuses nouvelles, souvent regroupées dans des recueils : Le Capitaine Spartacus, Contes de Bretagne, Les Dernières Fées, Romans enfantins, Contes de nos pères, Les Nuits de Paris, Les Drames de la mort, Douze femmes, etc. Il a également rédigé, seul ou avec d’autres, des pièces de théâtre, généralement adaptées de ses romans, comme Le Bossu : drame en cinq actes. Sans compter les articles divers et variés écrits tout au long de sa carrière. Et il a connu beaucoup de succès, n’étant pas lu par une seule tranche du lectorat : son public se retrouve dans toutes les classes sociales, dans tous les milieux, des aristocrates aux grisettes ou des ouvriers aux banquiers. Cependant sa "conversion" va l’éloigner de la ferveur populaire. Après sa mort, une partie des gens le considérait comme un romancier édifiant, mais la plupart ne se le rappelait que comme l’auteur du Bossu. Ce n’est que depuis un demi-siècle qu’on a commencé à reconsidérer l’ensemble de son œuvre. Ses rééditions commencent au début des années 1960. Les adaptations télévisées vont augmenter cette reconnaissance. Et les Bretons vont redécouvrir ses textes régionaux.

Paul Féval, dessin, Louis Lemercier de Neuville

Comme feuilletoniste, Féval est vomi par la critique de son temps : Sainte-Beuve en dit beaucoup de mal, Charles Monselet n’est pas en reste : "Féval (Paul). — La queue d'Eugène Sue et d'Alexandre Dumas, comme autrefois on disait la queue de Robespierre." ; les frères Goncourt ne sont pas tendres non plus dans leur Journal (28 janvier 1865) :

C’est un paysan breton, qui parle du nez, un paysan bourgeoisifié, logeant rue Saint-Maur Popincourt, ayant enfants, de vie réglée ; écrivant tous les jours, de huit heures à midi, faisant des feuilletons comme on vend du bois, vaniteux et humble ; au fond, dévoré du désir d’avoir du style et fort humilié de n’être pas compté comme un homme littéraire."

Même Emile Zola y va de sa pique : "M. Paul Féval […] a écrit pendant trente ans des romans feuilletons au jour le jour, sans aucune qualité de style sérieuse". Et quand on lui reconnaît des qualités, c’est avec des pincettes : ainsi Pierre Larousse :

L’imagination, la passion dominent chez lui ; son style est vif, animé, mais il ne se donne pas le temps de le châtier et peut-être manque-il de distinction."

On lui reproche de rester dans la littérature de divertissement, de s’en tenir à une forme feuilletonesque, certes enlevée, mais qui continue de jouer sur l’épique et le pathos. Et d’appliquer tous les tics du feuilleton. De cela, Féval en a lui-même conscience, et parfois même s’en amuse : "Selon notre coutume invariable, nous allons retourner en arrière.", explique-t-il ainsi dans La Fabrique de crimes. Il va cependant tenter de changer de registre, et de rédiger des livres plus intimes, où les drames intérieurs remplacent l’imagination, et l’observation sociale et l’étude de mœurs la chevauchée échevelée. On a ainsi des romans comme Aimé (1858), Le Roman de Minuit (1859), Annette Laïs (1863) ou La Province de Paris (1868-1869). Mais cela ne sert à rien. Il est toujours ramené au feuilleton.

Il a des thèmes récurrents. La chouannerie, par exemple, et plus généralement la Bretagne. Très conservateur, il prend toujours partie pour le roi et l’Eglise. Dans Les Mystères de Londres, une de ses œuvres initiales (et son premier succès), il choisit l’Irlande catholique contre l’Angleterre protestante. De même dans la Quittance de Minuit. Autre thème : la captation de fortune ou l’usurpation d’identité (souvent d’ailleurs combinées) : c’est une métaphore de l’embourgeoisement de la société, où l’argent dissout tous les liens possibles. Et il y a toujours dans ses récits des sociétés secrètes manipulant les gens, des histoires d’enquêtes, et aussi des aventures sentimentales, visant le public féminin.

Contes de Bretagne, Paul Féval, Paris, 1878

Paul Féval est un conteur-né. Il crée des décors, une action plus ou moins héroïque, de nombreux personnages qui se répartissent entre protagonistes sérieux et figures comiques. Car l’humour est toujours présent, sous une forme ou sous une autre. Il utilise souvent un comique de répétition qui rend ridicule les individus qui radotent des expressions toutes faites, ou encore un ton décalé et des digressions innombrables qui sans ralentir le rythme permettent d’écarter un trop-plein de sérieux qui pourrait devenir grandiloquent et amener à la boursouflure. Cela va même jusqu’à des romans parodiques dans leur ensemble, comme La Ville vampire ou La Fabrique de crime.

L’œuvre de Paul Féval est donc considérable, à tout point de vue. Il a marqué la littérature de son époque, et même la nôtre, avec des titres comme le Bossu, Le Loup blanc ou La Fée des Grèves, toujours disponibles. En 1984 d’ailleurs, la Société des Gens de Lettres, en son hommage, a créé le "grand prix Paul-Féval de littérature populaire" à l'initiative de Suzanne Lacaille, arrière-petite-fille de l'auteur. Comme l’a dit Charles de Spoelberch de Lovenjoul (Les Lundis d’un chercheur en 1894) :

Par son imagination fertile, la puissance de ses conceptions et l’étonnante variété de ses inspirations, il est certes de la race de l’inépuisable auteur de Monte-Cristo et des Mousquetaires, s’il n’est pas son égal. Tous deux demeureront pendant longtemps les meilleurs amuseurs des générations tristes et moroses qui leur ont succédé."

Quelques-uns de ses titres seront examinés dans un prochain billet.

Commentaires

Soumis par MOBUCHON Béatrice le 26/11/2022

Pour faire suite à votre billet sur Paul Féval:

Il est à noter que celui-ci habita un certain temps dans des locaux actuellement occupés par la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne.

ci-dessous les références de deux études disponibles sur "Persée"

J. BAUDRY
La jeunesse de Paul Féval
In: Annales de Bretagne. Tome 44, numéro 3-4, 1937. pp. 433-449.
et
In: Annales de Bretagne. Tome 45, numéro 1-2, 1938. pp. 25-39.

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