Des cabinets de curiosité aux premiers musées britanniques
22 novembre 2022
L’encyclopédie numérique DIGIT.EN.S portant sur les sociabilités britanniques et européennes au cours du long dix-huitième siècle sera lancée le 8 décembre prochain à Brest (projet européen RISE piloté par l’Université de Bretagne Occidentale). Des mobilités de recherche effectuées par des collègues de la BnF, notamment auprès des National Archives de Londres, ont permis la rédaction d’un certain nombre de notices liées aux sociabilités, ou encore l’exploration d’innovations numériques, dont voici un aperçu.
En Europe, dès la fin du XVIe siècle, des hommes de sciences ou des amateurs commencent à constituer des collections qu’ils rassemblent dans des meubles ou dans des pièces adaptées de leur demeure, tels les studiolo italiens ou les Wunderkammer allemands. Ces premiers cabinets de curiosité permettent d’exposer des choses rares et singulières, qui sont parfois également des objets d’étude. Végétaux, minéraux, fossiles, animaux empaillés, coquillages et insectes prennent place dans des herbiers, dans des tiroirs ou dans des vitrines, à côté d’objets archéologiques, de médailles, de camées, de pierres, d’armes ou d’œuvres d’art. Certains objets scientifiques ou ethnographiques proviennent de voyages, de même que des plantes exotiques, traduisant l’intérêt porté à la découverte du monde et à l’exploration au cours du XVIIIe siècle.
Explorations et collectes
À l’instar de grands explorateurs des siècles précédents, des navigateurs britanniques, comme Samuel Wallis ou James Cook, vont poursuivre les explorations entreprises auparavant pour s’aventurer vers le Pacifique et les Terres Australes. Le navigateur James Cook, qui a effectué trois voyages dans l’Océan Pacifique, débarquant sur la côte est de l’Australie, puis en Nouvelle-Calédonie, aux îles Sandwich et à Hawaï, a également fait le tour de l’Antarctique, contribuant à explorer des nouvelles zones terrestres et maritimes, et à renouveler l’intérêt scientifique pour les populations et la flore des territoires qu’il découvre, en Nouvelle-Zélande en 1769 et à Botany Bay en 1770, près de Sydney, puis en 1774 en Nouvelle-Calédonie et encore en 1778 à Hawaï. Lors de ces explorations, des découvertes botaniques sont réalisées par Joseph Banks, Daniel Solander et Herman Spöring, qui recueillent des échantillons de la flore australienne.
La publication du journal de l’expédition rend Cook très populaire au sein de la communauté scientifique. Recevant ses instructions de la Royal Society, Cook a pour objectif de procéder à un certain nombre d’expérimentations scientifiques, telles que par exemple l’observation du transit de Vénus, l’expérimentation de diverses recettes permettant de lutter contre le scorbut, auxquelles s’ajoute une mission plus pragmatique qui concerne la localisation et la prise de possession d’un certain nombre de territoires nouveaux avant qu’une autre nation européenne ne s’y installe, dans le but d’y établir des liens commerciaux solides et de conforter la position de la Grande-Bretagne en tant que puissance maritime et commerciale. Les expéditions de Cook sont aussi scientifiques, c'est pourquoi des savants sont présents, comme des astronomes, des naturalistes des botanistes et des ethnologues. Ceux-ci collectent des spécimens botaniques et explorent aussi dans les terres en rapportant des objets de la vie courante des indigènes rencontrés.
Les cabinets de curiosité s’enrichissent de graines colorées, de carapaces de tortues géantes, de coquillages fascinants et de spécimens empaillés, contribuant au développement d’un véritable marché de la curiosité exotique et favorisant les rencontres entre savants et collectionneurs dans l’Europe des Lumières. Des catalogues, parfois illustrés, dressent l’inventaire de ces collections rassemblées par des souverains, des aristocrates, des médecins, des botanistes, des explorateurs ou des amateurs.
L’Ashmolean Museum, premier musée britannique
Antiquaire, homme politique et fondateur de la Royal Society, Elias Ashmole était un collectionneur passionné. Ayant étudié les mathématiques et la physique, ainsi que l'astronomie, c’est en rencontrant le botaniste et collectionneur John Tradescant le jeune vers 1650 qu'il commença à étudier une collection de plantes exotiques, de spécimens de minéraux et d'autres curiosités du monde entier entre 1652 et 1659. Obtenant par legs cette collection en 1662, il prépara un catalogue des pièces de monnaie et des médailles de la collection royale à l’attention du roi. C’est en 1677 qu’il fit don à l’Université d’Oxford de la collection Tradescant, à la condition qu'un établissement convenable soit construit pour abriter le matériel et le mettre à disposition du public. L’apport de ces collections contribue à renouveler l’étude des objets antiques et permet de renouveler l’histoire de l’art, qui n’est plus seulement basée sur les textes anciens mais aussi sur les connaissances développées au contact des objets exposés. Ces nouvelles connaissances sont favorisées par le Grand Tour, durant lequel la confrontation avec des civilisations antiques et notamment la mise à jour de leurs vestiges, qui sont collectionnés et étudiés, apportent de nouvelles perspectives.
Ouvrant à Oxford en 1683, l’Ashmolean museum est le premier musée de Grande-Bretagne, comprenant des antiquités, des livres, des manuscrits, des estampes, des spécimens naturels et 9 000 pièces de monnaie et médailles. Sa mission a été définie par Elias Ashmole, qui était antiquaire, homme politique, astrologue et l’un des fondateurs de la Royal Society, dont l’ambition était de promouvoir les sciences. Ce collectionneur passionné, qui avait également acquis la collection d’objets du voyageur et botaniste John Tradescant, voulait diffuser les connaissances auprès du plus grand nombre. Le musée fut inauguré à Oxford le 24 mai 1683. Depuis 1935, le bâtiment abrite également un musée d'histoire des sciences. Situé à Beaumont Street depuis 1845, le musée a développé ses collections archéologiques et artistiques grâce à des legs.
La création du British Museum
À l’époque des Lumières, les premiers musées britanniques sont le fait d’initiatives privées. C’est bien autour d’ambitions encyclopédiques et utilitaires que les collections sont rassemblées, comme en témoigne l’initiative de Sir Hans Sloane, qui fut l’un des premiers grands collectionneurs britanniques. Ayant étudié la médecine à Paris et Montpellier, de retour en Angleterre en 1685, il fut élu membre de la Royal Society et devint le physicien de la famille royale britannique. Il voyagea en Jamaïque et fut gouverneur de l’île (1687-89), collectant et ramenant en Angleterre de nombreux spécimens de plantes et d’objets de curiosité. Nombreux étaient les « gentlemen » de la fin du XVIIe siècle, qui disposaient de « cabinets de curiosité » contenant des fossiles, des médailles et des spécimens naturels.
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, le foyer des aspirations nationales en muséologie s’oriente désormais vers Londres. S’il y avait toujours eu des collectionneurs privés dont les ambitions pouvaient supporter la comparaison avec celle de l’Ashmolean Museum d’Oxford, la collection rassemblée par Hans Sloane, développée autour d’un intérêt pour les sciences naturelles, en particulier la botanique, est à l’origine de l’institution du British Museum. Les collections de Sloane sont ainsi dominées par les spécimens naturels historiques, et complétées par des antiquités, des raretés ethnographiques, des pièces, des médailles et des œuvres d’art, auxquels s’ajoute une abondante bibliothèque de livres et de manuscrits. C’est au terme de la vie de Sloane que naîtra véritablement le British Museum. En effet, le legs de son extraordinaire collection permet la création du British Museum Act, adopté par le Parlement britannique en 1753, et du British Museum lui-même, qui ouvre en 1759.
Dès sa fondation, le musée est doté d’une charte dans laquelle figure le principe selon lequel l‘accès libre au dénommé général Repositary et aux collections qui y sont contenues, doit être donné à toutes les personnes effectuant des recherches et à tous les curieux. Néanmoins, les jours d’ouverture, les horaires d’accès étaient extrêmement réduits et l’entrée nécessitait un ticket dont il fallait faire la demande à l’avance.
L'objectif du projet DIGITENS est de construire un cadre afin de mieux appréhender les interactions, les tensions, les limites et les paradoxes propres aux modèles européens de sociabilité et d’étudier la question relative à l'émergence et la formation des modèles européens de sociabilité tout au long du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un projet européen RISE (Research and Innovation Staff Exchange) piloté par le laboratoire HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image) de l’Université de Bretagne occidentale basée à Brest qui rassemble 11 partenaires originaires de France, de Pologne, du Royaume-Uni et du Canada.
Les résultats de cette recherche collaborative, internationale et intersectorielle sera la mise en ligne de la première Encyclopédie numérique à accès ouvert de la sociabilité en Grande-Bretagne au siècle des Lumières. Cette encyclopédie numérique comportera une anthologie historique de sources textuelles ou iconographiques et proposera à un large public une cartographie des savoirs. Pour cela, des échanges de chercheurs entre les différentes institutions partenaires (The National Archives, Warwick University, Greifswald University, Kazimierz Wileki University, MacGill University, BnF) sont prévus.
Le projet DIGITENS est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°823863).
Le projet DIGITENS est financé par le programme cadre de recherche et innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (accord de subvention n°823863).
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