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La patère d’or du trésor de Rennes (1774)

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Parmi les œuvres phares conservées au département des Monnaies, médailles et antiques (anciennement Cabinet du Roi) figure une coupe évasée (patère) en or massif faisant partie d’un trésor antique découvert en mars 1774 à Rennes, par des ouvriers qui le mirent au jour dans les décombres d’une maison appartenant aux chanoines.

Vue générale de la patère (BnF, MMA, inv.56.94) accompagnée des autres objets du trésor du Chapitre de Rennes (BnF, MMA, inv.56.131 et inv.56.272)

L’ensemble était constitué, outre la patère, d’une fibule, de fragments de chaîne et de monnaies, certaines montées en pendentifs de collier. Le procureur du roi ordonna d’envoyer les objets et les monnaies à l’atelier monétaire de Nantes pour y être fondus. Mais les chanoines de Rennes, conscients de la valeur historique du trésor, le sauvèrent en l’offrant au Cabinet du roi.

 

Cette découverte apparaît d’autant plus exceptionnelle que nous n’avons que fort peu d’exemples de vaisselle d’or datant de l’Empire romain, même si le terme de « coupe » ou de « plat » ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit en effet nullement d’ustensiles utilitaires, mais d’objets d’apparats issus le plus souvent de largesses impériales envers des hauts fonctionnaires ou des officiers généraux. Dans le cas précis de la patère de Rennes, la qualité esthétique est exceptionnelle car, outre la présence de seize monnaies d’or encastrées au milieu de couronnes sur le pourtour de la coupe, le centre est occupé par une scène en relief représentant un défi entre Bacchus et Hercule, illustrant le triomphe du vin sur la force. 
Le fils de Sémélé couronné de lierre et de pampres, est assis sur son trône, au pied duquel se trouve une panthère. Le dieu tient de la main gauche son thyrse et, de la droite, lève un rhyton en forme de pavot. Il est entouré de son cortège : Silène, Pan jouant de sa flûte (syrinx), un bacchant qui souffle dans une flûte droite (aulos) ainsi que trois femmes, couronnées de feuille de vignes. Face à lui, Hercule enivré tient un canthare. Le héros se repose sur un rocher partiellement couverte de la peau du lion de Némée, auquel il s’agrippe de sa main gauche comme pour éviter sa chute. Cette scène spectaculaire est entourée d’une frise qui l’éclaire et la complète : au milieu d’un cortège de bacchants, Bacchus sur son char tiré par deux panthères triomphe d’Hercule qui le précède, complétement ivre et soutenu par deux bacchants.


Médaillon et frise de la patère de Rennes, représentant un défi entre Bacchus et Hercule

Les seize pièces d’or (aurei) ornant le pourtour de la patère alternent des effigies des empereurs de la dynastie des Antonins (Hadrien, Antonin le Pieux, Diva Faustina I, Marc Aurèle, Faustine II, Commode) avec celle des Sévères (Septime Sévère, Julia Domna, Caracalla et Géta), la monnaie la plus récente étant précisément un aureus de Géta daté de fin 208-début 209 ap. J.-C. Ce choix traduit la volonté de Septime Sévère (193-211), premier empereur romain d’origine africaine, de se présenter en héritier direct et légitime de ses prédécesseurs prestigieux, les Antonins. Dans ce contexte, le médaillon central représente le triomphe de Bacchus sur Hercule, tous deux étant les dieux protecteurs de la ville natale de Septime Sévère, Leptis Magna (dans l’actuelle Libye). La création de cet objet exceptionnel peut être située entre 209 et fin 211, date de l’assassinat de Géta par son frère aîné Caracalla qui condamna alors la mémoire de son cadet (damnatio memoriae). Passé cette date, le recours à l’image du jeune prince défunt aurait interdit l’emploi d’un aureus à son effigie.
Cette coupe est tellement exceptionnelle qu’elle constitue vraisemblablement le vestige d’un don impérial offert à un grand officier ou à un haut fonctionnaire. Le commanditaire de cet objet unique a eu accès à des aurei en état parfait de conservation et le programme iconographique, qui entremêle des portraits monétaires des Antonins et des Sévères, correspond pleinement à la volonté de Septime Sévère de se présenter en héritier légitime des Antonins. C’est donc dans l’entourage immédiat du souverain qu’il convient de situer l’origine de cette commande.


Détail de la bordure et de la frise de la patère de Rennes

Au sein du trésor, l’objet somptueux que constitue la patère fut complété par des monnaies plus récentes, constituant ainsi un ensemble qui permet de suivre l’évolution d’une grande famille de Gaule romaine, fidèle aux Sévères puis passée, après 260, aux ordres de l'empereur gallo-romain Postume (260-269). Enfin, le trésor se clôt sur un lot de quinze monnaies de l’empereur Aurélien (270-275), frappées entre 273-275 ap. J.-C. Ce terminus n’est nullement anodin car, si Aurélien rétablit au printemps 274, l’autorité de l’Empire central dans les provinces occidentales, dès 276 des incursions massives de bandes germaniques, composées essentiellement de Francs et d’Alamans, ravagèrent la majorité des régions de la Gaule. Tout indique donc que c’est à cette date que la patère, les bijoux et les monnaies furent enfouis par leurs riches propriétaires qui ne furent jamais en mesure de les récupérer.
Les tribulations de la patère ne s’arrêtèrent cependant pas là, car les objets du trésor de Rennes furent volés en 1831 en même temps que l’ensemble des monnaies et médailles d’or du Cabinet du Roi. La coupe, échappant à la refonte qui détruisit la quasi intégralité des monnaies, fut déposée par les cambrioleurs dans la Seine sous une des arches du Pont Marie, où les autorités purent cependant la récupérer sans dommage.



Vues de côté de la patère du trésor de Rennes 1774

Patère de Rennes (inv. 56.94)
Hauteur : 3,4 cm ; diamètre : 25,2 cm ; poids : 1315 g. Diamètre du médaillon central : 14 cm ; diamètre des médaillons entourant les monnaies : 3,5 cm ; diamètre des aurei : 1,9  2,0 cm ; diamètre du pied : 8,6 cm.

Ces œuvres sont exposées dans le cadre du musée de Richelieu.

Bibliographie
AVISSEAU-BROUSTET Mathilde, COLONNA Cécile. Le Luxe dans l’Antiquité : trésors de la Bibliothèque nationale de France, Gand, 2017, n° 2, p. 122-127.
FOUCHER Louis, « La patère de Rennes », Annales de Bretagne, 1986, p. 511-523.
LE GENTILHOMME Pierre, « Les aurei du trésor découvert à Rennes en 1774 : essai sur la circulation de la monnaie d’or au IIIe siècle », Revue numismatique, 1943, p. 11-43.

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