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Pigault-Lebrun (1753-1835)

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27 juillet 2020

Pigault-Lebrun fut, au tout début du XIXe siècle, le "plus fameux romancier de l’époque impériale". Avec une vie qui ressemblait à ses romans, vive, enjouée et mouvementée, il fut un raconteur d’histoires enlevées, gaies, anti-tragiques au possible (à l’opposé du Romantisme qui lui succèdera), bien dans l’air du temps de la Révolution française et de Napoléon Ier.

Pigault-Lebrun, qualifié quelques années après sa mort de "plus fameux romancier de l’époque impériale," a connu une vie mouvementée, comme acteur, prisonnier, douanier, soldat et écrivain. Il aurait (presque) pu être un personnage issu de ses propres récits. Il a marqué, en bien ou en mal, nombre d’auteurs, comme Flaubert qui, en août 1862, notait dans une lettre : "J’ai lu, devinez quoi ? Du Pigault-Lebrun et du Paul de Kock ; ces lectures m’ont plongé dans une atroce mélancolie ! Qu’est-ce que la gloire littéraire ?". Ou Stendhal : "Quant aux hommes que j’honore, je suis fâché de les voir me nier le mérite de Pigault-Lebrun, tandis qu’un mérite de beaucoup inférieur, pourvu qu’il soit dans le genre grave, attire sur le champ leurs louanges".

Quant à ceux qui l’avaient en aversion, ils lui reconnaissaient néanmoins, comme son contemporain Marie-Joseph Chénier, "des traits piquants, des boutades heureuses et des scènes d’un comique original".

Pigault-Lebrun est né Charles-Antoine-Guillaume Pigault de l'Épinoy le 8 avril 1753 à Calais, d’un magistrat qui fut même maire de cette ville. Après des études effectuées chez les Oratoriens de Boulogne, il est envoyé en Angleterre chez un négociant afin d’être initié au commerce. Mais, tombé amoureux de la fille de son patron, le jeune homme l’enlève et les deux fuient sur un bateau pour le Brésil. Cependant, le navire fait naufrage, et la jeune femme périt. Charles-Antoine rejoint alors Calais. Mal lui en prend : son père le fait enfermer par une lettre de cachet ! Après deux ans passés en prison, il s’engage dans une gendarmerie d’élite, et il aurait dit : "Je sors d’une maison royale, et j’entre dans la maison du Roi".

Basé à Lunéville, il se fait connaître par sa gaité, ses duels et son amour des fêtes. Mais ce corps militaire est supprimé, alors qu’il n’a que 23 ans. Revenu à Calais, il séduit la fille d’un commerçant et, à nouveau, la kidnappe. Et l’histoire de se répéter : son géniteur l’envoie à nouveau dans une geôle par une nouvelle lettre de cachet. Néanmoins, cette fois-ci, il parvient à s’évader. Il devient alors comédien en province, puis va jusqu’en Hollande où il se marie avec la fille d’un artisan qu’il a connue à Paris. Son parent, furieux, le déclare mort. Il y aura même un procès, que Charles-Antoine perdra !
 
C’est à ce moment qu’il prend un pseudonyme, Pigault, suivi de Lebrun, du nom de jeune fille de sa mère. Cependant, même s’il ne semble pas très bon en tant qu’acteur, ses pitreries sur scène font qu’il connaît une certaine renommée, notamment à Bruxelles et Liège. Il commence à écrire des comédies : Il faut croire à sa femme (1786), puis Charles et Caroline (1789) qu’il fait jouer à Paris et qui retrace ses démêlés avec son père. C’est un succès. Il est alors admis au Théâtre Français comme régisseur, tout en continuant de faire le comédien et d’écrire. Suivent Le Pessimiste (1789), La Marche provençale (1789), L’Orpheline (1790) ou encore La Mère rivale (1791). La Révolution française a commencé, et il devient l'un des auteurs les plus joués. Il écrira vingt-sept pièces au total, car son inspiration correspond à l’esprit nouveau qui souffle sur le pays. Cependant, lassé un moment de la vie littéraire, il s’engage dans l’armée. Il combat à Valmy, puis devient officier et va acheter des chevaux pour les troupes, s’attaquant au passage aux profiteurs de guerre. Mais, découragé par les tracasseries incessantes qu’il doit affronter, il quitte définitivement la condition militaire.

Il reprend ses pièces, notamment Les Dragons et les Bénédictines, suivi des Dragons en cantonnement, toutes deux de 1793 et deux des plus gros triomphes du temps. Mais déjà le roman le titille. En 1796, il publie L’Enfant du Carnaval, un récit qui fait de lui le romancier de la période, même si ce titre est quelque peu négligé par les histoires littéraires. Ce texte connaît un tel succès que paraît une version érotique qui lui est aussi attribuée, L’Enfant du bordel (1800). Puis c’est toute une série de récits : Les Hussards ou les Barons de Felsheim, que certains considèrent comme son chef-d'œuvre (1798), Angélique et Jeanneton de la place Maubert (1799), M. Botte (1802), Mon oncle Thomas (1799), La Folie espagnole (1799), Jérôme (1804), La Famille Luceval (1806), L’Homme à projets (1807), etc. Il publie également un pamphlet anticlérical, Le Citateur, en 1803, qui aura cependant le malheur de déplaire au Premier Consul Bonaparte.

Son fils meurt dans un duel, sa femme disparaît à son tour. Il se remarie avec la sœur d’un acteur, qui lui donnera une fille. Celle-ci épousera l’avocat Victor Augier, et leur rejeton Emile Augier sera à son tour un écrivain célèbre sous le Second Empire. Pigault-Lebrun devient dans les années impériales agent dans l’administration des Douanes, puis inspecteur des Salines jusqu’à sa retraite, qu’il prend en 1824. Il se fixe alors dans le Sud, près de son gendre, puis revient dans la région parisienne. Il se lance dans une Histoire de France, qu’il arrête cependant au septième volume, peut-être parce qu’elle ne se vend pas : il a sans doute compris que son heure est passée. Il décède longtemps après, à La Celle-Saint-Cloud, le 24 juillet 1835, à l’âge, respectable pour l’époque, de 82 ans.

Les caractéristiques de Pigault-Lebrun sont la verve et la gaieté. S’il arrive des mésaventures à ses personnages, le flot intarissable des épisodes et des péripéties les empêche de devenir pathétiques. S’y mêlent l’extravagance des situations, la vivacité de la trame, le baroque de l’intrigue, parfois la grossièreté vivante du récit. Et aussi l’anticléricalisme appuyé des textes, ainsi qu’une description sociale de la France de l’époque. André Le Breton écrivait en 1901 (Le Roman français au XIXe siècle) : "Ses romans sont presque invariablement l’odyssée incohérente et burlesque d’un enfant du peuple […] qui arrive à la fortune et épouse la fille d’un grand seigneur". Il est amusant, léger, refuse absolument le tragique (au contraire d’un autre grand succès du temps, Atala de Chateaubriand). Il ose même parler de sexe, non de façon obscène, mais naturelle. Sa construction de récit n’est pas rigide, mais souple et colorée, jouant sur les répétitions, l’hétéroclite, où se mêlent réalisme, réflexions philosophiques et digressions à la limite de la vulgarité. Il aime aller à l’encontre des convenances, comme cette fameuse scène des épinards dans L’Enfant du carnaval : la robe de la jeune Suzon est tâchée par ce légume qui trainaît sur la table où a eu lieu l’accouplement qui va donner naissance au héros ; ce détail a beaucoup marqué les contemporains par ce que certains ont considéré comme une trivialité sans borne. On y trouve également du roman d’apprentissage, du récit sentimental, du livre d’aventures, du texte picaresque, de la narration gothique. C’est pourquoi on lui a par la suite collé l’étiquette de père du roman populaire. Avec toujours une touche de comique, d’allégresse authentique.

Il apostrophe parfois son lecteur en parlant de sa façon d’écrire : "La belle chose qu'une forêt pour un faiseur de romans ! Comme il s'y trouve à son aise, lorsqu'il y tient une femme intéressante ! comme les incidens se multiplient sous sa plume féconde ! Les vents sifflent, les chênes se déracinent, sont portés au loin, et entraînent tout sur leur passage".

Il correspond vraiment à cette époque de remise en cause de la société toute entière. Ses héros sont toujours des personnages socialement en bas de l’échelle, toujours en quête d’un père de substitution (on a vu le problème que lui-même avait eu avec le sien), et recherchent, dans une sorte d’épopée burlesque, une ascension sociale, finissant invariablement par se marier avec une belle aristocrate.

Son but principal est de sans cesse dérider ses lecteurs : "Riez donc, mes compatriotes, si j'ai pu être plaisant. Si je ne suis qu'ennuyeux, faites-moi grâce en faveur de l'intention. J'ai voulu vous amuser", dit-il en préambule à son plus grand succès, L’Enfant du carnaval. C’est l’histoire d’un homme conçu par une servante et un curé un soir, tous les deux fin saouls. L’enfant est pris en charge par un Lord anglais qui le fait travailler. Le héros grandit, change son statut de serviteur en celui de confident. Son maître s’écrie d’ailleurs : "Quand un homme, dans mon pays, il se distingue de la classe commune, nous oublions les torts de la fortune, ou si nous nous en souvenons, c’est pour les réparer. Ce jeune homme, il a été mon domestique, il sera désormais mon ami".
 

Il tombe ensuite amoureux de la fille de l’aristocrate britannique, profite de la mort de son père lors de l’indépendance américaine pour se marier avec elle. Le roman se termine à la fin de la Révolution française (contemporaine de la date de publication) après une épopée dans le Paris de la Terreur où abondent couvents ténébreux, escaliers souterrains, pavillons secrets et geôles délabrées et angoissantes. Ce texte correspond parfaitement à l’atmosphère de Thermidor, qui voit à la fois la fin de Robespierre et des avancées sociales. On y trouve des peintures grotesques et bouffonnes suivies de scènes graves et pathétiques, et ces scènes populaires sont rendues avec beaucoup d’esprit et de fantaisie.
 

Très vite, Pigault-Lebrun va être rejeté par la droite pour son irréligion, et par la gauche pour son style considéré comme bâclé et son ton à la limite de la farce. Il ne va subsister que dans les éditions populaires du XIXe siècle. Quelques-uns de ses textes sont encore disponibles, mais on est loin d’une reconnaissance littéraire. Cependant, quelques années après sa mort, un dictionnaire biographique disait de Pigault-Lebrun : "Il y excelle, non-seulement par l'art avec lequel il échelonne ses tableaux mais par l'entraînement et la fougue de ses récits. Il y a bien dans sa manière de conter la furia française que les Italiens attribuent à nos compatriotes ; et s'il n'a pas la profondeur, il a certes la verve de Rabelais et d'Aristophane".

Et son éditeur, Jean-Nicolas Barba, écrivait en 1846 dans ses Souvenirs : "Il se contentait de la faveur du public qui lui ne fit jamais faute, et répondit, pendant quarante ans, à une diatribe ou à un article dédaigneux sur un de ses romans par la publication d’un roman nouveau, c’est-à-dire par un nouveau succès. Peu d’auteurs ont en effet procuré à leurs éditeurs de plus beaux avantages."

Commentaires

Soumis par Aline Annabi le 27/07/2020

Encore un romancier prolifique du XIXe s., étiqueté populaire et donc oublié aujourd'hui, que nous fait redécouvrir ce billet plein de verve et d'anecdotes : merci Roger !

Soumis par Le Gall le 26/10/2020

Je me croyais bien le seul à lire ses romans. Merci à Mr Audrey d avoir refait connaître cet auteur tombé dans les oubliettes .

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