L’Atlas Miller : le monde avant Magellan
Dans cette nouvelle série de billets de blog Gallica, consacrée aux « Trésors de Richelieu », découvrez les oeuvres provenant des départements de collections spécialisées, tels que les Monnaies et médailles, les Cartes et plans, les Estampes, les Arts du spectacle ou encore les Manuscrits.
Ces œuvres sont exposées dans le cadre du musée de Richelieu.
Ce que l’on nomme aujourd’hui « Atlas Miller », est un recueil de six feuilles de vélin séparées et présentées à plat, enluminées, autrefois reliées sous forme d’atlas et réalisées à Lisbonne à la veille de la première circumnavigation terrestre accomplie par Magellan (1519-1522).
L'« Atlas Miller », du nom de son dernier propriétaire avant son acquisition par la Bibliothèque Nationale au XIXe siècle, l’helléniste et bibliothécaire Emmanuel Miller, était probablement destiné au roi du Portugal Manuel Ier (1495-1521). Passé en possession de Catherine de Médicis qui y fait ajouter ses armes après 1559, il est ensuite dispersé et demeure incomplet à ce jour, les cartes de l’Afrique n’étant pas arrivées jusqu’à nous.
Une œuvre politique
Œuvre de prestige, l’Atlas Miller est aussi une œuvre politique qui représente l’empire portugais au sommet de sa gloire. Après le traité de Tordesillas (1494), le Portugal règne sur une partie du monde élargi à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler les grandes découvertes géographiques. Il est devenu, grâce à la liaison navale avec la péninsule indienne qui contournait l’Afrique, établie par Vasco da Gama (1497-1499), la plaque tournante du commerce des épices. À cette époque, la production et la diffusion de cartes sont strictement contrôlées par les royaumes ibériques qui se livrent une âpre concurrence pour la maîtrise des voies maritimes. Les artisans cartographes les plus éminents, souvent également pilotes et fabricants d’instrument de navigation, sont eux aussi convoités par le pouvoir. Selon l’inscription portée sur la page de titre, l’atlas est exécuté en 1519 par Lopo Homem, « maître des cartes de navigation » au service du roi Manuel Ier (1495-1521) depuis 1517, qualité qui lui donnait le privilège de réaliser, corriger et contrôler tous les compas des navires royaux. Il a été aidé selon toute probabilité par son ancien maître, Pedro Reinel, et le fils de ce dernier, Jorge.
Un art prodigieux
Nulle autre œuvre cartographique ne saurait se revendiquer avec plus de force de l’« art » entendu à la fois dans un sens esthétique et technique. Roses des vents et blasons, scènes de la vie autochtone et paysages peuplés de silhouettes humaines, d’oiseaux multicolores et d’animaux sauvages, navires sillonnant les mers et vues miniatures de cités composent un décor d’une richesse peu commune, dû principalement à Antonío de Holanda, enlumineur né aux Pays-Bas et établi au Portugal, héraut d’armes à la cour du roi et virtuose de la peinture héraldique.
Bien qu’il s’agisse de cartes qui reflètent le savoir empirique des marins et des marchands, elles portent également la trace de la tradition savante héritée de Ptolémée, perceptible dans la toponymie et la mention des climats (division en latitude). L’art des cartographes se laisse ici reconnaître à la pertinence du tracé des côtés et à l’exactitude de leurs informations sur toutes les découvertes survenues de Christophe Colomb à Magellan. L’atlas couvre l’ensemble du monde alors connu, du Brésil à la mer de Chine, en passant au sud de l’Afrique. Il figure avec une densité inédite l’espace de l’Océan Indien : on y trouve la plus ancienne carte nautique de Madagascar, une représentation adéquate de Sumatra entourée d’une « multitude d’îles au nombre de 1378 », la première apparition dans la cartographie occidentale des îles à épices de l’archipel des Moluques.
Le Nouveau Monde, quant à lui, bénéficie du talent exceptionnel du miniaturiste qui peint, sur la carte qui montre le Brésil, des Indiens en train de ramasser le bois rouge qui donna son nom au pays. Le cartouche relate les premières impressions des Européens à leur sujet : « Les habitants sont foncés de peau. Sauvages, très cruels, ils se nourrissent de chair humaine. Ils sont aussi très habiles au maniement des arcs et des flèches. Dans ce pays vivent des perroquets multicolores, des oiseaux innombrables, des bêtes sauvages monstrueuses. C’est là que pousse en grande quantité l’arbre appelé brésil qui est utilisé pour teindre les étoffes de pourpre. »
En savoir plus
- Les portulans. Cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle, Monique de La Roncière, Michel Mollat du Jourdan, Paris, Nathan, 1984
- Voies océanes. Cartes marines et grandes découvertes, Mireille Pastoureau, Paris, Bibliothèque Nationale, 1992
- Nouveaux mondes, Jean-Yves Sarazin, Paris, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l’Image, 2012
- L’âge d’or des cartes marines : quand l’Europe découvrait le monde, Catherine Hofmann, Hélène Richard, Emmanuelle Vagnon (dir.), L’âge d’or des cartes marines : quand l’Europe découvrait le monde, Paris, Seuil, Bibliothèque nationale de France, 2014
Pour aller plus loin
- « L'Atlas Miller » dans la série de courts films documentaires « Au cœur des cartes » (BnF, CNRS)
- L'exposition virtuelle « L’âge d’or des cartes marines »
- Les plus beaux portulans, dans la sélections « Cartes marines sur parchemin »
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