Copie, plagiat, forgerie : les petits arrangements des naturalistes
Naturalistes et illustrateurs ont décrit des milliers d’espèces animales et végétales d’après des spécimens qu’ils ont collectés. Dans certains cas, ils s’affranchissent de la rigueur scientifique pour verser dans le plagiat ou la forgerie, comme Audubon avec l’aigle de Washington.
Les naturalistes n’utilisent pas toujours des sources de première main. Au Moyen Âge, l’autorité des auteurs anciens, comme Dioscoride, prime. Des manuscrits antiques et médiévaux sont recopiés pendant des siècles, y compris les planches. Cela peut rendre l’espèce représentée difficilement reconnaissable, y compris pour des espèces courantes. Les espèces exotiques et mythiques donnent lieu à des représentations particulièrement fantaisistes comme la mandragore ou le bananier. Les premières décennies de l’imprimerie continuent la tradition de l’époque du manuscrit, textuellement et graphiquement.
Matthaeus Platéarius, Livre des simples médecines, ou Herboriste, en français, par ordre alphabétique, 1453
Matthaeus Platéarius, Livre des simples médecines, 15e siècle
Matthaeus Platéarius, Traité des simples médecines, 15e siècle
Matthaeus Platéarius, Livre des symples medichines, autrement dit Arboriste, 15e siècle
Un changement s’opère avec l’arrivée de milliers d’espèces nouvelles, la création de jardins botaniques, la mise en place d’herbiers, l’analyse critique des textes. La durée et la dureté des conditions de transport limitent l’arrivée en Europe de spécimens botaniques et zoologiques. Les naturalistes travaillent sur les récits et les dessins des explorateurs et des voyageurs, sur des spécimens secs ou des cadavres d’animaux. On a longtemps cru que les oiseaux de paradis étaient dépourvus de pattes et ne se posaient jamais car les Européens récupéraient des spécimens auprès de collecteurs locaux qui coupaient les pattes aux animaux qu’ils avaient abattus. L’expédition de spécimens vivants tourne souvent à l’hécatombe avant la mise au point d’équipements comme la caisse de Ward vers 1830.
De 1530 à 1536, dans Herbarum vivae Eicones, Otto Brunfels décrit des spécimens botaniques récoltés dans le sud de l’Allemagne. Ses planches reproduisent même les défauts de la plante comme les flétrissures ou les feuilles grignotées par des insectes. En 1542, dans son De historia stirpium commentarii insignes, Leonhart Fuchs fait représenter les plantes dans un état idéal, faisant voisiner sur le même rameau la fleur et le fruit même s’ils ne sont pas présents au même moment sur l’arbre. Ses planches connaissent une longue postérité car reprises par des auteurs et des éditeurs ultérieurs. En effet, produire des planches coûte cher et les éditeurs les réutilisent comme l’éditeur Plantin à Anvers. Une planche de Mattioli peut servir à nouveau chez Duhamel du Monceau deux siècles après sa création. Cela ne facilite pas la mise à jour des données. Il faut faire preuve d’esprit critique devant les planches comme Charles de l’Ecluse qui estime peu fiable une planche de giroflier utilisée par Cristoval Acosta.
Quand les auteurs citent les sources des textes et des planches qu’ils utilisent, ils appliquent la méthode scientifique. Le problème vient de tous ceux qui ne mentionnent pas leurs sources. Des planches sont ainsi remployées ou copiées sans vergogne, surtout les espèces exotiques inconnues en Europe comme le rhinocéros de Dürer, abondamment recyclé pendant deux siècles. Il est tellement plus facile de recopier une gravure comme le fait Elizabeth Blackwell reprenant le dragonnier chez Charles de L’Ecluse pour illustrer A Curious Herbal basé sur les dessins qu’elle a réalisés au jardin botanique de Chelsea. Il est facile de voir quand une planche recopie une gravure par le fait qu’elle en est la copie en miroir ; en effet, la gravure inverse le sens d’une planche. Chercher les origines et la descendance d’une planche s’apparente souvent à jouer au jeu des sept erreurs.
Fr.-Richard de Tussac, Flore des Antilles, vol 1, Paris, 1808 François Pierre Chaumeton, Flore médicale, vol. 1, Paris, 1833
En histoire naturelle comme en littérature, certains auteurs recourent au plagiat, par facilité. Le célèbre John James Audubon, mondialement connu pour The Birds of America, a malheureusement cédé aux sirènes de la forgerie et du plagiat en prétendant avoir découvert une nouvelle espèce, l’aigle de Washington. Lors d’un voyage en Grande-Bretagne en 1827 pour trouver des souscripteurs, il présente une planche représentant cet oiseau, dessiné d’après nature selon la mention en bas de la planche (« drawn from nature »). Or une planche très semblable est parue en 1820 dans la Cyclopaedia d’Abraham Rees ; une autre planche du même ouvrage montre une serre pareillement semblable à celle d’Audubon. La seule source renseignant cet aigle est le propre récit d’Audubon, ensuite repris par ses amis. Il y déclare avoir abattu un aigle de cette espèce et l’avoir dessiné, mais ne pas avoir conservé ce spécimen.
Pour identifier une nouvelle espèce en biologie, il faut un spécimen qu’on appelle le type et qui fait foi internationalement. Dans le cas d’Audubon, ce type fait défaut et il faut croire Audubon sur parole. Or les textes rédigés par Audubon ne sont pas toujours très fiables comme quand il prétend être né en France alors qu’il est originaire de Saint-Domingue. Sa petite-fille a brûlé son journal, faisant disparaître une source utile. Quand Audubon réalise sa supercherie, il a besoin d’étonner un public de souscripteurs par la qualité de ses planches et par la nouveauté de ses sujets. En déclarant avoir découvert une nouvelle espèce, il présente de l’inédit. Il dédie l’animal au fondateur des États-Unis. Son voyage sera un succès, lui permettant de réunir les fonds afin de continuer son œuvre. Audubon a réutilisé également des planches tirées d’American ornithology, œuvre d’Alexander Wilson, tout en mentionnant ses planches comme « dessinées d’après nature » comme le pygargue à tête blanche ; de même pour le carouge à épaulettes dont il reprend le mâle et la femelle. On repère aussi un cas d’autoplagiat où Audubon réutilise une de ses propres planches.
John James Audubon, The Birds of America, vol. VII, New York, 1856. Bibliothèque centrale de l’École polytechnique fédérale de Zurich sur E-rara
La supercherie d’Audubon ne remet pas en cause tout le reste de son œuvre mais montre la tentation de la facilité. D’autres petits arrangements pris par les naturalistes sont sûrement encore à trouver. La tâche en est rendue plus aisée par la numérisation qui permet de feuilleter rapidement des volumes entiers plutôt que de manipuler de lourds in-folios. Gallica n’attend plus que vos découvertes une fois que vous vous serez pris au jeu.
Pour en savoir plus, plongez dans la sélection Gallica La nature en images.
Matthew R. Halley, « Audubon’s Bird of Washington : unravelling the fraud that launched The Birds of America », dans Bulletin of the British Ornithologists’ Club, 140, 2, 2020, p. 110-141
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