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Le Journal des jeunes personnes ou la nécessaire émancipation des femmes

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26 mai 2020

L'évolution de la condition féminine favorise l'émergence des journaux féminins : 60 titres voient le jour entre 1830 et 1840 dont Le Journal des jeunes personnes. Cette publication mensuelle éditée en 1833 veut éduquer son jeune lectorat pour former son jugement en vue de son émancipation.

Fondée par Sophie Ulliac-Trémadeur qui en assure la «direction morale » jusqu'en 1857, la revue incarne ses convictions suite à un parcours singulier. Née en 1794, Sophie Ulliac est une fille de bonne famille. Son père, ingénieur militaire, s’enrôle dans le corps westphalien mais se retrouve prisonnier. Au retour de sa captivité, il ne peut réintégrer son grade et perd ses revenus.

En parallèle, la santé de son épouse se dégrade, obligeant  la très jeune Sophie  Ulliac à prendre en charge financièrement ses parents. Elle doit son salut à Alexandre Duval, ami de son père, membre de l'Académie française puis conservateur-administrateur de la bibliothèque de l'Arsenal. Il l'encourage à devenir femme auteure.

« Mûrie par le malheur, d'un esprit sérieux » , elle émet quelques réticences à embrasser une carrière littéraire susceptible de l'éloigner de ses valeurs morales. Cependant l'urgence financière  la pousse à persévérer. Elle publie une cinquantaine de romans « moraux » et contribue parallèlement à la réflexion sur la condition des femmes en publiant des articles pour  Le Journal des femmes et Le Conseiller des femmes comme l'illustre cet extrait :

C'est à nous, femmes de prouver nos droits, c'est à nous de répandre parmi les femmes l'instruction qui nous devient à toutes, chaque jour nécessaire ».

Pour constituer le comité de rédaction du Journal des Jeunes Personnes, elle s'entoure en majorité de plumes féminines. Antoinette Dupin, auteure proche de Chateaubriand, s'inscrit dans l'esprit du périodique avec un premier article sur « l’influence de l'éducation sur le bonheur des femmes ».

A une époque où il était rare de voyager, les récits d'aventures sur les usages et mœurs lointains rencontrent beaucoup de succès. Soucieuse de la véracité de ce qu'elle publie, Sophie Ulliac édite les récits de voyages de ses rédactrices comme ceux de la Duchesse d'Abrantes, maîtresse du jeune Honoré de Balzac. Son article sur l'ascension du Vignemale situé à 1760 « toises » au-dessus du niveau de la mer fourmille de détails réjouissants sur ses impressions.

La Comtesse de Bradi, auteure pour divers périodiques féminins, tient une rubrique sur les grandes figures féminines allant d'Eve à Antoinette Des Houlières.Dans un article sur le papyrus, écrit en 1838, elle retrace l'histoire de bibliothèques :

Pendant l'administration de Colbert, sous Louis XIV, on comptait 70 000 volumes ; ils se montent aujourd'hui à plus de 900 000 imprimés et 80 000 manuscrits. Le cabinet des estampes en contient à peu près 1 200 000. Paris a trente-neuf bibliothèques, dont les principales, après celle du roi, sont : celle de l'Arsenal, la Mazarine et celle de Sainte-Geneviève. »

Sophie Ulliac prend également la plume pour dispenser des leçons d'Histoire naturelle illustrées par de magnifiques lithographies.
 


Oiseaux étrangers, Journal des jeunes personnes, 1837

 

A cette époque, l'intelligence, la matière, étaient considérées comme réservées aux hommes et le monde moral aux femmes. Sophie Ulliac militait pour transformer l'éducation des filles et leur statut social mais sans vouloir les sortir du rôle que la société leur avait attribué.
 
Le mensuel illustre ses contradictions, proposant des articles sur l'émancipation des femmes et des rubriques pour former de bonnes maîtresses de maisons, avec les « Arts d'utilité et d'agrément » ou les « Arts ménagers ». La célébration de la vertu par des contes moraux et l'éducation religieuse sont aussi très présentes.

Souhaitant développer la délicatesse du goût de ses lectrices, le journal propose aussi partitions, poèmes, revues des salons des beaux-arts, modèles de broderie et rubriques de mode.
 

Les hommes auteurs œuvrant à éveiller une conscience féministe trouvent leur place dans la revue. Emile Deschamps, proche de Victor Hugo, fait part de réflexions pertinentes encore aujourd'hui :

 Avez-vous réfléchi à certains mots irréguliers de votre langue qui ne prennent pas le féminin comme les autres mots de la même famille ? […] Pourquoi ne dit-on pas peintresse, architecturesse ou poétesse, comme on dit prophétesse ou prêtresse ?[…] Est-ce une des misères de la langue française à qui l'on donne si généreusement des certificats d'indigence ? »

Le Comte de Peyronnet, homme politique, défenseur de la liberté de la presse, apporte également sa contribution :

Les femmes ont un rôle public, une sorte de magistrature et d'office dans les temps de calamité. Leur pays les compte alors pour ce qu'elles sont et s'étonne de la puissance inaccoutumée qu'il leur voit subitement exercer. »

Le Journal des Jeunes Personnes se distingue par ses prises de positions féministes associées à l'enseignement de valeurs morales, l'étude de nombreuses disciplines et des rubriques destinées à former « la délicatesse du goût ». Il reflète les convictions profondes de Sophie Ulliac, résumées dans son autobiographie : « L'émancipation des femmes doit se faire, mais doit se faire en douceur et en acceptant de concilier passions et devoirs, et en assumant cette situation difficile. »

Visant une instruction presque encyclopédique, le mensuel s'attache enfin à l'enseignement de la littérature, des sciences, de l'histoire, de la botanique... car « si la vertu fait seule le bonheur de la vie, l'instruction en fait le charme » !

 

Elsa Fromageau
Bibliothèque Forney

Sources

- Léon Dubreuil, "Une amie d'Henriette Renan, Sophie Ulliac-Trémadeure", dans Annales de Bretagne. Tome 66, numéro 2, 1959. pp. 197-229.
- Isabelle Pannier. "Sophie Ulliac Trémadeure : les contradictions de la vertu", dans Romantisme, 1992, n°77. Les Femmes et le bonheur d'écrire, pp. 33-36.

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