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Nestor Almendros, l’esthétique de la lumière

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28 avril 2021

Chef opérateur et directeur de la photographie mondialement connu de films réalisés par François Truffaut, Eric Rohmer ou encore Terrence Malick, Nestor Almendros fait ses premières armes, en France, comme réalisateur de films pédagogiques pour la télévision scolaire. Il réalisera 23 programmes entre 1964 et 1968 dont 13 sont aujourd’hui consultables en ligne sur Gallica.

Télescope, 30 mai 1992, CNDP

Banni de Cuba au début des années 60, suite à la réalisation de deux courts métrages Gente en la playa et La Tumba francesa, il arrive en France en 1961. Attiré par l’esthétique de la nouvelle vague, il rencontre Barbet Schroeder et Eric Rohmer. C’est ce dernier qui le fera entrer au sein de la télévision scolaire, institution sous tutelle du ministère de l’éducation nationale, dans laquelle Rohmer travaille déjà de manière épisodique.

Nestor Almendros réalise sa première émission en 1965, Jardin public (série : Etude du milieu). Dans le parc Monceau à Paris, filmé dans les conditions du cinéma direct avec une caméra Eclair et un magnétophone Nagra, Nestor Almendros capte "des scènes réelles sans que les gens s’en aperçoivent". Comme précisé dans l’introduction du programme, les écoliers sont invités à "épier les mille et un détails d’une journée d’automne, dans un jardin public". L’objectif, impliquer l’enfant et l’inciter à interpréter différents moments de la vie quotidienne. Dès les premières minutes de l’émission, images à l’appui, une voix off explique les intentions de l’équipe de tournage et comment grâce aux progrès des techniques du cinéma, se fondre dans le décor est désormais possible (caméras petites et légères, matériel de prise de son portatif…).

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Jardin public, Etude du milieu (1965 - IPN)

La Télévision scolaire lui permet ensuite de développer librement ses idées sur la lumière. "Fréquentée par des cinéastes dont certains deviendront célèbres (Rohmer, Almendros...), elle est alors une sorte de laboratoire pour un audiovisuel éducatif social et culturel". Son travail pour l’éducation nationale représente, d’après lui, "ses premiers essais sérieux" autour de l’éclairage, du cadrage et de la prise de son en direct. Son parti pris est d’utiliser au maximum la lumière naturelle et de jouer avec les possibilités qu’offraient alors la technique et l’usage d’une pellicule en noir et blanc (les tournages en couleur ne se généraliseront qu’au milieu des années 70.

En 1965, il réalise La Gare avec cette même volonté de retranscrire l’instant pris sur le vif. Il indique dans la fiche pédagogique, qu’il a lui-même rédigée, l’intention de ce programme destiné aux classes de CM1, CM2 :

Il s’agit de présenter le "milieu" (en l’occurrence la gare de Beauvais) tel que nos sens le perçoivent au cours d’une première approche (sensations visuelles et auditives). En effet, lorsqu’on aborde un milieu, les choses paraissent exister sans raison évidente et l’on n’a pas toujours immédiatement conscience des liens qui existent entre eux. On a donc respecté la diversité, la simultanéité et même la confusion apparente des évènements qui sont présentés sans commentaire."

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La Gare, Mieux voir, mieux dire (1965 - IPN)

Dans la série Les Hommes dans leur temps, l’un des objectifs pédagogiques était de proposer aux élèves des images du monde professionnel en laissant place à l’imagination, à l’interprétation et à l’esprit critique. Nestor Almendros réalise plusieurs épisodes, en déclinant la journée d’un métier spécifique : La Journée d’une vendeuse (1969) dans un grand magasin parisien, La Journée d’un médecin (1967) généraliste à Montargis, La Journée d’un journaliste (1967) avec Jacques Amalric au quotidien Le Monde, La Journée d’un savant (1965) avec un chercheur au laboratoire de physique de l’Ecole Normale Supérieure.

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La Journée d’un savant, Les Hommes dans leur temps (1965 - IPN)

A travers ces journées, Nestor Almendros veut capter l’essence de la lumière, sans artifice, au plus près du réel. Dans son livre de mémoires, L’Homme à la caméra publié en 1980, il explique par exemple

Dans le laboratoire de physique de La Journée d’un savant, des oscilloscopes émettaient des signaux lumineux de faible intensité mais d’un grand intérêt visuel. Si j’avais éclairé la pièce, l’effet aurait disparu. Pour obtenir plus de luminosité, je filmais à 8 images-secondes au lieu de 24, et demandais aux personnes de se déplacer lentement, afin de reconstituer l’allure naturelle des mouvements humains, qui s’obtiendront, on le sait, à 24 images-secondes."

Pour la série Télé-voyages, il réalise en 1965, deux émissions, "Au pays Basque" et "En Corse". Dans ce second programme, l’élève téléspectateur suit le voyage, en Corse, de sept écoliers d’une classe de Ons-en-Bray (Oise) dont ils commentent eux-mêmes les différentes étapes : du vol en caravelle vers Ajaccio, en passant par les châteaux de la Punta et de Pozzo di Borgo ou les îles Sanguinaires…

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En Corse, Télé-Voyages (1965 – IPN)

Lors du passage de la fête de la Saint-Jean [15’18’’ à 16’04’’], c’est avec la lumière des flammes qu’il construit son éclairage et son cadre. Dans ses mémoires, il écrira à ce sujet : "Dans Voyage en Corse, sur la place d’Ajaccio, était dressé le grand bûcher de la Saint-Jean. Comme plus tard dans Days of heaven (Les moissons du ciel), je filmais en gros plan les protagonistes éclairés seulement par les flammes, à l’aide d’objectifs à grande ouverture et en accentuant le développement". Sa recherche d’une lumière naturelle pouvant retranscrire le réel est au centre de sa réflexion lorsqu’il est derrière l’objectif de sa caméra.

Dans le Télescope de mai 1992 (supplément de Textes et documents pour la classe, dédié aux émissions éducatives), Jean-Pierre Escande, enseignant et producteur de programmes pédagogiques, lui rend hommage peu après sa mort en revenant sur sa faculté à capter les moments de la vie quotidienne.
 

Télescope, article : Point de vue de "pro", 30 mai 1992, CNDP

La télévision scolaire a offert, à Nestor Almendros, l’opportunité d’expérimenter, de travailler sa technique et de développer son approche très esthétique de la lumière, traitement singulier qui fera de lui, le directeur de la photographie renommé que l’on connait. Il écrira dans L’Homme à la caméra, sur son travail pour l’éducation nationale :

Les effets recherchés n’étaient pas toujours réussis dans ces films, pas plus que dans ceux que j’avais fait à Cuba : parfois même je me trompais totalement ! Mais l’erreur peut être vecteur de progrès. Ce fut en tout cas cette période 1964-1968 de la télévision scolaire qui m’apporta ce qu’il est convenu d’appeler le "métier"."

Manuela Guillemard

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