► Le roi chou interprété par Marcelle Bordas (Baby Fotosonor n° 92)
Bien que remis au goût du jour dans les années 1970 et 1980 avec le microsillon, le disque illustré ou picture disc existe depuis les années 1920. Le procédé technique permettant d’insérer une feuille de papier métallisé illustrée entre une couche de vernis-laque de nitrate de cellulose est mis au point aux États-Unis. La firme américaine RCA Victor achète le brevet en 1925 mais ne commercialise son premier picture disc que cinq ans plus tard. C’est la société allemande Musika PostKarte Co qui, au milieu des années 1920, mettra pour la première fois sur le marché des disques illustrés sous forme de carte postale sonore.
► Le Bel oiseau chantée par Marcelle Bordas
(Baby-sonor n° 63) BnF - Gallica.
Au lendemain de la crise économique de 1929, cinq marques phonographiques en France s’intéressent au disque illustré pour enfants. Certaines sont déjà présentes dans la production de disques pour les plus jeunes (Pygmo, Lutin, Discoflex), d’autres produisent déjà des disques illustrés (Fotosonor). La marque Pastel, quant à elles, sera la seule à se lancer directement dans cette aventure en 1933. Nous vous proposons de faire plus ample connaissance avec ces cinq marques phonographiques pour mieux découvrir ce corpus inédit.
Pygmo-plume et Pygmo-lux
La société allemande C.I.C regroupe les marques Pygmo-disque, Pygmo-lux et Pygmo-plume et son siège français était alors situé à Paris, au 66 rue de Turenne dans le 3ème arrondissement. Tous ses disques sont dédiés au jeune public et la société C.I.C. produit également dès 1925, plusieurs modèles de phonographes, les Pygmophones, qui permettent aux enfants d’écouter ces productions.
Un exemple de Pygmophone
Comme le souligne la publicité éditée en 1931, les disques Pygmo-plume sont « entièrement illustrés, incassables, ininflammables, lavables, de longue durée, légers, pas fragiles ».
Première page du Catalogue Pygmo-plume
et Pygmo-Lux édité en 1931.
Ces disques en carton et illustrés en couleur sont recouverts d'un vernis-laque de nitrate de cellulose sur lequel étaient imprimés les sillons.Les dix premières références éditées pour la collection Pygmo-plume sont des chansons enfantines interprétées par Mad-Rainvyl. De son vrai nom Madeleine Suzanne Raige (1886-1953), Mad-Rainvyl fut chanteuse de café-concert, de music-hall (l’Européen, le Petit Casino) et de cabaret et enregistre pour de nombreux autres labels discographiques à partir des années 1920 (Gramophone, Pathé, Perfectophone…). On peut également l’apercevoir dans le film de Noël-Noël, La vie chantée sorti dans les salles en 1951.
Photo extraite de la revue
Paris qui chante
du 1er septembre 1930 - BnF - Gallica
Les autres références éditée par Pygmo-plume, à quelques exceptions près (Meunier tu dors (réf. 225) et Arlequin dans sa boutique (réf. 228)) sont des œuvres classiques (Tannhaüser, La vie parisienne, Le beau Danube…) ou des musiques militaires et des hymnes nationaux (Marche des Grenadiers, Sidi brahim, La Marseillaise…).
La totalité des illustrations est signée Jean Facon. Il s’agit très certainement du dessinateur Jean Facon-Marrec (1904-1994) qui réalise en autre pendant les années 1940 et les années 1950 des publicités pour des produits de luxe comme les parfums Dana, la gaine Scandale ou encore la liqueur Bénédictine. Signalons enfin qu’un grand nombre de ces enregistrements sont en fait des rééditions de titres déjà publiés par la marque Pygmo-disque. 50 références en tout seront éditées par Pygmo-plume, 28 sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale de France.
La société C.I.C. édite également sous le label Pygmo-Lux quelques disques illustrés, toujours pour les plus jeunes, de format 19 cm.
Baby-sonor et Baby-fotosonor
La société phonographique Fotosonor, située au 12 de la rue du château à Paris, est créée le 9 avril 1931 par Maurice Piault, dit Martel. Fotosonor va publier dans un premier temps des disques illustrés de 21 cm de diamètre sur lesquels sont reproduits en noir et blanc les photos des chanteurs et orchestres publiés. On retrouve entre autre des pièces pour orchestre de Marius-François Gaillard, premier interprète de l’œuvre pianistique de Debussy, ou encore des chansons interprétées par la meneuse de revues Loulou Hégoburu.
Photo de
Loulou Hégoburu publiée dans un recueil
factice concernant les revues de la Gaîté Rochechouart (1918) - BnF - Gallica
Maurice Piault fonde aussi en 1932 la marque « Le disque religieux », qui regroupe des enregistrements d’œuvres dirigées par le compositeur Paul Fauchet et illustrés d’images pieuses et de lieux de culte célèbres également en noir et blanc.
Une des productions illustrées du label Le disque religieux.
Il dépose également le 19 décembre 1934 la marque Baby-sonor au greffe du tribunal de commerce de Versailles. Ce label est constitué de disques 78 tours non illustrés dédiés aux enfants et interprétés par Marcelle Bordas. Créatrice et fabricante de chapeaux pour le théâtre et le music-hall, elle est remarquée par Mistinguett. En 1933, elle commence une carrière de chanteuse au Casino de Cabourg. Elle poursuit sa carrière jusqu’aux années 1960 en effectuant les premières parties des concerts de Gilbert Bécaud, Charles Aznavour ou encore Dalida.
Baby-sonor va donner naissance à une petite sœur, la marque de disques illustrés Baby-fotosonor dont nous ignorons la date de création. La marge est parfois ténue entre Baby-sonor et Baby-fotosonor puisque certains disques illustrés sont également édités sous le label Baby-sonor.
► Le Disque illustré
Miaou de Fotosonor
édité sous le label Baby-sonor - BnF - Gallica.
C’est à nouveau Marcelle Bordas qui prête sa voix pour interpréter cette fois-ci des chansons plus rares, comme L’oiseau bleu ou L'enfant et l'oiseau ou encore deux chansons originales écrites et composées pour l’occasion par le compositeur contemporain Hector Fraggi (1882-1944) : Le cordonnier et La petite Anna.
Yves Martel, pseudonyme du fondateur de Fotosonor, récite quant à lui quelques fables de la Fontaine comme La cigale et la fourmi ou La laitière et le pot au lait. Signalons enfin que certains dessins sont signés des initiales M.G. et Psim.
Lutin
La société Lutin est fondée en 1930 par la société l'Industrie phonographique située au 17 de la rue de Lancry à Paris dans le 10ème arrondissement. Elle va produire deux catégories de disques : des disques de 15 cm (série 10.000), enregistrés entre 1930 et 1936 ; et des disques de 18 cm (série 11.000), enregistrés entre juillet 1934 et novembre 1939. Sa production est essentiellement tournée vers le jeune public et Lutin propose également un « phono-jouet, solide et réparable », avec « la même conception, la même présentation qu’un appareil portatif normal ».
Quatrième de couverture du catalogue lutin
présentant le phono-jouet Le lutin.
Lutin propose au cours des années 1940 une collection de douze disques illustrés dédiée aux classiques de la chanson pour enfant. Tous ces disques sont interprétés par un duo d’enfants composé de Linette et Claude et accompagné par les Chanteurs de Saint-François-de-Sales.
Marcel Cariven (1894-1979) se charge de la direction orchestrale. Employé aux Bouffes-Parisiens, à Marigny, Mogador et à la Gaîté-Lyrique, il était également actif dans la musique symphonique, le ballet et la musique de film et dirige notamment Ô mon bel inconnu, une comédie musicale de Reynaldo Hahn en 1933 avec Arletty et Simone Simon. Les illustrations sont signées par G. Crépin et Drummond 50. Ce même Drummond 50 officie durant les années 1950 pour Saturne, autre célèbre société discographique également spécialisée dans le disque illustré. La BnF possède l’intégralité de cette collection.
Disque Saturne signé Drummond 50 publié dans les années 1950,
et qui rappelle étrangement la maquette des disques Lutin.
Pastel et Discoflex
Pastel est une marque phonographique uniquement dédiée aux disques illustrés pour enfants. Fondée le 19 janvier 1933 par Robert Montbron, son siège social est situé également à Paris, au 36 boulevard de la Bastille. On retrouve à nouveau sur Pastel les grands classiques de la chanson enfantine. Mais ce qui lui confère sa singularité par rapport à ses concurrents, c’est l’utilisation d’un ensemble d’interprètes plus varié pour lesquels on signale à chaque fois sur l’étiquette du disque l’appartenance.
Cette précision semble offrir au label une légitimité plus importante : ainsi André Pierrel et Monette Dinay officie au théâtre Mogador ; Sylva Briane à l’Empire ; René Boulard à l’Européen, Renée Caussade au Trianon-Lyrique et Mlle M. Blottière, du théâtre de la Gaïté-Lyrique et M. Roger’s, aux Folies bergères.
Mlle Sylva Briane en 1919 posant dans le mensuel
Les modes
pour présenter un chapeau créé par Delion - BnF - Gallica.
Paul Cribeillet (1896-1969), compositeur et chef d’orchestre, résistant célèbre connu sous le nom de code de « Capitaine Grillon » dans le maquis de l’Ain, dirige toutes les chansons. Les dessins du corpus ne sont pas signés, seule le nom de M. Thomas figure sur le disque de J’ai du bon tabac / Avec mes sabots (Pastel 531).
Discoflex est édité par Phonedibel, dont le siège social parisien se trouvait 10, avenue Stéphane Mallarmé, dans le 17ème arrondissement. La série labellisée Discoflex-Baby est consacrée à un répertoire de chansons enfantines publiées sur disque illustrés. Le disque Discoflex conservé à la Bibliothèque nationale est de format 15 cm.
Marcelle Bordas, que l’on retrouve également sur le label Baby-fotosonor, y interprète
Jean de la Lune et René Herent,
Cadet Rouselle. René Herent (1897-1965) effectue l’essentiel de sa carrière à l’Opéra-Comique. Il participe notamment aux premières de
Masques et Bergamasques de Gabriel Fauré (1920) et
L’enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel (1926), et grave de nombreuses plages pour les sociétés discographiques Pathé, Idéal, Cristal et Lumen.
Pour aller plus loin :
Le corpus sur les disques illustrés pour enfants et son accès par titres ainsi que les Chants et musiques de Noël.
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