Cléopâtre sur les monnaies grecques et romaines
Cléopâtre VII, reine d’Egypte entre 51 et 30 av. J.-C., est incontestablement un des plus illustres personnages de l’Antiquité. L’imaginaire collectif s’empare dès l’époque de cette figure devenue aujourd’hui presque mythique, en représentant son visage sur de nombreuses pièces de monnaies, dont quelques-unes sont aujourd'hui conservées au département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF.
Drachme frappée à Alexandrie en l’an 6 du règne de Cléopâtre VII, soit 47/6 av. J.-C. Droit : buste diadémé de Cléopâtre VII à droite. Revers : aigle perché sur un foudre à gauche et la légende en grec « de la reine Cléopâtre »
Sa vie mêlant intrigues politiques et séduction ainsi que sa fin tragique ont inspiré de très nombreux artistes : poètes, écrivains, peintres ou réalisateurs. Ces évocations ont amené ces auteurs à représenter Cléopâtre, la plupart du temps sous les traits d’une très belle femme dégageant une intense sensualité « orientale » (voir par exemple La mort de Cléopâtre de Jean-André Rixens,1874). Pourtant, la beauté physique de Cléopâtre est loin d’être un fait acquis à la lecture des textes anciens. D’après Plutarque, « sa beauté en elle-même n'était pas incomparable ni propre à émerveiller ceux qui la voyaient » (Plutarque, Antoine, 27, 3). Cette remarque semble corroborer les quelques représentations monétaires dont nous disposons. La souveraine d’Egypte y est figurée sous des traits assez disgracieux bien que changeants d’une série monétaire à l’autre. En effet, représenter le souverain ne signifie pas forcément restituer fidèlement ses traits. Par essence, le portrait doit porter un sens, un message qui transparaît parfois à travers les plus petits détails.
Bronze frappé à Chypre après 44 (?) av. J.-C. Droit : buste de Cléopâtre VII assimilée à Aphrodite avec un sceptre tenant dans ses bras le jeune Césarion en Eros à droite. Revers : double corne d’abondance et la légende en grec « de la reine Cléopâtre »
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b85091770
Cléopâtre ne figure que sur une petite partie des très nombreuses monnaies frappées sous son règne. Il faut rappeler qu’elle est avant tout l’héritière d’une dynastie gréco-macédonienne fondée par Ptolémée I. Entre 323 et 305 av. J.-C., ce compagnon d’Alexandre le Grand pose les bases d’un royaume centré sur l’Egypte avec Alexandrie pour capitale. Le souvenir du premier Ptolémée (tous ses successeurs portent le même nom) persiste durablement sur les monnaies d’argent frappées jusqu’au règne de Cléopâtre à travers son portrait au droit et son nom en grec au revers. Sur les monnaies de bronze figurent généralement des têtes de divinités, notamment Zeus et Isis, toujours accompagnées du nom de Ptolémée.
Tétradrachme frappé à Antioche entre environ 36 et 31 av. J.-C. Droit : buste drapé et diadémé de Cléopâtre à droite et la légende en grec « la reine Cléopâtre, nouvelle déesse ». Revers : tête à droite de Marc Antoine et la légende en grec « Antoine, autocrator, triumvir ».
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84790743
A l’exception de quelques rares drachmes frappées à Alexandrie dès le début des années 40 av. J.-C., le visage et le nom de Cléopâtre n’apparaissent sur les monnaies que dans la seconde partie de son règne. Même si ces portraits accompagnent parfois des types monétaires ptolémaïques bien connus (aigle sur un foudre ; corne d’abondance) cette pratique demeure inhabituelle au regard des traditions monétaires du royaume. Dans la plupart des cas, l’apposition de la tête de la reine témoigne d’un choix assumé des autorités. En Égypte, l’émission de pièces de bronze avec le portrait de Cléopâtre coïncide avec une restauration de ce monnayage. La finesse des traits en même temps que le soin avec lequel ces numéraires sont produits tranchent résolument avec les pratiques des décennies antérieures. Il paraît évident que ces changements sont le fruit de consignes strictes transmises aux graveurs et ouvriers de l’atelier d’Alexandrie.
Denier frappé en Orient (Arménie ?) entre 34 et 32 av. J.-C. Droit : buste drapé et diadémé de Cléopâtre à droite, avec une proue sous le buste et la légende en latin « de Cléopâtre, reine des rois (qui sont) fils de rois ». Revers : tête de Marc Antoine à droite, derrière une tiare arménienne et la légende en latin « Antoine ; l’Arménie vaincue ». Collection d’Ailly, 4283
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b104530044
Cléopâtre règne sur un royaume dont elle cherche à assurer l’indépendance dans un monde méditerranéen à présent très largement passé sous domination romaine. Pour cela, elle s’allie à des imperatores romains tels Jules César et surtout Marc Antoine. Dans la plupart des cas, le portrait de la reine apparaît soit en lien avec un de ces personnages soit en conséquence de leurs actions. À Chypre, la reine apparaît avec le fils qu’elle eut de César (Césarion) et s’assimile à Aphrodite, la principale divinité de l’île. À Antioche (Syrie) et en Arménie, le portrait de la souveraine est associé à celui de Marc Antoine, son partenaire politique en Orient dans les années 30 av. J.-C. Suivant un procédé bien établi dans l’Antiquité, la mise en scène de l’unité du tandem politique est renforcée par la proximité des traits des deux personnages (notamment la masculinisation de Cléopâtre). Ici, le portrait est clairement et avant tout un facteur de représentation politique. À Chalcis du Liban, c’est pour marquer sa nouvelle souveraineté sur un territoire rétrocédé par ce même Marc Antoine que la tête de la reine est affichée. Celle-ci apparaît assez grossière ; sans doute faut-il incriminer l’habileté moindre d’un graveur peu habitué à représenter la souveraine ptolémaïque. Enfin, à Patras, bien loin de l’Égypte, l’émission de monnaies au portrait de Cléopâtre rappelle sa participation à la bataille d’Actium aux côtés de Marc Antoine. La proximité de l’Italie est sensible au regard du modelé et de la coiffure. La présence du nom de la reine au droit et d’une couronne d’Isis au revers rend toutefois impossible la moindre confusion. La défaite de Marc Antoine et de Cléopâtre face à Octave, futur Auguste, entraine dès l’année suivante le suicide de la dernière reine ptolémaïque d’Égypte en même temps que la disparition de son royaume.
Bronze frappé à Césarée de Maurétanie entre 20 av. J.-C. et v. 5 ap. J.-C. Droit : tête diadémée de Juba II à droite, et la légende en latin « le roi Juba ». Revers : buste drapé et diadémé à gauche de Cléopâtre Séléné II et la légende en grec « la reine Cléopâtre ». Fonds général 909
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8484201m
L’histoire des Lagides ne s’arrête pas à la mort de sa plus célèbre représentante. De son union avec Marc Antoine, naquirent trois enfants. Les jumeaux, Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné II et Ptolémée Philadelphe II. Après la mort de leurs parents et de Césarion, les orphelins royaux furent un temps élevés par Octavie, sœur d’Octave-Auguste. Si les deux garçons n’ont pas laissé de traces ultérieures, Cléopâtre Séléné devint reine de Maurétanie en 20 av. J.-C. en épousant Juba II, roi client de Rome. Leur fils Ptolémée (23-40 ap. J.-C.) restaure le patronyme de son ancêtre fondateur. Souverain charismatique, il provoque la jalousie de son cousin l’empereur Caligula, qui le fait assassiner sur la route de Lyon en 40 ap. J.-C.
Julien OLIVIER, responsable de la collection des monnaies grecques
Dominique HOLLARD, responsable de la collection des monnaies romaines
Département des Monnaies, médailles et antiques
Pour aller plus loin :
"Cléopâtre, la déesse du Nil" Une vie, une œuvre, France-Culture, 11 avril 2015
Jacques ALEXANDROPOULOS, « Chapitre 7. Juba II (25 av. J.-C. - 24 ap. J.-C.) » et « Chapitre 8. Ptolémée (24 - 40 ap. J.-C.) », dans Les monnaies de l’Afrique antique, 400 av. J.-C. - 40 ap. J.-C., Toulouse, 2007, respectivement p. 213-233 et p. 235-244.
François de CALLATAY, "Usages et mésusages de l'image de Cléopâtre" (79 min), conférence du 14 octobre 2014 à l'Académie royale de Belgique
Fernando LÓPEZ SÁNCHEZ, « Du masculin dans le féminin. Séverine (274-275) et l'image monétaire des impératrices au IIIe siècle ap. J.-C. » dans Y. Perrin (éd.) : Iconographie impériale, iconographie royale, iconographie des élites dans le monde gréco-romain, Saint-Étienne, 2004, publication de l’Université, p. 249-265.
Catharine LORBER, « The Coinage of the Ptolemies », dans William Metcalf (éd.), The Oxford Handbook of Greek and Roman Coinage, Oxford-New York, 2012, p. 211-234.
Julien OLIVIER et Charles PARISOT-SILLON, « Les monnayages aux types de Cléopâtre et Antoine. Premiers résultats et perspectives », Bulletin de la Société Française de Numismatique, novembre 2013, p. 256-268.
Charles PARISOT-SILLON et Julien OLIVIER, « Un brockage républicain à l'effigie de Cléopâtre », Bulletin de la Société Française de Numismatique, mai 2014, p. 123-125
Susan WALKER et Sally-Anne ASHTON (éds.), Cleopatra Reassessed, Londres, 2004.
Françoise CHANDERNAGOR, La reine oubliée, * Les enfants d’Alexandrie, Paris, 2011 ** Les dames de Rome, Paris 2012.
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