La Marcho di rèi : trois mages en Provence
Nicolas Amato, chant ; Chœurs de la Couqueto, ensemble voc. (1931, HMV)
La fête des rois en Provence
Précédés de cavaliers, d'un berger et de ses "bédigues" (brebis), des métiers provençaux, d'anges, de musiciens, les trois personnages des Rois mages, en tenues d'apparat, cheminent lentement, entourés de leurs pages et suivis de leurs dromadaires, vers l'église locale où ils viendront rendre hommage à l'enfant. Les fêtes d'Aix-en-Provence sont particulièrement célèbres pour leur faste et leur beauté. Arrivés jusqu'en la cathédrale Saint-Sauveur, les rois progressent dans la nef vers la Crèche, au son de la Marcho di rèi, joué alors sur orgue, pianisimmo puis fortissimo, jusqu'aux pieds du l'enfant Jésus, où ils déposent leurs offrandes. Quand les rois partent, la Marche des rois se joue alors decrescendo.
"La Marche des rois" à la cathédrale d'Aix-en-Provence,
L'Univers, 12 janv. 1914, p. 3.
"Le chant de l'orgue a grossi ; déjà une étoile aux sept rayons s'est éclairée au fond de la basilique, et
à la septième reprise du motif de l'orgue, son chant, les trompettes, les cuivres, les tambours ont mêlé leurs éclatantes voix.
"Lei rèi ! les rèi !", crient les enfants debout sur leurs chaises..."
Adaptée au temps d'enregistrement qu'offre la face d'un disque 78 tours, la version proposée à l'écoute ici est composée du premier couplet, répété une fois, suivi des couplets 2 et 3, auquel s'ajoute en conclusion une strophe du quatrième couplet .
Nicolas Amato, chant ; Chœurs de la Couqueto, ensemble voc. (1931, HMV)
De matin, /Ai rescountra lou trin
De tres grand rèi qu’anavon en vouiage ;
De matin, / Ai rescountra lou trin
De tres grand rèi dessus lou grand camin.
Ai vist d’abord / De gardo-corp,
De gènt arma em’uno troupo de page ;
Ai vist d’abord / De gardo-cors,
Touti daura dessus si justo-corp.(bis)
-2-
Li drapèu, / Qu’èron segur fort bèu,
I ventoulé servien de badinage ;
Li camèu, / Qu’èron segur fort bèu,
Pourtavon de bijou touti nouvèu.
E li tambour, / Pèr faire ounour,
De tèms en tèms fasien brusi soun tapage ;
E li tambour, / Pèr faire ounour,
Batien la marcho chascun à soun tour.
-3-
Dins un char / Daura de touto part,
Vesias li rèi moudèste coume d’ange ;
Dins un char / Daura de touto part,
Vesias bria de riche-z-estendard ;
Ausias d’auboues, / De bèlli voues
Que de moun Dièu publiavon li louange...
-4-
L’astre brian / Qu’èro davan
S’arrestè net quand fuguè vers l’enfant.
(la transcription intégrale du texte est proposée en fin d'article,
en provençal et en français)
La chorale de La Couqueto, qui tient son nom de la délicate coiffe des femmes provençales - la "coquette", fait partie de ces groupes folkloriques provençaux, encourageant la mémoire et la pratique des traditions provençales dans leur diversité et leurs spécificités, qu'elles soient de Marseille, Aix, Aubagne, ou bien encore de Barcelonnette. Ces groupes sont nombreux et parfois assez anciens : ils sont fréquemment cités dans des publications locales, comme Les Tablettes d'Avignon et de Provence. On connait ainsi le groupe de La Couqueto de Marseille, fondé en 1925, mais aussi celui des Jouvents dracenen, de Draguignan, de l'Escola de la Valeia, de Barcelonnette, des Dansaires de Garlaban, d'Aubagne ou bien encore de L'Etoile provençale, de Saint-Chamas.
La Marcho di rèi : des origines encore discutées
L'origine de cette chanson et de sa musique a fait et fait encore débat. On attribue traditionnellement les paroles au curé-doyen d'Aramon, Joseph-François Domergue, dont l'identité apparaît sur la première copie manuscrite du "Recueil de Castellant" (ms. 1256 de la Bibliothèque municipale d'Avignon), en 1742. Le texte de la Marcho di rèi est publié en 1759 dans le Recueil de cantiques spirituels provençaux et françois gravés par le sieur Hue. À partir de 1790, le texte sera repris dans plusieurs éditions des Noëls provençaux du XVIIe siècle de Nicolas Saboly, ce qui occasionnera une erreur d'attribution pendant quelques temps.
fait à la mémoire de M. Saboly, et de celui des Rois,
fait par J.F. Domergue, doyen d'Aramon), Avignon 1807
En 1872, Georges Bizet en fera l'un des thèmes d'ouverture de son Arlésienne, une musique de scène composée pour le drame en trois actes d'Alphonse Daudet, rendant ainsi très populaire ce morceau qui deviendra un "classique" des noëls français, maintes fois repris et interprété.
Georges Bizet, comp. ; Choeurs avec orchestre (Gramophone GC-34703)
(Seuls les premier et troisième couplets, relatifs au cortège, sont sélectionnés par Bizet)
De trois grands rois [mages] qui allaient en voyage
De [bon] matin,
J’ai rencontré le train
De trois grands rois [mages] dessus le grand chemin.
J’ai vu d’abord
Des gardes du corps,
Des gens armés avec une troupe de pages ;
J’ai vu d’abord
Des gardes du corps,
Tout dorés dessus les justaucorps
...
Frédéric Mistral - "La marche des rois",
dans Les Tablettes d'Avignon et de Provence, Avignon, (6 janv. 1935 ; N°453)
Texte original de 1906 : Moun espelido : memori e raconte
Voilà, de notre temps, la veille du jour des Rois, ce que nous disaient nos mères.
Et en avant ! Toute la marmaille, les enfants du village, nous partions enthousiastes au-devant des Rois-Mages, qui venaient à Maillane,
avec leurs pages, leurs chameaux et toute leur suite, pour adorer l'Enfant-Jésus."
(...)
"Dès notre entrée, l'orgue, accompagnant le chant de tout un peuple, entamait, formidable, le superbe Noël :
Ce matin, / J'ai rencontré le train / De trois grands rois qui allaient en voyage..."
Et ailleurs...
En Espagne, la veille de l'Épiphanie, les Rois mages défilent sur des chars colorés et majestueux lors des cabalgatas (les "chevauchées"), suivis de leurs cavaliers qui lancent des friandises aux enfants, ravis du spectacle. Autant le jour de Noël est réservé à la dévotion religieuse, autant ce jour des rois est une date festive, attendue de tous, et en particulier des enfants. Le 6 janvier, le jour de l'Épiphanie, est férié : les enfants sages découvrent au petit matin les cadeaux déposés par les bons Rois mages.
Dans l'Est de la France et en Allemagne, ce sont les enfants qui participent activement aux défilés de l'Épiphanie, puisque ce sont eux qui incarnent les Rois mages : portant l'étoile de Bethléem, ces petits rois toquent de porte en porte afin d'obtenir des sucreries mais aussi pour bénir les foyers, collecter de l'argent pour les enfants démunis, et chanter des cantiques. En Allemagne, on les appelle les Stersinger, les "petits chanteurs à l'étoile".
Les petits Rois mages chantant de porte en porte
Paul Kauffmann, ill. ; Images d'Alsace, 1902
BNU Strasbourg
Quelques ressources documentaires
- Chansons et musiques provençales 🎶
- Enregistrements de La Marche des rois 🎶
- Corpus des Chansons et musiques de Noël 🎶
- Les Choeurs de la Couqueto dans la presse
- Portraits de Frédéric Mistral
- Armana prouvençau (Avignoun) - Avignon : Aubanel, 1855-1998
- Arbaud, Damase - Chants populaires de la Provence, Aix : tome 1 (1862), tome 2 (1864).
- [Arnaud, Joseph] - Nouveau recueil de noëls provençaux composés par le sieur Joseph Arnaud,..., Carpentras, 1815.
- Arve, Stéphen d' - Miettes de l'histoire de Provence, Marseille, 1902.
- Avril, J.-T. - Dictionnaire provençal-français, éd. Édouard Cartier, Apt, 1839.
- Davaille, Michel - "Florilège des noëls d’orgue", Bulletin d’information de l’Association des amis de l’orgue de Versailles, n° 39, janvier 1998.
- Domergue, Joseph-François, Recueil de cantiques spirituels provençaux et françois, 1749.
- Mistral, Frédéric - Moun espelido : memori e raconte (Mes origines : mémoires et récits), Paris, 1906.
- Mistral, Frédéric - "La marche des rois", Les Tablettes d'Avignon et de Provence : revue hebdomadaire illustrée..., Avignon, 1935 (1935/01/06 (N453))
- Saboly, Nicolas, Recueil des noëls composés en langue provençale, 1668-1674, 8 cahiers ; rééd. Fr. Seguin, imprimeur-libraire, Avignon, 1856.
- Saint-Auban, Emile de, "La Marcho di rèi", Bulletin du Comité de l'art chrétien (Diocèse de Nîmes), 1895, T6/36 p. 74-76.
- "La Marche des rois" à la cathédrale d'Aix-en-Provence", L'Univers, 12 janv. 1914, p. 3.
- 2me recueil de 20 noëls provençaux : suivis d'un noël français et de "Vèni d'oousi", grand air de pastorale. Paroles et musique recueillies par l' Abbé P. C ., Marseille, 1863
La Marcho di rèi (provençal)
De matin,
Ai rescountra lou trin
De tres grand rèi qu’anavon en vouiage ;
De matin,
Ai rescountra lou trin
De tres grand rèi dessus lou grand camin.
Ai vist d’abord
De gardo-corp,
De gènt arma em’uno troupo de page ;
Ai vist d’abord
De gardo-cors,
Touti daura dessus si justo-corp.
-2-
Li drapèu,
Qu’èron segur fort bèu,
I ventoulé servien de badinage ;
Li camèu,
Qu’èron segur fort bèu,
Pourtavon de bijou touti nouvèu.
E li tambour,
Pèr faire ounour,
De tèms en tèms fasien brusi soun tapage ;
E li tambour,
Pèr faire ounour,
Batien la marcho chascun à soun tour.
-3-
Dins un char
Daura de touto part,
Vesias li rèi moudèste coume d’ange ;
Dins un char
Daura de touto part,
Vesias bria de riche-z-estendard ;
Ausias d’auboues,
De bèlli voues
Que de moun Dièu publiavon li louange ;
Ausias d’auboues,
De bèlli voues
Que disien d’er d’un amirable choues.
-4-
Esbahi
D’entèndre acò d’aqui,
Me siéu renja pèr vèire l’equipage ;
Esbahi
D’entèndre acò d’aqui,
De luèn en luèn li-z-ai toujou suivi ;
L’astre brian
Qu’èro davan
Servié de guido e menavo li tres mage ;
L’astre brian
Qu’èro davan
S’arrestè net quand fuguè vers l’enfant.
-5-
Intron pièi
Per adoura soun rèi,
A dous ginoun coumençon sa priero ;
Intron pièi
Per adoura soun rèi
E recounèisse sa divino lèi.
Gaspard d’abord
Presènto l’or
E di : « Moun Diéu, sias lou soulé rèi de glòri. »
Gaspard d’abord
Presènto l’or
E dis pertout que vèn cassa la mort.
-6-
Per presèn
Melchior oùfro l’encèn
En ié disen : « Sias lou Diéu di-z-armado. »
Per presèn
Melchior oùfro l’encèn,
Disen : « Sias rèi e sias Diéu tout ensen. »
La paureta,
L’umulita,
De voste amour nin soun li provo assurado ;
La paureta,
L’umulita
N’empachon pas vosto Divinita.
-7-
Quant à iéu,
N’en plour, moun bon Diéu !
En sangloutant vous presènte la mirrho ;
Quant à iéu,
N’en plour, moun bon Diéu !
De ié sounja, siéu pu mort que viéu ;
Un jour, per nous,
Sus uno croux,
Coumé mourtau, fenirés nosti misèro ;
Un jour, per nous,
Sus uno crous,
Devès mouri per lou salut de tous.
-8-
Aujourd’huèi
Es adoura di rèi
E bateja di man de Jan-Batisto ;
Aujourd’huèi
Es adoura di rèi,
Tout l’univer se soumés a sa lèi.
Dins un festin
Rènd l’aigo en vin :
Aquèu miracle es segur bèn de requisto ;
Dins un festin
Rènd l’aigo en vin :
Nous manifèsto soun poudé divin.
La Marche des rois (en français)
De bon matin,
J’ai rencontré le train
De trois grands rois [mages] qui allaient en voyage ;
De bon matin,
J’ai rencontré le train
De trois grands rois [mages] dessus le grand chemin.
J’ai vu d’abord
Des gardes du corps,
Des gens armés avec une troupe de pages ;
J’ai vu d’abord
Des gardes du corps,
Tout dorés dessus les justaucorps
-2-
Les drapeaux,
Qui étaient sûrement fort beaux,
Leur éventoir servait de badinage ;
Les chameaux,
Qui étaient certainement très beaux,
Portaient des bijoux tout nouveaux.
Et les tambours,
Pour faire honneur,
De temps en temps faisaient bruire leur tapage ;
Et les tambours,
Pour faire honneur,
Battaient la marche chacun à son tour.
-3-
Dans un char
Doré de toutes parts,
On voyait les rois mages modestes comme des anges ;
Dans un char
Doré de toutes parts,
On voyait briller des riches étendards.
On entendait des hautbois,
De belles voix
Qui, de mon Dieu, publiaient les louanges ;
On entendait des hautbois,
De belles voix
Qui disaient des airs d’un admirable choix.
-4-
Ébahi
D’entendre cela d’ici,
Je me suis rangé pour voir l’équipage ;
Ébahi
D’entendre cela d’ici,
De loin en loin je les ai toujours suivis.
L’astre brillant
Qui était devant
Servait de guide et menait les trois mages ;
L’astre brillant
Qui était devant
S’arrêta net quand il fut vers l’enfant.
-5-
Ils entrent pieusement
Pour adorer leur roi,
À deux genoux ils commencent leur prière ;
Ils entrent pieusement
Pour adorer leur roi
Et reconnaître sa divine loi.
Gaspard d’abord
Présente l’or
Et dit : « Mon Dieu, vous êtes le seul roi de gloire. »
Gaspard d’abord
Présente l’or
Et dit partout qu’Il vient chasser la mort.
-6-
Pour présent
Melchior offre l’encens
En lui disant : « Vous êtes le Dieu des armées. »
Pour présent
Melchior offre l’encens,
Disant : « Vous êtes roi et vous êtes Dieu tout ensemble. »
La pauvreté,
L’humilité,
De votre amour en sont la preuve assurée ;
La pauvreté,
L’humilité
N’empêchent pas votre divinité.
-7-
Quant à moi,
J’en pleure, mon bon Dieu !
En sanglotant, je vous présente la myrrhe ;
Quant à moi,
J’en pleure, mon bon Dieu !
D’y songer, je suis plus mort que vif ;
Un jour, pour nous,
Sur une croix,
Comme mortel, vous finirez notre misère ;
Un jour, pour nous,
Sur une croix,
Vous devez mourir pour le salut de tous.
-8-
Aujourd’hui
Il est adoré par les rois mages
Et baptisé des mains de Jean-Baptiste ;
Aujourd’hui
Il est adoré par les rois mages,
Tout l’univers se soumet à sa loi.
Dans un festin
Il change l’eau en vin :
Ce miracle est sûrement bien nécessaire ;
Dans un festin
Il change l’eau en vin :
Il nous manifeste son pouvoir divin.
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