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Utiliser la force de l'eau : le chemin de fer glissant

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En 1889, lors de l'Exposition Universelle à Paris, qui voit le triomphe de la Tour Eiffel, une autre curiosité technique est présentée aux visiteurs : un chemin de fer glissant fonctionnant à l'énergie hydraulique, invention de Louis-Dominique Girard (1815-1871), qui se veut une alternative à la vapeur.

Le chemin de fer glissant, collection Jaquet, 1889

Hier matin, on a expérimenté pour la première fois, à l'Esplanade des Invalides, une invention bien étonnante. Il s'agit d'un chemin de fer glissant sur des patins, sans roues, sans locomotive, sur des rails plats.

écrit Le Petit journal le 22 juillet 1889. C’est un succès, mais un succès posthume pour son inventeur Louis-Dominique Girard, tué en 1871, par une patrouille prussienne "un jour que, l'inventeur monté avec quelques personnes sur un bateau-omnibus se rendait aux avant-postes". C'est son associé A. Barre, ingénieur de l'Ecole Centrale de Paris, qui installe donc, en 1889, le chemin de fer glissant selon le procédé initié par l'inventeur.
Louis-Dominique Girard, "ouvrier illettré qui s'était fait lui-même", obtient en 1843 un prix de mécanique de l'Institut et se spécialise dans le domaine de l'hydraulique, mettant au point de nouvelles turbines, travaux qui forgent sa réputation. Il présente à l'Académie des sciences en août 1852 un premier projet d'un chemin de fer hydraulique, présentation relayée avec enthousiasme par Léon Foucault dans le Journal des débats du 20 août 1852. Il fait également paraître son mémoire Nouveau système de locomotion sur les chemins de fer  pour populariser le recours à l'hydraulique.
L'eau est d'abord uniquement la source de l'énergie motrice. Le fonctionnement, tel que le détaille son concepteur et illustré par le schéma ci-dessous, en est le suivant : des distributeurs fixes, desservis par des tuyaux de fonte sous la voie, assurent l'alimentation de l'eau sous pression, au passage des premiers et derniers wagons. Les puissants jets d'eau (40 mètres par seconde) sur des aubes fixées sous les wagons permettent le mouvement du train.

Louis Dominique Girard, Hydraulique appliquée. Nouveau système de locomotion sur les chemins de fer, 1852.

Louis-Dominique Girard présente ensuite les avantages de son chemin de fer hydraulique : plus de sécurité, moins de heurts et la possibilité d'une vitesse plus importante mais aussi l’ambition de "faire une distribution générale de l'eau à haute pression dans toutes les villes traversées par le chemin de fer" et de récupérer l'eau pour l'irrigation, par un réseau de rigoles. Un tel système serait en outre très économique au regard des dépenses réalisées pour l'achat du charbon. Mais la présentation que Girard réalise auprès de la Société des ingénieurs civils de France, société fondée en 1848 et dont il est membre, est un échec : malgré les réponses apportées par le concepteur aux oppositions, ses travaux, désavoués ne sont pas publiés dans le Bulletin de la Société et ne sont pas suivis d'essais.
Abandonnant un temps ce premier projet, Louis-Dominique Girard réalise plusieurs travaux d'importance : moteur hydraulique dans l'usine Menier de Noisiel, usine élévatrice des eaux de Saint-Maur pour l'adduction en eau potable de Paris.

Le Génie civil, Usine de production de chocolat à Noisiel, Maison Menier, en 1889
 

Ces travaux le font se pencher sur l'utilisation de l'air comprimé. Il imagine alors un nouvel engin, mû par de l'air propulsé et glissant sur un matelas d'air comprimé avant de combiner en 1860 ses deux inventions : un chemin de fer hydraulique et glissant. Le Génie industriel indique ainsi en 1862 :

M . Girard a complété son système de chemin de fer en supprimant les roues, les essieux et les ressorts de suspension de manière à transformer les wagons en véritables traîneaux. 

Afin d'expérimenter son chemin de fer, il fait installer sur sa propriété à la Jonchère, près de Bougival une ligne de 40 mètres légèrement et uniformément inclinée pour permettre l'écoulement de l'eau par gravitation. La démonstration de son chemin de fer hydraulique et glissant aux Tuileries en 1861 devant Napoléon III, puis son passage en 1862 devant la Commission présidée par le Ministre des travaux publics lui permettent d'obtenir des encouragements pour poursuivre ses recherches.

En 1864, Louis-Dominique Girard fait paraître le Chemin de fer glissant, nouveau système de locomotion à propulsion hydraulique, invention dont se fait l'écho la Science pittoresque la même année. En 1867, Girard publie Le Chemin de fer glissant à propulsion hydraulique dans lequel il peut présenter des derniers perfectionnements accompagnés de reproductions d'articles élogieux de journalistes scientifiques tels Louis Figuier ou Paschal Grousset (connu également sous le nom de plume d'André Laurie). Cette publication a d'abord pour objectif d'obtenir des subsides et la concession pour la réalisation de deux lignes de chemin de fer, une de test Bougival-Rueil et une à plus grande échelle Calais-Marseille.

Le rail, le patin et le moyen de propulsion hydraulique sont les trois éléments techniques essentiels du chemin de fer glissant. Le fonctionnement est détaillé par la revue Le Génie civil lors de l'Exposition de 1889. Entre le patin et le rail, quelques millimètres d'eau permettent le glissement. Chaque wagon est équipé de six patins rectangulaires et creux, trois de chaque côté. L'eau nécessaire pour les patins est stockée et mise sous pression dans un tender.
Le mouvement est assuré par des "propulseurs" disposés le long de la voie, alimentés en eau, et qui actionnent les aubes fixées sur les wagons, ainsi que le détaille le Magasin Pittoresque. La Science illustrée explique : "Le mécanicien du train (…) ouvre à distance des robinets ; la première voiture reçoit l'impulsion du jet, qui en agissant sur les aubes, les poussent en avant. Les palettes de la deuxième voiture reçoivent à leur tour le jet, qui la chasse en avant... "

Pour amorcer le dispositif, il faut imaginer des gares en hauteur, afin que le train bénéficie de la gravité au démarrage, ainsi que l'explique Max de Nausouty dans Le chemin de fer glissant de Girard et Barre.
En 1869, Louis-Dominique Girard finit par obtenir la concession pour construire une ligne de chemin de fer entre Paris et Argenteuil mais le projet s'interrompt en raison de la guerre de 1870. Reprenant les travaux de Girard, A. Barre tente une première fois de proposer un chemin de fer glissant en 1878 lors de l'Exposition universelle mais doit y renoncer faute de financement. Il peut dix ans plus tard enfin réaliser une ligne de démonstration pour l'Exposition de 1889.

Lors de l'exposition universelle de 1889, le parcours du chemin de fer glissant, perché sur une structure métallique fait plus de 150 m, le long de la rue Constantine, sur l'esplanade des Invalides ; les cinq wagons accueillent plus de 1200 visiteurs à la vitesse de 7 à 8 m par secondes, selon le Magasin pittoresque. Les propos de Louis Figuier dans l’Année scientifique et industrielle  sont cependant très sceptiques quant à la postérité de l'invention :

Une exposition est en effet le véritable terrain de cette invention mécanique et nous croyons qu'elle amusera les amateurs dans toutes les Expositions futures. Quand à faire servir de moyen régulier de transport, il est évident qu'on ne saurait y songer. Une voie qui exige un tracé rectiligne, sans aucune pente qui ferait refluer le liquide, l'emploi de l'eau qui gèle dans les climats froids en toute saison et en hiver dans les climats tempérés (...) tout cela prouve que le chemin de fer de Girard, comme on le savait déjà depuis longtemps sera un objet de curiosité mais non un agent sérieux de transport.

En 1892, le chemin de fer glissant connaît effectivement de nouveau un succès auprès des visiteurs de l'Exposition universelle de Chicago. En effet, la société Barre Sliding Railway a obtenu le monopole du transport des visiteurs sur un parcours de 1600 mètres. Deux lignes sont prévues pour le train qui  peut atteindre les 150 km/h, comme le précise Le Génie civil en 1891. Le chemin de fer glissant est même une option possible parmi les très nombreux projets qui accompagnent la réflexion sur un métropolitain parisien.

Avec la baisse du prix du charbon puis l'électrification des chemins de fer qui offre une alternative au charbon, le développement d'autres types de transport dont l'automobile, les recherches sur un chemin de fer à l'énergie alternative se font beaucoup plus rares. On redécouvre le système à la fin de la première guerre mondiale, dans un moment de pénurie et de hausse du prix du carburant. La revue La Science et la vie consacre par exemple un dossier aux chemins de fer glissants qui se conclut sur leur possible utilisation dans la construction des chemins de fer d'altitude : "L'heure n'est peut-être pas très éloignée où les voies hydrauliques permettront aux touristes d'accéder sans fatigue et sans risque aux cimes les plus élevées."

A consulter également, le portail du développement durable de la BnF

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