Les mystérieuses origines du jeu d’échecs : légendes, mythes et épopées
En cette deuxième journée mondiale des échecs, Gallica remonte aux origines mystérieuses du « roi des jeux ». De légendes en épopées, comment l’histoire de l’invention des échecs, ancienne de plus de 1500 ans, s’écrit-elle à travers les continents et les époques ?
Guiron le Courtois, Maître du Guiron. Enlumineur, 1370-1380
Si l’histoire du développement des échecs est bien connue, les origines de ce jeu restent aujourd’hui encore obscures et énigmatiques. Le « noble jeu » serait-il véritablement le plus ancien jeu intellectuel du monde ? Est-il né en Inde, en Chine, ou en Perse ? Quand et comment a-t-il été inventé ? Les hypothèses sont multiples et ont donné lieu à un grand nombre d’épopées et de légendes que les documents de Gallica nous permettent d’explorer.
Échecs et maths : le problème de l’échiquier de Sissa
La légende la plus illustre concernant le jeu d’échecs est celle qui relate l’échange entre le roi de l’Inde, Balhait, qui tyrannisait son entourage, et un sage brahmane nommé Sissa. Lassé de sa gloire et de ses richesses, le roi aurait promis une récompense à quiconque lui proposerait une distraction digne de tromper son ennui. Pour le satisfaire, tout en lui démontrant la vulnérabilité et l’impuissance d’un roi esseulé qui ne pourrait compter sur ses soldats pour le défendre, le philosophe Sissa inventa un jeu où manœuvraient rajahs somptueux, piétaille modeste, ardente cavalerie et lourds pachydermes chargés de tour. Admiratif, le souverain félicita alors Sissa et lui permit de choisir lui-même sa gratification. Trouvant dans cette proposition la matière à un nouvel enseignement, ce dernier demanda au monarque de déposer un grain de blé sur la première case du jeu, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième et de doubler ainsi les grains jusqu’à la soixante-quatrième case. Amusé par cette requête en apparence modeste, le roi accepta immédiatement sans se rendre compte que cela représentait en fait une somme à vingt chiffres que les réserves de son royaume ne suffiraient à combler. Comme le dit Stéphane Zweig dans Le Joueur d’échecs : « La leçon politique semble donc impliquer qu’un bon souverain doit aussi être un bon mathématicien. »
Quelle que soit la véracité de cette légende, il semblerait que l’ancêtre du jeu d’échecs (le chaturanga) ait été inventé en Inde au VIe siècle après J-C, avant d’être transmis aux Perses puis aux Arabes qui ont permis sa diffusion vers l’Occident. À moins que nous ne devions en fait son invention à un illustre Grec.
Le Grec Palamède : du roman de Troie au chevalier échiqueté
Une autre légende, qui remonte à l’époque médiévale, attribue l’invention du jeu d’échecs au Grec Palamède. Cette tradition qui s’appuierait sur un vers de L’Odyssée, voudrait que l’ingénieux Palamède – ou bien son rival Ulysse, selon les versions – ait inventé ce jeu pendant le siège de Troie, de sorte à distraire les guerriers pendant les jours d’inaction du plus long blocus qu’une armée ait entrepris. Ce serait même grâce à ce divertissement que les Grecs auraient tenu le siège. Le jeu lui-même n’est-il pas d’ailleurs une image de la guerre ? Ne fallait-il pas que les Grecs fussent fous de se battre pour une femme et pour prendre la ville avec un cheval de bois ? Cette invention n’est pas la seule qui soit attribuée au personnage de l’Illiade : connu pour sa sagacité, le Grec serait aussi à l’origine du jeu de dames ou encore de l’alphabet.
Mais Palamède est aussi le rival, puis le fidèle compagnon, de Tristan dans la légende arthurienne. En effet, comme l’explique Michel Pastoureau dans son histoire symbolique du Moyen-Âge occidental (Seuil, 2004) : le Moyen-Âge a « dédoublé le personnage de Palamède, créant, à côté du héros grec, un chevalier de la Table Ronde portant le même nom ». Ce nouveau Palamède « fait venir d’Orient le jeu d’échecs afin d’instruire les compagnons de la Table Ronde sur le point de partir à la conquête du Graal. ». C’est donc cette invention – ou plutôt cette importation – qui a donné au chevalier ses armoiries : un écu échiqueté composé de carreaux noirs et blancs.
Qu’il s’agisse du compagnon d’Arthur ou du rival d’Ulysse, la postérité retiendra cette paternité, comme le montre la première revue échiquéenne parisienne qui paraît entre 1836 et 1847 sous le patronage de Palamède.
Le Palamède : revue mensuelle des échecs par M.M. de La Bourdonnais et Méry / Paris, mars 1836
De nombreuses autres légendes, qui circulent dès l’époque médiévale, imaginent des parties d’échecs jouées par de grands hommes : le roi Salomon ou encore Alexandre le Grand font ainsi l’objet de fables échiquéennes, tandis que l’empereur Charlemagne se voit offrir un jeu d’échecs par un calife.
D'Orient en Occident, de mythes en légendes, le jeu d'échecs est un motif inépuisable qui continue à nourrir la création littéraire et les imaginaires.
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Nejma Omari
Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.
Commentaires
une broutille...
Juste deux "r" à “nourrir” (avant dernière ligne). Merci !
broutille
Bonjour,
Merci pour votre lecture attentive, la correction est bien enregistrée.
Bien cordialement,
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