Paul de Kock (1793-1871)
Notre exploration des romanciers populaires du XIXe siècle continue, avec Paul de Kock.
« Le jour où on mettait en vente un roman de Paul de Kock il y avait une véritable émeute en librairie. On courait prendre les volumes par centaines, et les cabriolets brûlaient le pavé pour aller répandre l’œuvre nouvelle d’un bout de Paris à l’autre. L’affiche était presque simultanément collée à toutes les vitres des cabinets de lecture, qui achetaient quelquefois, jusqu’à dix exemplaires du même ouvrage, sans pouvoir contenter l’impatience des lecteurs », écrivait Eugène de Mirecourt en 1855 dans une petite biographie consacrée à cet écrivain, dont on peine à imaginer de nos jours la popularité. Par exemple Gavroche en parle dans les Misérables , Maupassant le cite. Il est même devenu à l’étranger le symbole d’un certain type d’écriture, pas toujours appréciée d’ailleurs, comme chez Dostoïevski (Le Joueur ou les Possédés).
Né à Passy le 21 mai 1793 d’un banquier hollandais guillotiné la même année, Paul de Kock débute à quinze ans en tant que commis de banque, où il lui arrive d’écrire « un chapitre entre deux bordereaux ». Son premier récit, L’enfant de ma femme, est refusé par les éditeurs, mais lui vaut le licenciement. C’est au théâtre qu’il connaît ses premiers succès. Puis, se lançant dans le roman, il devient célèbre avec Georgette et Monsieur Dupont. Même s’il se fait feuilletoniste par la suite, il publie d’abord en librairie. Et sa facilité à rédiger est prodigieuse car il peut écrire un roman en quinze jours. D’où sa productivité : plus de quatre cent titres à son actif, romans, mais aussi mélodrames, vaudevilles, et même paroles de chansons (dont l’une, Madame Arthur, est devenue un standard bien après sa disparition). Il meurt à Romainville le 29 août 1871. Son fils Henry de Kock écrit lui aussi, et après avoir tenté de marcher sur ses traces connaîtra un joli succès dans le roman de cape et d’épée.
Cerisette par Charles Paul de Kock, affiche d'Olivier R.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53015743w
Si Paul de Kock a sacrifié à la mode du temps, romans criminels ou familiaux, avec coups de théâtre, erreurs judiciaires, orphelins persécutés, lutte du Bien et du Mal (Les Enfants du Boulevard, La Maison blanche, Sanscravate), il est avant tout l’auteur qui met en scène un petit peuple parisien aujourd’hui disparu : grisettes, commis, boutiquiers, petits rentiers, ouvrières, actrices, etc. Les gens lettrés le surnommaient avec mépris « le romancier des cuisinières, des valets de chambre et des portiers ! ». C’est un des premiers à montrer les « humbles », non pas comme symboles de la dureté de la société, mais comme des individus réels, en prise avec des situations concrètes. Ainsi que le note un critique actuel, « il a édifié une sorte de Comédie humaine des petites gens » (Yves Olivier-Martin, Histoire du roman populaire en France). Sans aller jusqu’à une quelconque contestation sociale : chez Paul de Kock, pas de spéculation immobilière, d’usuriers, de justice de classe ou de conflits du travail.
C’est une œuvre essentiellement optimiste et gaie. « Paul de Kock est consolant Il ne présente jamais l'humanité sous un point de vue qui attriste », observait Chateaubriand. Ses thématiques : les défauts petit-bourgeois et surtout le roman d’amour, d’où un lectorat féminin très important. C’est souvent une femme qui se trouve au centre du récit : La Laitière de Montfermeil, La Pucelle de Belleville, Cerisette, La dame aux 3 corsets, La jolie fille du faubourg, etc. Ses textes où prédominent les dialogues sont généralement courts; les intrigues sont assez lâches, centrées sur plusieurs personnages, avec un fil conducteur général (une histoire sentimentale, un défaut à la limite du grotesque) et des personnages emblématiques : jeunes séducteurs un peu fats, filles légères, naïves et grugées, petits commerçants irascibles, etc. Le tout conté dans un langage quotidien, sans fioritures ni retouches, sans recherche non plus, mais lisible par tous.
Ses lecteurs se retrouvent dans les descriptions de leur milieu. Mais, le monde ayant profondément changé depuis, ce réalisme fait peut-être qu’il nous parait dépassé, et qu’en tout cas on ne le lit plus du tout de nos jours. Alexandre Dumas s’était bien trompé, qui rétorquait à un compliment qui le mettait au sommet de la hiérarchie littéraire aux cotés de George Sand et Balzac : « Paul de Kock : il vivra plus longtemps que nous ». Car, si on comptait encore plus de 31 titres publiés en 1877, ses livres sont devenu quasiment introuvables au XXe siècle : la dernière réédition date de 1949. Il serait bon de le sortir de l’oubli, ne serait-ce que pour redécouvrir un monde disparu et devenu étrange à nos yeux.
Roger Musnik, département Littérature et Art
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