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Louis XV le mélancolique

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29 novembre 2022

L’établissement public du château de Versailles commémore en 2022 le tricentenaire du sacre de Louis XV. Celui-ci apparaît comme un monarque à la personnalité énigmatique à tendance saturnienne.

Microcosmus hypochondriacus, sive De melancholia hypochondriaca tractatus / Geiger, Malachias, 1652 (Collections de la BIU Santé)

Dès l’Antiquité grecque, Hippocrate mentionne la mélancolie comme un trouble psychique résultant d’un déséquilibre entre les quatre humeurs qui sont des liquides organiques. Dans ce cas précis, la maladie s'explique par un excès de la bile noire dans l’organisme. D’où l'étymologie du nom Melas = noir,  cholé =bile. Cette croyance perdure jusqu’à la Renaissance, réputée pour être l'âge d'or de cette pathologie. Dès la deuxième partie du XVIe siècle paraissent de nombreux traités sur cette thématique. La douleur est perçue dans sa globalité ; on ne dresse pas de frontière entre le physique et le psychique. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que les aliénistes introduisent le concept de "douleur morale", symptôme essentiel de la mélancolie.

Entre 1711 et 1712, la grande faucheuse sévit à la Cour de France et emporte les trois générations d'héritiers au trône. Avant l’âge de cinq ans, le futur Louis XV perd ses parents, ses grands-parents, son frère et ses cousins et cousines, puis en 1715 son arrière-grand-père auquel il est appelé à succéder. Dès l'âge de deux ans, sa petite enfance est ponctuée de cortèges funèbres et d'expositions mortuaires dans des appartements tendus de noir ou de violet (couleur du deuil royal) des murs aux plafonds jusqu'aux embrasures de fenêtres. La disparition prématurée de la figure maternelle l'a évidemment marqué puisqu'il aura cet étrange cri du coeur comme s'il niait en avoir jamais eu une :

Mon cousin, j'ai le malheur de n'avoir jamais su ce que c'est que de perdre une mère.

Madame la Duchesse de Vantadour [sic] : estampe / R. B del. Robert Bonnart, 16..

Lui-même ne survit à l’épidémie de rougeole que grâce à sa gouvernante Madame de Ventadour qui l'isole et s’oppose à ce qu'il soit saigné comme son frère. Très attachée à l'enfant, elle s'inquiète souvent pour lui :

 C'est un enfant qu'il faut ménager car naturellement il n'est pas gai [..] Vous vous moquerez de moi si je vous dis qu'il a des vapeurs, rien n'est pourtant plus vrai & il en a eu au berceau, de là ces airs tristes et ces besoins d'être réveillé.

 Portrait de Louis XV, en pied : estampe

Ce rapport au lugubre dès sa petite enfance est certainement à l'origine de son obsession morbide de la maladie et de la mort, le roi s'adressant alors de préférence aux vieillards et aux personnes en mauvaise santé, comme le relate un des grands mémorialistes de l'époque, le duc de Luynes : 

Le détail des maladies, des opérations, assez souvent de ce qui regarde l'anatomie, les questions sur les lieux où l'on compte se faire enterrer, sont malheureusement ses conversations trop ordinaires ; les dames même ne sont pas exemptes de ces questions. Il paraît toujours voir d'un coup d'oeil assez noir les maladies dont on lui rend compte.

En 1752, le marquis d'Argenson rapporte dans son Journal :

J'ai appris à Versailles que le Roi retombe à tous moments dans de grands accès de tristesse, et que la marquise fait de son mieux pour le dissiper, en raccourcissant les séjours et multipliant les voyages à diverses maisons.

En effet, bien qu'ayant perdu le rôle de favorite au profit de celui d'amie nécessaire, Madame de Pompadour a su garder tout son ascendant sur lui grâce à son esprit et son inventivité : elle déploie des trésors d’imagination afin de le divertir et le désennuyer.

Le marquis d'Argenson précise encore :

Le tempérament du roi n'est ni vif ni gai ; il y aurait même plutôt de l'atrabilaire ; un exercice violent et de la dissipation lui sont nécessaires. Il a assez souvent des moments de tristesse et d'une humeur qu'il faut connaître pour ne la pas choquer...

 L'attentat raté de Damiens en 1757 sur sa personne le fragilise en ravivant son angoisse de la mort :

 Oui le corps va bien, mais ceci va mal, en mettant la main à sa tête, et ceci est impossible à guérir.

 Les accès de férocité qui saisissent parfois le monarque, signes de sa nature tourmentée, choquent un contemporain Edmond Jean-François Barbier  :

Il avoit une biche, blanche qu'il avoit nourrie et élevée, laquelle ne mangeoit que de sa main, et qui aimoit fort le Roi; il l'a fait mener à la Muette, et il a dit qu'il vouloit tuer sa biche. Il l'a fait éloigner, il l'a tirée et l'a blessée. La biche est accourue sur le Roi et l'a caressé, il l'a fait remettre au loin et l'a tirée une seconde fois et tuée. On a trouvé cela bien dur. On lui conte quelque histoire pareille sur des oiseaux qu'il a.

Enfant mutique, cyclothymique, avec des épisodes de grande tristesse tout au long de son existence, Louis XV est un être profondément mélancolique hanté par la mort. On parlerait maintenant de dépression ou neurasthénie, une maladie mentale désormais prise en charge par la médecine.  
 

Pour aller plus loin 

Exposition Louis XV passions d'un roi, Château de Versailles du 18 octobre 2022 au 19 février 2023.
 

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