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La réhabilitation de la chirurgie

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En 1660, la toute puissante Faculté de médecine de Paris obtient enfin la dissolution de la Confrérie de Saint-Côme. Cela signifie-t-il la disparition des chirurgiens-barbiers alors plus autorisés à travailler ?

Cours de chirurgie donné au Jardin Royal. [Illustrations de Cours d'opérations de chirurgie] / Pierre Dions, 1757

Evolution dans la pratique de la chirurgie

Depuis le concile de Tours de 1163, l’Eglise y ayant déclaré son horreur du sang, les médecins s’abstenaient de toucher les corps mais seuls détenteurs du savoir, prescrivaient les soins.  Par conséquent, il revenait aux barbiers-chirurgiens de traiter  les plaies ouvertes, incisions d’abcès, saignées, réduction des fractures même s’ils n'effectuaient pas d’opérations sur des organes profonds.
 

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En effet, à l’origine, les barbiers faisaient la barbe mais comme ils disposaient de rasoirs, peu à peu leurs fonctions s'étaient étendues : traitement des plaies ouvertes, incisions d’abcès, saignées, réduction des fractures. En revanche, ils n'intervenaient pas dans le cas des opérations sur des organes profonds : taille de la vessie pour extraire les pierres, incision des hernies, débridage des fistules, parfois même trépanation. Depuis le Moyen-Age dans les campagnes et petites villes, c'était un domaine réservé à des charlatans ambulants appelés  circulatores car ils se déplaçaient sans cesse sans doute pour fuir leurs victimes.

Academia, sive Speculum vitae scolasticae [...] : [estampe] / Passe, Crispin de (graveur),1612.

Une pratique devenue illégale

Après la dissolution de leur confrérie en 1660, les chirurgiens avaient cependant continué à exercer sous le manteau. En effet, étant donné qu'il était interdit aux médecins de toucher au corps de leurs patients, il fallait bien avoir recours à eux pour les opérations vitales.
Louis XIII avait créé en 1626 l’Ecole du  Jardin Royal des plantes à la demande de son médecin Guy de La Brosse. Afin d’étudier les plantes médicinales on y employait trois docteurs pour enseigner la botanique, la chimie et l’histoire naturelle. En 1635, il leur fut demandé de faire des démonstrations de chirurgie. Ce à quoi la Faculté de médecine se refusa : on ne pouvait demander à un médecin de se commettre de la sorte. En réponse, Louis XIV créa une chaire d’anatomie et de chirurgie.

Jardin-Royal. [Illustrations de Cours d'opérations de chirurgie] / Pierre Dionis

Querelle autour d'une théorie

A cette époque, les chirurgiens et les membres de la Faculté de médecine de Paris se querellaient  au sujet de la théorie de la circulation du sang. Nicolas Boileau tourna en dérision l'entêtement de ces derniers en rédigeant son Arrêt burlesque donné en la grand' chambre du Parnasse, en faveur des maîtres es arts, médecins et professeurs de l'université de Stagyre au pays des chimères, pour le maintien de la doctrine d'Aristote. Pour Louis XIV la cause était entendue : peu après il confia la  nouvelle chaire d'anatomie du Jardin Royal à Pierre Dionis avec mission d'enseigner la théorie de Harvey. Ce qu'il fit de 1672 à 1680 avant d'être appelé à la Cour au service des dauphines. Son Cours d'opérations de chirurgie, démontrées au Jardin royal était encore considéré comme un ouvrage de référence un siècle après sa parution. Il y énumère par exemple les qualités d'un habile phlébotomiste :

Vous favez que celui qui entreprend de se faire Chirurgien , doit avoir des talens particuliers pour bien exercer une Profession de l'importance de la chirurgie , mais celui qui prétend exceller dans l'art de saigner doit avoir les qualités qu'on requiert ordinairement dans cette Profession. Il faut qu'il soit bien fait pour ne point déplaire au malade, qu'il ait de l 'esprit pour persuader ce qu'il dit , qu'il ait vue nette & perçante pour distinguer les moindres objets de sorte qu'il n'ait point de foiblesse dans les yeux ou qu'il ne soit point obligé de regarder de près ; qu'il n'ait point aussi la main trop grosse , parce qu'elle seroit pesante, quil ait les doigts longs & grêles  & que la peau en soit blanche & fine parce que le tact en est plus délicat ; il ne faut point qu'il soit sujet à boire de crainte qu'étant appellé la tête pleine de vin, il fut obligé de faire une de ces saignées difficiles : il ne doit point pareillement arracher les dents, coigner des clouds, hacher du bois, jouer à la paume, au mail & à la boule parce que tous ces exercices peuvent lui ébranler la main ; enfin il doit avoir une attention sérieuse pour la conservation de sa main s'il veut bien saigner & longtems. 

Une nouvelle méthode pédagogique

Séduits par cette méthode pédagogique où les chirurgiens de robe longue opéraient et disséquaient eux-mêmes sous leurs yeux, les étudiants affluèrent. En comparaison, les cours de la Faculté de médecine de Paris où les professeurs lisaient en latin des ouvrages de Galien ou d'Hippocrate tandis que les chirurgiens de robe courte ou barbiers-chirurgiens procédaient aux dissections, semblaient assez étranges.

Renaissant de ses cendres, la confrérie de Saint-Côme bénéficia aussi de la générosité de ses membres. Tel que le chirurgien d'Anne d'Autriche, Jean Bienaise qui mourut en 1681 en léguant une  fortune considérable destinée à financer des démonstrations d'anatomie et de chirurgie à l'Ecole de Saint-Côme. Louis Roberdeau, au service de Gaston d’Orléans, s'associa à l'initiative généreuse de son confrère et fit construire un magnifique amphithéâtre.

Amphithéatre des Ecoles de st.Cosme, où l'on fait l'anatomie de l'Homme (Collections de la BIU Santé)

Un retour en grâce inattendu

En comblant de richesses et de faveurs ses Premiers chirurgiens successifs, Louis XIV redonna tout son prestige à la discipline. Surtout à partir de 1681 où la situation évolua en  faveur des chirurgiens grâce au succès de la Grande Opération sur la fistule anale de Louis XIV par Charles-François Félix. Puis à la mort de celui-ci, le Premier médecin Fagon, reconnaissant à Georges Mareschal de l'avoir débarrassé d'une pierre dans la vessie, le fit nommer Premier chirurgien de Louis XIV.

Georges Mareschal / J. Daullé sculp. ; Babel inventit et sculpsit

Mareschal s'était déjà fait remarquer lors de l’épisode de l’anthrax à la nuque dont fut affligé le roi. Il sut à son tour se rendre indispensable. Grâce à leurs efforts conjugués, Mareschal et son assistant François Gigot de La Peyronie obtinrent la création de cinq postes de démonstrateurs à l’Ecole de Saint-Côme.Auxquels s’ajouta bientôt un sixième professeur financé par La Peyronie qui offrit également un établissement similaire à la ville de Montpellier.

Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales., 1864-1888

Encore d'autres généreux donateurs

Grâce aux deux hommes, une académie royale de chirurgie fut fondée en 1731. Les compétences de La Peyronie avaient été appréciées en 1744 à l'occasion d'une grave maladie dont Louis XV faillit mourir à Metz. Il succéda donc à Mareschal à la mort de celui-ci.

La Peyronie / graveur Forestier. (Collections de la BIU Santé)

En 1743, Louis XV décréta la séparation définitive entre barbiers et chirurgiens mettant fin à cette assimilation qui avait été si néfaste à la profession. Germain Pichault de la Martinière nommé Premier chirurgien en 1747 poursuivit l'oeuvre de réhabilitation entreprise par ses prédécesseurs. Admis dans l'intimité du souverain, il prit l’habitude de s’adresser directement à lui. En 1751 fut fondée l’Ecole pratique de chirurgie où les élèves pouvaient s’exercer sur les cadavres.

G. Pichault de la Martinière / gravure Forestier (Collections de la BIU Santé)

Grâce à leur talent et leurs connaissances en anatomie, les chirurgiens attachés au service de la famille royale réussirent à donner ses lettres de noblesse à leur discipline. Ce fut la fin de la suprématie des médecins sur les chirurgiens. En 1794, l'Académie royale de chirurgie et la Faculté de médecine de Paris furent réunies dans un seul bâtiment rue de l'Ecole de médecine.

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