Liberté de la presse, Anonyme, 1792-1794. impression d’après gravure à l’eau-forte, 19,5 × 25,5 cm
L’édition 2021 du
classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) dans le but d’évaluer chaque année la situation de la presse dans 180 pays, démontre que l’exercice du journalisme est aujourd’hui encore entièrement ou partiellement entravé dans 73% des territoires recensés. Ce classement, qui prend en compte l’indépendance, le pluralisme des médias ou encore l’autocensure, intègre également un relevé des exactions commises à l’encontre des journalistes de sorte à mesurer l’intensité des violences perpétrées contre les acteurs de l’information. En 1833,
Le Calendrier de la liberté de la presse et de l’ordre public en France depuis la Révolution de 1830, s’appliquait déjà à mettre au jour les saisies, émeutes et autres atteintes aux libertés de la presse et des journalistes commises par le gouvernement du Juste-Milieu, illustrant ainsi l’écart entre la législation et son application. Car si la France se maintient aujourd’hui au 34
e rang du classement réalisé par RSF, dans la tranche correspondant à une situation jugée « plutôt bonne » malgré les pressions et violences subies par les reporters, la liberté de la presse a longtemps fait l’objet d’un combat politique acharné.
Une Révolution des libertés de la presse ?
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » (art. 11, Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789)
L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen inscrit ainsi la liberté de la presse comme l’un des principaux indicateurs du bon fonctionnement de la démocratie. Pourtant, cette licence est particulièrement éprouvée jusqu’à l’établissement définitif de la République et la loi de 1881. En effet, alors que la disparition de la censure exercée par l’Ancien Régime permet un développement sans précédent de la presse avec la publication de plus d’un millier de titres de presse entre 1789 et 1799, cette expansion se caractérise par de nombreuses périodes de restrictions et d’interdictions de publication imposées par les gouvernements en place. Sous la Convention, les journées révolutionnaires aboutissent à la suppression des journaux des vaincus, à l’emprisonnement voire à l’exécution de leurs rédacteurs ainsi qu’à la confiscation de leurs presses : royalistes, Girondins, et même robespierristes sont tour à tour victimes de persécutions, de même que les partisans de la liberté illimitée de la presse comme Camille Desmoulins. La chute de Robespierre permet une nouvelle période de licence avec un accroissement ponctuel du nombre de journaux, à l’image du Journal de la liberté de la presse fondé par Babeuf.
L’arrivée au pouvoir de Napoléon marque un nouveau recul de la liberté de la presse étouffée par les mesures de contrôle et le rétablissement de la censure. Alors qu’au début du Consulat la presse parisienne compte une soixantaine de titres, le nombre de journaux politiques est limité à onze par l’arrêté du 17 janvier 1800, puis à quatre en 1811 et à un seul journal politique autorisé par département dans le but de faciliter la surveillance de la presse.
De la Restauration à la Troisième République
La Restauration, malgré l’article 8 de la Charte constitutionnelle de 1814 qui reconnaît la liberté de la presse, constitue également une période particulièrement autoritaire en matière de surveillance et de contrôle des journaux, à l’exception de rares moments plus libéraux : les lois de Serre, promulguées en 1819 qui remplacent la censure et l’autorisation préalable par des garanties morales et financières, et le ministère Martignac (janvier 1828-août 1829) qui s’applique à réhabiliter les principes fondateurs de la presse. Durant cette période, pléthore de textes discutent le bien-fondé des pratiques de la Restauration et s’engagent en faveur de la liberté de la presse.
« il n’y a point d’opinion publique sans liberté de la presse. Quand cette liberté est étouffée, les grands corps de l’état sont des masses isolées de la nation, sans vie et sans force véritable. » (Observations sur le discours prononcé par S. E. le ministre de l'intérieur, en faveur du projet de loi sur la liberté de la presse, par M. Benjamin de Constant. Seconde édition, revue et corrigée, 1814)
Ainsi, lorsque Charles X, s’appuyant sur l’article 14 de la Charte constitutionnelle, légifère les quatre ordonnances de Saint-Cloud, dont la première suspend une nouvelle fois la liberté de la presse, Paris se soulève, à commencer par les rédacteurs de journaux. En effet, à la veille des Trois Glorieuses, 44 journalistes protestent contre les ordonnances de Charles X et déclenchent ainsi la Révolution de 1830.
« Dans la situation où nous sommes placés, l’obéissance cesse d’être un devoir. [...] Aujourd’hui donc, des ministres criminels ont violé la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir » (Protestation des 44 journalistes du 26 juillet 1830)
« La censure ne pourra jamais être rétablie » (article 7, Charte constitutionnelle du 14 août 1830)
La Monarchie de Juillet, dont la Charte constitutionnelle dispose que « les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois », restaure alors la liberté de la presse. L’abaissement du cautionnement et des taxes permettent un essor important de la presse, mais le régime durcit sa politique envers les journaux dès 1833, entraînant la disparition de nombreux titres. L’attentat contre le roi du 28 juillet 1835 est utilisé par le gouvernement comme prétexte pour renforcer la répression contre la presse, notamment avec la loi scélérate du 9 septembre 1835 qui soumet les dessins et gravures à l’autorisation préalable interdisant ainsi toute critique à l’égard du gouvernement.
La République semble alors le seul régime pouvant garantir la liberté de la presse, mais cette dernière ne dure que quelques mois avant l’élection présidentielle, puis le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte qui annihile tout espoir de liberté de la presse. Pourtant, la presse connaît une acmé durant tout le Second Empire malgré les méthodes de contrôle mises en place sous l’Empire autoritaire (monopole postal, cautionnement, timbre, avertissement…). La progressive libéralisation du régime à partir des années 1860 permet l’autorisation de nouveaux titres de presse et le démantèlement du système de 1852 avec la loi du 11 mai 1868 amorçant la croissance spectaculaire que connaît la presse de la Troisième République. Le combat contre la surveillance et le contrôle de la presse, qui s’étend sur tout le XIX
e siècle, s’achève ainsi par un « âge d’or » notamment grâce à
Loi sur la liberté de la presse de 1881, adoptée à la quasi-unanimité, qui renoue avec les promesses de 1789.
« L’imprimerie et la librairie sont libres » (art. 1er, loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881)
En définitive, la loi de 1881 ne cesse d’être modifiée en fonction des difficultés rencontrées par l’État dans l’exercice de son pouvoir (Première Guerre mondiale, Occupation nazie, guerre d’Algérie…) et des problématiques nouvelles qui touchent la presse, notamment en matière d’encadrement de la liberté d’expression. Cette brève rétrospective rappelle ainsi combien la liberté de la presse est un acquis fragile qu’il est nécessaire de préserver.
Pour aller plus loin :
André Cabanis, La Presse sous le Consulat et l'Empire (1799-1814), Paris, Société des Études Robespierristes, 1975.
Alexis Lévrier, Jupiter et Mercure, Le pouvoir présidentiel face à la presse, Paris, Éditions Les petits matins, 2021
Vincent Robert, "Lois, censures et libertés", in La Civilisation du journal, Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, dirigé par Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie- Ève Thérenty et Alain Vaillant, Paris, Nouveau Monde, 2011.
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