Si aujourd’hui la bande dessinée est en grande majorité publiée sous forme d’album, il n’en a pas toujours été ainsi. Très tôt, la presse a accueilli dans ses pages ce nouveau moyen d’expression pour lui laisser une place qui ira grandissante dès le début du XXe siècle.
Dans la presse illustrée du XIXe siècle
Dès la fin des années 1830, le succès des albums d’histoire en images de Rodolphe Töpffer inspire de premiers suiveurs, comme Cham, Nadar et Gustave Doré. Ces caricaturistes pratiquent alors la bande dessinée et l’intègrent à leur panoplie humoristique. Les journaux illustrés et satiriques auxquels ils collaborent commencent alors à publier de courts récits, à l’exemple d’"Une Ascension au Mont-Blanc, comme quoi l’on peut trouver le bonheur sous la neige" de Gustave Doré, publiée dans cette double page du
Journal pour rire du 12 juin 1852.
Dans
Le Journal amusant, qui remplace
Le Journal pour rire à partir de 1856, le dessinateur Léonce Petit donne de nombreuses histoires en images tout au long des années 1870. Courant parfois sur plusieurs numéros, elles ont la particularité de se dérouler à la campagne, dépeignant avec humour la vie de paysans et de petits notables.
La loi du 29 juillet 1881 qui favorise la liberté de la presse fait fleurir de nombreux et nouveaux journaux illustrés. Ceux-ci recourent régulièrement à la caricature et aux histoires en images, à l’exemple du
Rire, ou du
Pêle-Mêle. Créée en 1882, la revue
Le Chat noir est le bulletin du cabaret de Montmartre du même nom, haut lieu de la bohème parisienne. Son sommaire propose textes, poèmes et caricatures par les meilleurs plumes et crayons du moment. Chaque semaine, le journal publie une histoire en images qui a la particularité d’être muette, aucune légende ne figurant sous les images. Willette et
Steinlen sont les premiers contributeurs du genre. Si le premier se spécialise dans les pantomimes graphiques mettant en scène le personnage de Pierrot, le second préfère les chats. Celui qui réalisa la
fameuse affiche du cabaret donne vie à des félins de papier qui feront sa renommée.
Pour garçons et pour filles
La presse pour enfants s’ouvre également de bonne heure à la bande dessinée.
La Semaine des enfants est la première publication à proposer dès 1857 des histoires divertissantes à ses jeunes lecteurs. D’autres suivront plus tard comme
Mon journal ou
L’Écolier illustré. Mais la revue la plus célèbre de la fin du XIXe siècle reste
Le Petit Français illustré. Le journal édité par Armand Colin publie à partir de 1889 les tribulations des fameux héros du dessinateur
Christophe : la famille Fenouillard, le sapeur Camember et le savant Cosinus. Ces séries sont publiées en feuilleton de façon irrégulière sur plusieurs années avant d’être reprise en albums.
Au tout début du XX
e siècle, les éditions Fayard bouleversent la presse enfantine en lançant de grands journaux en couleurs :
La Jeunesse illustrée en 1903 puis
Les Belles Images l’année suivante. Dans ces nouveaux titres, l’image prend une place plus importante, le texte étant jusqu’alors dominant pour les jeunes lecteurs. Ainsi au moins la moitié des pages contiennent des histoires en images. Dans
La Jeunesse illustrée,
Benjamin Rabier est l’un des dessinateurs vedettes et donne une page de bande dessinée chaque semaine pendant une quinzaine d’années.
La concurrence fait rage parmi les éditeurs sur le marché des "illustrés" et les nouveaux titres se multiplient. Ainsi, la maison d'édition Offenstadt publie à partir de 1908
L'Épatant, hebdomadaire populaire à grand succès qui accueille la célèbre série de Louis Forton, les Pieds nickelés.
Le même éditeur crée d’autres journaux pour occuper les différents segments du marché de la presse enfantine, comme
L’Intrépide qui paraît dès 1910 sur le thème des voyages et de l’aventure.
De leur côté, les éditions de Montsouris, qui publient
Le Petit Écho de la Mode, élargissent leur lectorat en lançant plusieurs titres destinés aux enfants comme
Pierrot (1925),
Guignol (1932) puis
Jeunesse magazine (1936).
Offenstadt et les éditions de Montsouris s’adressent spécifiquement aux petites filles à travers deux publications qui leur sont réservées, soit respectivement
Fillette, dès 1910, et
Lisette, à partir de 1921. Les contenus de ces titres s’adaptent, les sujets des bandes dessinées tournent le plus souvent autour des contes de fées, du merveilleux ou mettent en scène des animaux. Ils proposent également les aventures d’héroïnes, dont l’une des plus célèbres reste
Lili l’espiègle, fillette malicieuse créée en 1909 dans
Fillette, qui fut en son temps aussi célèbre que les Pieds nickelés.
Suppléments illustrés
Depuis la fin du XIX
e siècle, les quotidiens américains impriment avec leur numéro du dimanche des suppléments dont l’un est souvent dédié à la bande dessinée. Ainsi, la
comic section du
New York Herald propose des séries emblématiques du neuvième art comme
Little Nemo in Slumberland de Winsor McCay ou
Buster Brown de Richard Outcault.
L’édition européenne de ce journal, qui était dirigée et imprimée en France, publia de 1904 à 1914 quatre pages en couleurs de
comic strips américains en version originale.
Sur un modèle semblable, la bande dessinée connaît également une large diffusion à travers la France avec
L’Illustré national et ses "répliques" régionales. Créé en 1898, cet hebdomadaire destiné à la famille connaîtra plusieurs versions jusqu’au début des années 1920. Son contenu journal est repris à l’identique comme supplément illustré du dimanche par une quarantaine de quotidiens et hebdomadaires régionaux, comme le
Mémorial d'Amiens ou
L’Impartial de l’Est. Ce tirage élargi en fait,
selon Thierry Groensteen, "le journal illustré qui avait le plus fort tirage à la Belle Époque". De nombreuses histoires en images y sont publiées, qui supplantent les dessins d’humour à partir de 1904.
Les nouveaux modèles de l’entre-deux-guerres
Dans l’entre-deux-guerres, cherchant à diversifier son contenu, la presse quotidienne intègre la bande dessinée dans des pages ou des suppléments destinés aux enfants. Ainsi, à partir de 1920 et chaque dimanche,
L’Écho de Paris propose une rubrique pour la jeunesse dans laquelle Joseph Pinchon, le père de Bécassine, dessine les aventures de Frimousset et de son chat doué de parole Houpalariquette. De son côté,
L’Excelsior propose un supplément intitulé
Excelsior dimanche puis
Dimanche Illustré qui publie des traductions de
comics américains avec des bulles comme
Bicot président de club ou
La famille Mirliton. En 1925, Alain Saint-Ogan s’inspire de ces séries et imagine pour le journal les aventures du duo Zig et Puce.
Se démarquant des journaux pour enfants de son époque,
Benjamin est un hebdomadaire fondé en 1929 par Jean Nohain qui ressemble en miniature aux journaux pour adultes. Avec sa mise en page imitant celle des quotidiens, il publie des textes et des illustrations autour de rubriques, mais aussi des bandes dessinées à suivre par Joseph Pinchon, Alain Saint-Ogan ou le jeune Erik.
L’arrivée dans les kiosques en 1934 du
Journal de Mickey, et son succès foudroyant, vont bouleverser le marché des journaux pour enfants. Les vieilles publications pour la jeunesse vont disparaître et les éditeurs s’adapter. Dans le sillage de la célèbre souris aux grandes oreilles, de nouveaux titres naissent, comme
Jumbo,
Junior,
L’Aventureux ou
Les Grandes Aventures, en reprenant la formule : grand format, impression en couleurs, traductions de
comics américains, prix bon marché. La bande dessinée à bulles commence à s’imposer comme le nouveau standard.
Après la Seconde Guerre mondiale
Dès 1944, de nouveaux journaux reparaissent sur le modèle de ceux des années 1930, à l’exemple du
Coq Hardi fondé par le dessinateur et scénariste Marijac, tout comme
Baby Journal qui devient
Cricri Journal en 1949.
Les quotidiens nationaux et régionaux deviennent un support de premier plan pour la création et la diffusion de la bande dessinée. Ils proposent chaque jour des bandes, en noir et blanc, importées ou de création française. Le premier d’entre eux est
France-Soir qui publie dès 1946 sur sa dernière page une ou plusieurs séries à suivre. Ces premiers feuilletons en images sont des adaptations de la littérature française, comme
Les Misérables de Victor Hugo dessinés par Gaston Niezab ou
Les Mystères de Paris d’Eugène Sue par Raymond Cazenave. En 1948,
L’Humanité publie le
strip Félix le chat avant que le dessinateur C. Arnal ne crée sa série
Pif le chien.
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