Napoléon et les invalides de guerre
L’hybris qui a progressivement gagné Napoléon va entraîner la France dans une spirale de guerres incessantes avec pour conséquence des millions de morts et de blessés. Il va leur témoigner sa gratitude en pérennisant le dispositif mis en place par un illustre prédécesseur.
Avant la création de l'Hôtel des Invalides
Charlemagne semble déjà se soucier du sort de ses soldats blessés en demandant aux monastères de les accueillir au titre de frères lais, autrement dit de moines convers chargés des travaux agricoles ou manuels. Puis Saint-Louis à son retour des croisades, fonde les Quinze-Vingts afin d'y soigner trois cents croisés ayant perdu la vue au cours de l'expédition. Sous Louis XI, les militaires inaptes au service deviennent les mortes-payes employés à garder les places fortes. Henri IV à son tour décide de fonder l'Ordre hospitalier de la charité chrétienne rue de Lourcine à Paris, maison qui prend en charge les estropiés. Mais leur nombre croît à tel point que sous Louis XIII c'est le château de Bicêtre qui doit leur être réservé.
L’héritage de Louis XIV
Sa volonté de conquête territoriale va inciter le monarque absolu à fonder l’Hôtel des invalides à Paris.
Mû par le même devoir de reconnaissance à l’égard de ses « vieux soldats blessés, estropiés ou vieillis dans le service », il lui importe de les soustraire à l’état de mendicité et d’exclusion sociale dans lequel ils sombraient trop souvent. L’institution est donc un des symboles de l’époque louis-quatorzienne.
Une institution menacée ?
C’est pourquoi à l’heure de la Révolution française, son existence est remise en question et l’on songe même à transformer les bâtiments en une vaste prison. C’est un sujet âprement débattu an sein des assemblées du peuple, comme en témoignent les rapports qui nous sont parvenus. Mais le déclenchement des guerres révolutionnaires va changer la donne. Priorité est donnée désormais au très récent Service de santé des armées créé seulement depuis 1777.
Prorogation de la vocation initiale
Le premier consul Napoléon Bonaparte ordonne un grand plan d’embellissement des bâtiments, nécessaire pour effacer les déprédations commises par les sans-culottes. Il veut faire de cet hôpital militaire un établissement à la pointe du progrès. Une fois parvenu au pouvoir, afin de vérifier que ses ordonnances et décrets sont appliqués à la lettre, il n’hésite pas à inspecter les lieux : débonnaire avec ses grognards, il n'oublie pas d'interroger le corps médical et les sœurs-hospitalières. L’image en une de ce billet témoigne de la visite de l’infirmerie effectuée par Napoléon le 18 février 1808, même s’il s’agit d’une représentation destinée au culte de la personne de Napoléon : les invalides ôtent leur bonnet ou joignent les mains vers le haut, en signe de vénération. Il est accompagné des maréchaux Berthier, Duroc (grand maréchal du Palais), Murat, Serurier, gouverneur des Invalides et du chirurgien de la garde impériale : Dominique Larrey. Le protagoniste de la scène s’adresse au médecin aux armées Jean-François Coste (1741-1819) qui dirige alors l’hôpital des Invalides.
Mais cette prise en charge intégrale par l’Etat fait bientôt l’objet de trop de convoitises.
Une régulation des flux nécessaire
Entre 1800 et 1815, on assiste à un accroissement exponentiel de la population susceptible d’y accéder. En effet, les progrès apportés au Service de santé des armées - notamment la création d’ambulances volantes qui, après les hostilités, se déplacent sur le champ de bataille et vont récupérer les blessés avant qu’ils ne soient atteints par la gangrène ou achevés par l’ennemi – contribuent à sauver de nombreuses vies. Sans oublier la chirurgie de guerre qui, avec un praticien tel que Dominique Larrey réputé pour opérer vite et bien, connaît une amélioration spectaculaire.
Pour maintenir le bon fonctionnement de l’Hôtel des invalides, il devient impératif de réguler le nombre de candidats éligibles à l’admission au sein de l’institution. Des règles beaucoup plus restrictives sont édictées et il faut désormais pouvoir justifier d’un des critères suivants :
- 30 années de service militaire
- avoir plus de 60 ans
- avoir perdu un ou plusieurs membres
- souffrir d’une cécité due à une blessure de guerre
- ne pas avoir de foyer familial
Si bien qu’en 1814, les effectifs des pensionnaires de l’Hôtel des invalides sont limités à 3100 individus. Nourris, logés, blanchis, soignés : un tel régime n'était pas viable à long terme. On décide d'employer les invalides dans différents ateliers, en fonction de leur handicap.
Tout est sous contrôle
L'empereur omnipotent a la main sur les nominations des gouverneur, intendant, trésorier, officiers de santé, chirurgiens, apothicaires.
Les pensionnaires continuent à être assujettis à un règlement militaire et tout manquement fait l’objet de sanctions. La plus anecdotique, appliquée dès les origines, consistant "pour ceux qui se sont enyvré et comis quelque désordre ou d'avoir découché sans congé » à les installer à la table des buveurs d’eau, placée au milieu du réfectoire afin de les stigmatiser encore davantage. Un fonctionnement réglementé jusqu’au moindre détail s’applique aux hôpitaux militaires, et par conséquent à l'infirmerie des Invalides.
L'infirmerie
Elle occupe le quart de l’Hôtel et offre deux cents lits. Au rez de chaussée, quatre salles claires, constamment aérées, sont maintenues à une température de 18°. Deux d’entre elles sont réservées aux blessés les plus graves placés en observation. Au premier étage, quatre autres salles abritent des scorbutiques. Les cours intérieures sont aménagées en jardins pour y accueillir les convalescents.
Des notions d’hygiénisme encore balbutiantes à l’époque font leur apparition dès 1794. Les sols sont lavés à grande eau pour tenter de faire disparaître les odeurs pestilentielles. Chaque homme doit pouvoir disposer d'un lit individuel. Privilège inouï : si leur état le permet, les patients peuvent bénéficier de bains réguliers. On leur fournit désormais cinq chemises à leur arrivée, au lieu de trois précédemment.
Le personnel soignant et médical
On maintient le personnel soignant déjà en place depuis 1769, en l’occurrence les Filles de la Charité aussi appelées Sœurs grises. Elles sont secondées par les Fraters ou Garçons qui sont en réalité les aides des chirurgiens.
Un décret de 1811 réorganise le service de santé. A certaines périodes y exercera un personnel d’exception tels que le médecin René-Nicolas Desgenettes, le chirurgien Dominique Larrey ou le pharmacien Antoine Parmentier.
En 1800, le protocole médical stipule que les praticiens visitent les malades deux fois par jour. En outre, des chirurgiens et pharmaciens de deuxième ou troisième classe, chargés de préparer les cahiers de la visite matinale, précèdent la venue de leurs confrères.
Ainsi l’Empereur a pérennisé l’institution mise en place par le monarque absolu. La mise de oeuvre de ce projet nous donne à voir un exemple abouti de son esprit d’organisation doublé d’un souci du détail assez impressionnant.
Pour aller plus loin :
- L'Hôtel des invalides in Passerelles.bnf
- Le classicisme, un style français in Passerelles.bnf
- Histoire du projet in Passerelles.bnf
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