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Roger de Beauvoir (1807-1866)

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Roger de Beauvoir a été un écrivain riche et célèbre, qui a fini pauvre et malade. Pétri de romantisme, touche à tout, il fut aussi homme du monde ayant bien diverti ses contemporains. Ses romans les plus connus sont un récit historique, L’Ecolier de Cluny, et une biographie romancée du Chevalier de Saint-Georges, un auteur noir du XVIIIe siècle.

Célébrités du XIXe siècle. VI, Roger de Beauvoir, photographie.

Il avait alors un peu plus de trente ans, mais il ne les portait pas. Sa magnifique chevelure noire bouclée foisonnait autour de sa tête intelligente et remarquablement belle. Il avait quelque chose de fier et d’impertinent dans le regard, qui lui seyait bien […] Il avait les qualités brillantes de la séduction, qu’il exerçait sur une vaste échelle. Les femmes en raffolaient, il eut des aventures célèbres et inspira de grandes passions."

Ce texte du journaliste Hyppolite de Villemessant daté de 1867 trace le portrait de Roger de Beauvoir, auteur touche-à-tout, poète, romancier, dramaturge, feuilletoniste, romantique et aussi acteur important de la vie intellectuelle et mondaine des années 1830-1840, comparable en beaucoup de points à l’un de ses contemporains, Joseph Méry.

Roger de Beauvoir, dessin, Nadar, 185.

Eugène-Augustin-Nicolas Roger de Bully est né à Paris le 28 novembre 1807. Il est le fils d’une notabilité de l’époque, Nicolas Roger de Bully, qui fut, entre autres, Receveur général des Finances et proche de Napoléon, mais qui, tombé en disgrâce, fut emprisonné jusqu’à la Restauration, avant de retrouver son rang. Le jeune Roger fait ses études chez les Oratoriens puis les Jésuites, avant de terminer au lycée Henri IV. Il est tout d’abord destiné à une carrière diplomatique. Il sert même quelque temps de secrétaire au Prince de Ligne à Londres. Mais il est surtout fasciné par le mouvement littéraire qui monte, poussé par des jeunes gens de sa génération, le Romantisme. Riche de par sa famille, il peut se permettre de couper court aux désirs de ses parents de le voir poursuivre une fonction dans les Affaires étrangères. La Révolution de 1830 lui ouvre une activité militante et surtout littéraire. Dans La Revue de Paris, en 1830, sont publiés ses premiers poèmes. Son oncle maternel, député royaliste, l’oblige cependant à utiliser un pseudonyme : il choisit "de Beauvoir", du patronyme d’une des propriétés familiales. La même année, il fait partie des thuriféraires de Victor Hugo qui font le coup de poing dans la "bataille d’Hernani" contre les tenants du vieux monde. Et, en 1832, il écrit un livre qui connaît une certaine renommée, L’Ecolier de Cluny ou le Sophisme, 1315. Rédigé à la manière de Walter Scott, ce texte lui ouvre les portes des journaux. Jules Marsan explique en 1929 :

Toutes les revues et les recueils littéraires s'ouvrent à lui : l'Europe littéraire de Bohain, le Monde dramatique de Gérard de Nerval, l'Ariel de Lassailly, le Figaro d'Alphonse Karr, la France littéraire de Ch. Malo, la Caricature, le Globe, la Mode d'E. de Girardin, le Journal des jeunes personnes, la Quotidienne, sans parler d'une série de keepsakes."

Mais le temps passe, et sa spontanéité, sa volonté d’expérimentation des nouvelles formes, se dissolvent dans les tracas financiers. C’est ce qu’a bien vu ce même Jules Marsan :

Et peu à peu, à mesure que passent les années […] le chroniqueur-dandy, le journaliste amateur devient un professionnel, soumis aux exigences du métier, aux duretés de la bataille littéraire. Il ne s'agit plus d'écrire à sa guise, suivant sa fantaisie. Il faut produire, imposer sa copie, se faire une place et la défendre."

Le Café Procope, Roger de Beauvoir, Dumont, Paris, 1835

Il écrit donc, beaucoup, et dans tous les genres. D’abord des romans, parfois historiques, parfois contemporains : Il Pulcinella (1834), Le Café Procope (1835), Le Chevalier de Saint-Georges, son plus grand succès (1840), La Lescombat (1841), Les Trois Rohan (1842) et Madame de Soubise (1843). Il aime aussi beaucoup les formes courtes, d’où des recueils de nouvelles assez nombreux : Histoires cavalières (il détestait parait-il l’équitation !) (1838), Le Cabaret des morts (1840), L’Hôtel Pimodan (1847), Les Œufs de Pâques (1856), Aventurières et courtisanes (1859) ou Les Soirées du Lido (1860). Ainsi que des recueils de chroniques, comme Duels et duellistes par exemple (1864).

Les Enfers de Paris, Roger de Beauvoir, Paris, 1854

En parallèle, il fait œuvre de dramaturge, parfois d’ailleurs en collaboration : Le Marquis en gage (1837), Le Neveu du mercier (1839), Les Saisons vivantes (1850) ou Les Enfers de Paris (1854). Sans oublier bien sûr son adaptation, avec Melesville, de son propre Chevalier de Saint-Georges (1840). Enfin, il est poète : "Roger est moins connu, en dehors des gens spéciaux, comme poète que comme novateur, et c’est à tort : la poésie est son véritable talent", confiait Villemessant. On trouve ainsi La Cape et l’épée (1837) (c’est la première fois que l’expression est utilisée, même si l’on est loin des aventures trépidantes et chevaleresque qu’elle recouvre), Mon Procès (1850), Colombes et couleuvres (1854) ou Les Meilleurs fruits de mon panier (1862). Sans compter ses paroles de chansons.

Costume de Pierre Lafont (le Chevalier), Le Chevalier de Saint-Georges, Melesville et R. de Beauvoir, Hautcoeur Martinet, Paris, 1840

En 1847, il se marie avec Léocadie Doze, une belle actrice, avec laquelle il était en concubinage depuis trois ans. Il lui fait trois enfants. Mais cela ne dure pas, et il divorce en 1850, après une procédure qui lui coûte très cher et le sépare de sa progéniture. D’autant qu’il en écrit un poème, Mon Procès, où il attaque violemment sa belle-mère :

Regarde ce teint pâle et ces deux yeux d'orfraie
À son pas on frissonne, à sa voix on s'effraie
Sa lèvre est un poison et sa langue un poignard !"

Portrait de Léocadie Doze, Paris, 186.

Pour cela, il est condamné à trois mois de prison et à 500 francs d’amende. La fin de sa vie est assez triste. Ce fêtard devient un solitaire, ruiné et malade de la goutte. Il vit confiné dans un fauteuil. "Aujourd’hui M. de Beauvoir a complètement cessé d’écrire ; les souffrances le tiennent cloué sur son fauteuil, et c’est grand dommage, en vérité, car le repos forcé de cette plume alerte, vive, spirituelle et toujours mesurée, laisse un vide regrettable", expliquait en 1866 le Grand Dictionnaire Larousse du XIXe siècle. Quelques rares amis, dont Barbey d’Aurevilly, lui rendent encore visite. Il décède finalement le 27 avril 1866.

L'Ecolier de Cluny, ou La Tour de Nesle, Roger de Beauvoir, 1862, Paris

Deux de ses œuvres les plus importantes sont L’Ecolier de Cluny et le Chevalier de Saint-Georges. Le héros du premier en est Buridan, qui sera par la suite un personnage important dans La Tour de Nesle de Dumas. Il relate les épreuves du héros aux prises avec une reine qui fait assassiner ses amants après une nuit d’amour. Ce texte, qui a connu un beau succès, est empli d’un langage et d’un univers moyenâgeux de fantaisie : "Voulez-vous des descriptions de monuments gothiques, qu’il vous serait difficile de construire s’il vous prenait fantaisie de mettre en sa place chacune des parties dont chaque mot est le représentant ? désirez-vous connaître tous les vieux jurons : par le ciel ! par Satan ! par tous les saints du paradis ? voulez-vous des tableaux d’orgie ? lisez l’Écolier de Cluny" commentait la Revue des romans quelques années plus tard. Et c’est aussi romantique en diable, tant dans la vision que le style. Ainsi une scène de passion :

C'était une haleine de feu passant d'abord sur les boucles de ses cheveux, puis un regard d'ange tombé, lascif et suave ; un bras qui repousse, un bras qui cède, une bouche qui prie, un front ployé sous une caresse, un combat de réprouvé, un étonnement d'élu." 

Ou encore un bâtiment qui brûle :

Comme un mourant qui se tord, l'incendie en était à son râle ; il se levait et retombait par secousses, furieux et sombre, indolent et morne ; tantôt comme une hydre dardant le ciel de ses langues de feu qui se croisaient en sifflant ou s'étendant à flots de bitume comme une lave qui s'apaise..."

Ce style se retrouve dans cette description :

Peu à peu, la foule des écuyers et des varlets regagnant le matin leurs hôtelleries s'était perdue dans le bruissement de cette rue sale et fumeuse où glapissaient mille voix plus criardes et plus grotesques que de coutume. Quelques figures d'écoliers se montraient déjà au châssis surplombé des boutiques près desquelles les marchands forains se glissaient en fraude, couvrant des plis de leur longue cameline un parchemin acheté à la foire Saint-Lazare pour frustrer les droits et le revenu fixe du doctorat."

Costume de Pierre Lafont (le Chevalier) et Presli, Le Chevalier de Saint-Georges, Melesville et R. de Beauvoir, Hautcoeur Martinet, Paris, 1840

Mais le récit qui lui donne une petite place dans l’histoire littéraire de La France est Le Chevalier de Saint-Georges. Ce roman a eu beaucoup de succès jusqu’au début des années 1870, succès rehaussé par son adaptation au théâtre (où l’intrigue est quelque peu changée et édulcorée). L’histoire est celle de Saint-Georges, un écrivain et musicien qui a réellement existé au XVIIIe siècle, bretteur fameux et Don Juan irrésistible. Le roman de Beauvoir relate sa vie, d’abord aux Antilles, puis en France, à la Cour. Pour une fois, le héros, un noir, n’est pas montré comme un persécuté victime de racisme ni comme un personnage sanguinaire avide de vengeance, mais comme un homme libre, ayant conscience de ses dons et épris de liberté. L’auteur, partisan de l’affranchissement des hommes de couleur (l’esclavage ne sera supprimé que huit ans plus tard !), ressuscite aussi le "roué" de la Régence, période d’après la mort de Louis XIV. La presse est très flatteuse ; ainsi du Figaro, le 20 février 1840 : 

M. Roger de Beauvoir, qui est un de nos écrivains les plus élégants et les plus spirituels tout ensemble, a publié, il y a quelques mois, un roman, empreint d'une ravissante couleur locale coquet et mignard, comme un trumeau de Boucher ou comme un pastel de Delatour. Ce roman, qui racontait les aventures du chevalier de Saint-Georges, obtint tout le succès auquel l'auteur de l'Ecolier de Cluny est accoutumé depuis longtemps ."

Et en ce Saint-Georges se reconnaît également le dandy mondain et agile qu’est Beauvoir.

Monsieur de St George, W. Ward et M. Brown, Londres, 1788

Son talent pour écrire, sa faculté de se disperser, font qu’à sa mort les avis sont partagés. Certains restent admiratifs : "Roger de Beauvoir fut la coupe de vin de Champagne répandue sur la nappe, que les truands tâchaient de leur vin rouge" (Marc de Montifaud). En revanche, d’autres sont beaucoup plus réticents. Beaucoup louent sa faculté aux mondanités et à la fête, mais restent perplexes sur son œuvre : "Quel sang actif ! Comme il va ! Comme il vient ! et toujours souriant […] Il ouvre la bouche et il parle en vers, il ne se tait que pour boire du vin de Champagne. Mais qu’il le boit avec grâce et gaité ! Où prend-il donc le temps d’écrire, ce causeur, ce viveur, cet amateur de tableau, ce voyageur, ce plaideur, ce duelliste ?" (La Lorgnette littéraire). Ou encore : "Il est moitié homme du monde et moitié homme de lettres, moitié poète, moitié prosateur, moitié châtelain, moitié bohème. En dernière analyse, un être bissextil, avec les attributs les plus contradictoires, une nature d'autrefois qui a plus d'une fois causé un vif étonnement aux gens d'aujourd'hui", analysait ainsi Philibert Audebrand en 1904.

Panthéon charivarique, estampe, Benjamin Roubaud

C’est cet aspect "homme du monde" qui ressort de tous les témoignages de l’époque. Ainsi Le Figaro, (14 mai 1837) :

Deux choses préoccupent constamment M. Roger de Beauvoir, c'est la manière et la fantaisie. Il néglige trop les hautes et sérieuses facultés de sa nature pour le costume et l'ornement […] Laissez-le faire, et cette beauté suave et pure sera poudrée, fardée, pailletée, en un clin d'œil, et vêtue de satin."

Jules Marsan, encore, relate que :

dans les bureaux de rédaction ou les cabarets à la mode, il attire tous les regards ; sa verve intarissable, son faste, ses fantaisies, ses folies même éblouissent les chroniqueurs qui, sur son compte, ne tarissent pas."

Villemessant ajoute :

Il donnait des dîners somptueux, où il traitait ses confrères ; il avait des voitures et des domestiques. Sa maison était chaque jour fréquentée par une foule de camarades et par de jolies femmes."

Quant à Alexandre Dumas, qui le fréquentait beaucoup (Beauvoir écrivait même dans son journal Le Mousquetaire), il révélait :

J’ai connu à peu près tous les hommes d’esprit de notre époque. Je ne crains pas de dire que pas un peut-être n'avait la verve de Roger de Beauvoir."

C’était aussi un écrivain romantique par excellence. Il a fait partie des dandys littéraires, au côté de Jules Janin, Eugène Sue ou des frères Musset (on le surnommait d’ailleurs parfois "Le Musset brun"). Villemessant, toujours, affirme : "il est resté romantique pur – romantique obstiné, - romantique envers et contre tous". La Nouvelle Biographie du docteur Hoefer, en 1852, écrit que "c’est un des fervents adeptes de l’école romantique […] en même temps qu’il paraît appelé à pourvoir de ses pièces nos théâtres de vaudevilles". Et le Dictionnaire universel des littératures de Vapereau d’affirmer lui aussi à propos de cet auteur : "L'un des plus ardents champions du romantisme, il a écrit un grand nombre de romans qui ont eu une vogue passagère".

Roger de Beauvoir, photographie, Nadar

En définitive, Roger de Beauvoir a connu un certain succès, surtout au début de sa carrière. Mais le temps a passé, et sa (modique) étoile a pâli. C’est ce dont rend compte ce journal peu de temps après sa mort :

Roger de Beauvoir était un causeur charmant. Sa trop grande facilité l'a seule empêché peut-être de produire les œuvres sérieuses qu'on pouvait attendre d'un esprit si fin et si distingué. Il ne laissera guère, en somme, malgré un catalogue respectable d'œuvres littéraires, romans et pièces de théâtre, qu'une réputation d'humoriste aimable, en qui se reflétaient les mille variétés de l'esprit parisien."

Commentaires

Soumis par Anonyme le 12/09/2021

Roger de Beauvoir est né à Paris le 28 novembre 1807 et mort à Paris le 27 août 1866.
Son nom est Eugène Augustin Nicolas ROGER. Il a pris plusieurs pseudonymes dont celui de Roger de BEAUVOIR ou celui de Roger de BULLY du nom de sa mère.

Soumis par Nadia Marguerit... le 13/09/2021

Bonjour,

Merci pour votre commentaire et votre lecture attentive, nous avons bien intégré ces corrections.

Bien cordialement,

Soumis par Pierre Remérand le 19/09/2021

bonjour
j'ai fait connaissance avec Roger de Beauvoir en écrivant un livre sur Fernand Boissard de Boisdenier, peintre, musicien , homme de lettres qui fut un ami de Beauvoir et comme lui le locataire de l'hôtel Lauzun célèbre rendez-vous des jeunes romantiques amateurs d'art et de haschich...
bien cordialement

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