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Ambroise Paré : maître barbier-chirurgien

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Ambroise Paré (1509?-1590) issu d'un milieu très modeste et appartenant à la corporation méprisée des barbiers-chirurgiens sut peu à peu s'imposer grâce à ses qualités naturelles comme le chirurgien des rois, roi des chirurgiens.

Ambroise Paré arrachant de la blessure de Henri II le fer de lance du sire de Mongomery / dessinateur Meunier (Collections de la BIU Santé)

Barbiers-chirurgiens et circulatores

Il fut initié au métier dans l’officine du barbier de son village. En effet, à la Renaissance, barbiers et chirurgiens exerçaient le même métier. A l’origine, les barbiers faisaient la barbe mais comme ils disposaient de rasoirs, peu à peu leurs fonctions s'étaient étendues : traitement des plaies ouvertes, incisions d’abcès, saignées, réduction des fractures. En revanche, ils n'intervenaient pas dans le cas des opérations sur des organes profonds : taille de la vessie pour extraire les pierres, incision des hernies, débridage des fistules, parfois même trépanation. Depuis le Moyen-Age dans les campagnes et petites villes, c'était un domaine réservé à des charlatans ambulants appelés  circulatores car ils se déplaçaient sans cesse sans doute pour fuir leurs victimes. Formés sur le tas par des maîtres-barbiers, les barbiers-chirurgiens n’étaient pas des médecins selon l’acception de l’époque : en effet, ces derniers détenaient le savoir donc prescrivaient les soins mais depuis le Concile de Tours de 1163 ne touchaient jamais les corps.
 

[Chirurgien au chevet d'un malade]. Extr. de : "Dis ist das Buch der Cirurgia "
  Brunschwig, Hieronymus, 1497. (Collections de la BIU Santé)

Formation à l'Hôtel-Dieu

Ambroise Paré devint compagnon-barbier à  l’Hôtel-Dieu de Paris  qui lui offrait la possibilité d’une formation approfondie en chirurgie puisqu'il y soignait les malades. Il s'y fit remarquer par sa dextérité technique hors-pair et sa maîtrise de la lancette, outil dont la lame aiguisée permet une incision parfaite de la peau. Se souvenant de son séjour en Italie, il la désigne plus tard sous le nom de "bistouri". Après six ans passés dans ce service, les aspirants au titre de chirurgien-barbier étaient autorisés à passer un examen devant les six maîtres-jurés de la confrérie de Saint-Côme et de Saint-Damien. Il s'agissait de la première association professionnelle des chirurgiens créée par Philippe-le-Bel au XIVe siècle. Bien qu'il se fut lui-même exempté de cette épreuve, Paré eut l'insigne honneur d'être membre de ce jury de robe longue à la fin de sa vie grâce à la faveur royale.

Enseignement pratique par les dissections

Dans les écoles de médecine parisiennes, il assistait également à des cours d'anatomie et pratiquait lui-même des dissections sur les corps de suppliciés. Voici ce qu’il écrit :

Faut sçavoir que par l'espace de trois ans j’'ay residé en l'Hoslel-Dieu de Paris, où j’ay eu le moyen de veoir et cognoistre ( eu esgard à la grande diuersité de malades y gisans ordinairement) tout ce qui peut estre d'altération, et maladie au corps humain : et ensemble y apprendre sur une infinité de corps morts, tout ce qui se peut dire et considerer sur l'Anatomie, ainsi que souvent j’'en ay fait preuve très-suffisante, et cela publiquement à Paris aux escholes de Medecine.

Bien que les dissections et autopsies fussent encore considérées comme sacrilèges par l’Eglise, Francois 1er avait fait venir à Paris le premier professeur d’anatomie de la Faculté de médecine de Montpellier ayant décidé de recourir à des dissections, Jacques Dubois plus connu sous le nom de Sylvius. Il était hors de question que des médecins - qui par ailleurs  s'engageaient à ne pas exercer la chirurgie - manipulent les cadavres. On fit alors appel aux barbiers-chirurgiens : cela présentait aussi l'avantage de contrer les ambitions naissantes des chirurgiens-barbiers. Il faut donc se représenter des leçons se déroulant de façon assez étrange : un professeur de la Faculté de médecine lisant des livres de Galien ou d'Hippocrate en latin tandis que les barbiers-chirurgiens ne comprenant pas un mot procédaient aux dissections sous les yeux des étudiants. Afin de se faire comprendre des tonsores chirurgici, on adopta en outre un langage spécial à base de mots français affublés de désinences latines.
 

Scène de dissection, leçon d'anatomie.1523 (Collections de la BIU Santé)

Chirurgien militaire

Ambroise Paré n'effectua pas les six années réglementaires car au bout de trois ans il décida de vérifier  l’aphorisme d’Hippocrate selon lequel la guerre est la seule véritable école du chirurgien. Pendant 18 ans, il participa en tant que maître barbier-chirurgien à toutes les batailles qui opposèrent les armées des rois de France à celles de Charles Quint, du duc de Savoie puis du roi d’Angleterre Henri VIII. A cette époque, les soldats étaient abandonnés à leur triste sort sur le champ de bataille : quand ils n’étaient pas achevés par l’ennemi vainqueur, ils mouraient des suites de leurs lésions. Le service de santé des armées était rudimentaire, le concept d'ambulance inexistant jusqu’à la fin du XVIe siècle. A partir de 1590 seulement, on créa un hôpital à l’arrière où étaient transportés les blessés. C’est pourquoi les seigneurs de guerre recrutaient souvent un barbier-chirurgien pour eux-mêmes bien sûr mais aussi parce que sa présence inspirait confiance aux troupes assurées d'avoir une chance de survivre à leurs blessures.
 

Extr de : Feldtbuch der Wundartzney../ Hans von Gensdorff, 1540. Collections de la BIU Santé

Une méthode révolutionnaire... mais pas de miracle pour Henri II !

En 1545, les troupes de Henri VIII s’étaient repliées à Boulogne-sur-Mer assiégée par les Français. Ambroise Paré se fit connaître en opérant François de Lorraine, comte d'Aumale et futur duc de Guise. Celui-ci avait reçu un coup de lance en plein visage. Soucieux d’éviter l’effet-harpon, la déchirure des chairs qu’il aurait obtenus en ressortant la lance par le même trajet, le chirurgien eut l’idée révolutionnaire de passer par l’autre côté en restant dans le même axe. Pour cela, il pratiqua une incision de l’autre côté de la tête afin de pouvoir extraire le fragment au moyen de tenailles empruntées à un maréchal-ferrant. De la sorte, il espérait commettre le moins de dégâts possibles et de fait, le blessé fut sauvé. Il fut désormais connu sous le surnom du Balafré, en raison de la terrible cicatrice sur son visage.  

Quelques années plus tard, alors qu’Henri II l’avait incorporé parmi ses quatorze chirurgiens valets de chambre ordinaires, le roi fut grièvement blessé lors d’un tournoi. Paré se retrouva devant le même type de blessure que précédemment, mais cette fois il ne s’agissait pas d’une lance métallique, mais en bois qui s’était brisée et fichée dans l’orbite de l’œil droit, le visage étant constellé d’éclats. Afin de permettre aux chirurgiens de vérifier si le cerveau avait été atteint lors de l'impact et donc de reproduire le même type de lésion, quatre condamnés à mort furent promptement décapités. Paré en conclut qu’il fallait retirer les esquilles mais le roi succomba à l’infection. Ce qui n’empêcha pas la promotion du praticien à la fonction de premier chirurgien des trois souverains suivants François II, Charles IX et Henri III. Paré eut à coeur de soigner aussi bien les gueux que les monarques. Il mit au point des prothèses à l'intention des riches, mais aussi des modèles accessibles aux moins fortunés. 
 

Cautérisation d'une blessure au fer rouge, 1527
(Collections de la BNU Strasbourg).
 

Apparition des blessures par armes à feu 

Dès le XIVe siècle, l’emploi des premiers bâtons à feu puis d'arquebuses crée un nouveau type de plaies. Doté d’un solide bon sens, Paré eut souvent des idées simples mais novatrices. Ainsi pendant le siège de Perpignan, afin de retrouver l’emplacement exact d’une balle, il demanda au blessé de reprendre sa position initiale au moment de l’impact. Grâce au chirurgien, la balistique - science du mouvement des projectiles - progressa. Selon lui, Il était impératif de retirer le projectile. Au XVIe siècle prévalait la théorie d'un chirurgien italien Giovanni de Vigo (1460 ?-1525) selon laquelle à partir de la poudre introduite dans le corps lors de l’impact se serait dégagé un venin qui empoisonnait lentement mais sûrement les organismes. Il fallait donc appliquer de l’huile bouillante sur ces plaies. Paré démontra l'absurdité de cette croyance en remplaçant ce traitement barbare par un emplâtre à base d’huile de roses et de térébenthine mêlées à du jaune d’œuf : ainsi les blessés souffraient beaucoup moins et cicatrisaient plus vite. Il rédigea en français un traité : La Méthode de traicter les playes faictes par hacquebutes et aultres bastons à feu et de celles qui sont faictes par flèches, dardz et semblables, aussy des combustions spécialement faictes par la pouldre à canon. La Faculté de médecine s’opposa systématiquement à l’impression des ouvrages d'un illettré qui ne connaissait ni le grec ni le latin.

Ambroise Paré d'après un portrait conservé
au château de Paley

Une autre innovation... mais prématurée

D'autre part, les blessures causées par les armes à feu s'avérèrent plus graves que celles provoquées par les armes blanches. Avec ces dernières, les nerfs et les vaisseaux roulent sous la lame et sont moins endommagés que sous l'impact d’un projectile qui déchire profondément les muscles et les organes, nécessitant souvent une amputation. Afin d’empêcher les vaisseaux de saigner (hémostase) et donc le blessé de mourir, on cautérisait en appliquant sur la plaie des fers ardents jusqu’à ce que se forma une croûte créée par la carbonisation de la chair : cela empêchait l’infection. Ambroise Paré, désireux d’épargner à ses patients des douleurs atroces décida de pincer l’artère fémorale jusqu’à ce qu’elle ne saigne plus puis il eut recours à une méthode déjà imaginée par les Anciens mais jamais mise à exécution : la ligature des vaisseaux  avec les crins de la queue d’un cheval. Malheureusement à cause des miasmes qui s’introduisaient lors de l’intervention, c'était prématuré dans le contexte médical de l’époque avec ses connaissances très limitées. Il fallut attendre 300 ans pour qu’apparaisse la méthode antiseptique de Joseph Lister (1827-1912) permettant à ce procédé d’être enfin appliqué.

[Amputation d'une jambe gangrenée]. Extr. De : « De gangrena et sphacelo »  
Fabricius Hildanus, Wilhelm, 1617. (Collections de la BIU Santé).

Sauvé par son talent !

Le seigneur de Brantôme raconte que lors du massacre de la Saint-Barthélémy, le protestant Ambroise Paré fut épargné sur ordre de Charles IX :

Incessamment cryoit : Tuez, tuez ! Il n'en voulut sauver aucun, si-non maistre Ambroise Paré, son prémier chirurgien et le premier de la chrestienté et l'envoya quérir et venir le soir en sa chambre et garde-roble, luy commandant de n'en bouger : et disoit qu'il n'estoit raisonnable qu'un qui pouvoit servir à tout un petit monde fust ainsi massacré.

Ambroise Paré est considéré comme le père de la chirurgie moderne. Certes, ne parlant pas le latin, il n’avait pas accès au savoir comme les médecins contemporains mais comme les textes des Anciens contenaient souvent des informations erronées, cela le servit paradoxalement car il acquit de la sorte une approche fondée sur l’empirisme. Ainsi l’homme haut en couleurs, qui avait des avis péremptoires sur tout, a su promouvoir la chirurgie. Il faudra cependant attendre la Révolution pour que les praticiens soient enfin considérés comme des médecins.
 

Ambroise Paré / Denise Billon, réal., 1963

Pour aller plus loin :

Commentaires

Soumis par Groleau le 25/01/2021

Si Ambroise Paré nomma bien l'étrier par analogie, d'où peut venir le mot "stapédien", qui désigne le muscle actionnant cet os?

Soumis par Nadia Marguerit... le 27/01/2021

Bonjour,

Le terme Stapédien figure déjà dans l'Encyclopédie méthodique. Systême anatomique (1792-1830)
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5841727d/f689.image.r=stap%c3%a9d...
Il vient du latin Stapedius que l'on retrouve employé dès 1668
gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6520844w/f199.image.r=stapedius?rk=21459;2
En latin, étrier se dit Stapia, ae, f
En espérant avoir répondu à votre question
F. Deherly

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