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Les manuscrits Polonsky de Cluny : La lumière du monde

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Plongez avec nous dans l’histoire mouvementée de l’abbaye de Cluny et de ses nombreux manuscrits, maintenant disponible en ligne dans le cadre du programme France-Angleterre, 700-1200.

Si vous êtes intéressés par le Moyen Âge, et plus spécifiquement par le Moyen Âge français, vous avez probablement déjà visité le Musée de Cluny – officiellement Musée National du Moyen Âge – dans le centre de Paris. Baptisé "Musée de Cluny" car situé dans l’hôtel médiéval de Cluny, cet impressionnant hôtel particulier fut construit en 1330 pour les séjours des abbés de Cluny à Paris.
Mais pourquoi Cluny, un monastère situé dans le sud de la Bourgogne, a-t-il fait construire un si grand hôtel particulier à Paris ? Fondé en 910, l’ordre monastique de Cluny est devenu en deux siècles l’un des plus importants d’Europe, ainsi qu’un symbole de réforme monastique. Ce succès est partiellement dû au développement d’un réseau secondaire d’établissements clunisiens. Prieurés ou abbayes, ils étaient tous placés sous l’autorité de l’abbé dirigeant la maison mère de Cluny. Pendant l’abbatiat d’Hugues de Sémur  (1049 – 1109), ce réseau s’est développé dans toute l’Europe – de l’Ecosse dans le nord, à la péninsule ibérique et l’Italie dans le sud.
C’est aussi durant l’abbatiat d’Hugues que commença le projet de construction le plus ambitieux d’Europe à l’époque : Cluny III, la troisième église de Cluny. Avec ses 187 mètres de long et une voûte sur croisée d’ogives s’élevant à trente mètres de haut, elle a été conçue comme un symbole de l’influence et de la richesse de Cluny. La bibliothèque du monastère n’était pas moins impressionnante. Du temps de l’abbé Hugues, elle contenait au moins 570 livres, un nombre conséquent pour la période.

L’abbaye et sa bibliothèque déclinèrent malheureusement à l’époque moderne. Elles furent sévèrement endommagées durant la Révolution, et la collection de la bibliothèque subit de grandes pertes entre la Révolution et le XIXe siècle. Par conséquent, quand les collections entrèrent à la Bibliothèque nationale en 1881, seuls 97 manuscrits et documents y subsistaient.
Grâce à des dons de collectionneurs ainsi qu’à des achats au XIXe siècle, la Bibliothèque possédait déjà un certain nombre des manuscrits de Cluny dans ses collections. Il en résulte que la majorité des documents et des manuscrits subsistant de l’Abbaye de Cluny sont maintenant conservés à la Bibliothèque nationale. 33 de ces manuscrits – ainsi que deux autres conservés à la British Library – ont été numérisés dans le cadre du projet Polonsky France-Angleterre, 700- 1200. Nous vous proposons d’en découvrir quelques-uns.
Le scriptorium d’origine de l’abbaye de Cluny s’est rapidement développé. On a pu identifier un nombre important de scribes qui y travaillaient pendant la seconde moitié du Xe siècle. Les écritures de Airoardus, Hériman, Rotardus, Theotmar, Garnerius, Aldebald, et de l’abbé Maieul lui-même peuvent toutes être reconnues dans les livres ou les chartes rédigés tout au long de l’abbatiat de Maieul (c. 956 – 994).
Cet exemplaire du Commentaire sur l’Apocalypse par Haymon d’Auxerre (NAL 1453) a été copiée par pas moins de trois scribes : Rotardus, Theotmar et Hériman.


Commentaire sur l’Apocalypse, Haymon d’Auxerre 971-994, NAL 1453, f. 1v.
 

Toutefois, au Xe siècle, le scriptorium de Cluny ne semble pas se consacrer à la décoration ou à l’enluminure des ouvrages. Seuls quelques-uns des manuscrits de cette période sont considérablement décorés.
La copie du Livre de Jérémie de Raban Maur, réalisée par Hériman (qui travailla aussi sur le manuscrit ci-dessous), contient une initiale historiée, probablement l’exemple d’art clunisien le plus ancien qui soit conservé.

Au tournant du XIe siècle, les éléments décoratifs deviennent plus courants dans les manuscrits clunisiens. Toutefois, le style n’y est pas toujours cohérent, même au sein d’un même manuscrit, comme le montre par exemple la comparaison de ces deux initiales décorées que l’on trouve dans le Commentaire sur l’Ecclésiaste de Raban Maur (NAL 1461) :

Le O est formé par des oiseaux et des bêtes de toutes sortes qui se mordent et s’entrecroisent, alors que le P est constitué d’un rectangle central de rubans entrelacés, qui se finissent en spirales et arabesques en haut et en bas de la lettre. Même si les motifs des deux initiales sont inspirés par des modèles mérovingiens et carolingiens plus anciens, l’exécution et les couleurs sont tout à fait différentes.
Durant "l’Age d’or" de l’abbatiat Hugues de Sémur, les enluminures du scriptorium de Cluny ont commencé à acquérir une identité propre. Ce développement est probablement dû à  l’afflux d’artisans pendant la construction de Cluny III. La nouvelle église monumentale a fait l’objet d’un programme de décorations à sa mesure, comprenant fresques murales peintes et sculptures en pierre.
Le style unifié en résultant utilise un éventail plus large de coûteux pigments et de matériaux qu’auparavant, et est inspiré par les motifs germaniques ottoniens. Des exemples de ce style se trouvent dans plusieurs manuscrits de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle, telles ces lettrines enluminées dans cette Collection de vies des saints (NAL 2261).

Les lettrines de cette période se caractérisent par des entrelacements élaborés tracés à l’encre rouge pour former la lettre et par des vrilles et volutes formant des rondeaux et se terminant par des feuilles jaunes à trois lobes. Les creux des volutes sont colorés en bleu et un fond de couleur est choisi pour l’initiale (ici le vert), tandis que le contour est d’une autre couleur (ici un violet profond).
Ces mêmes caractéristiques se retrouvent dans les lettrines d’une copie des Sermons sur l'évangile de saint Jean de saint Augustin, produite à la même période (NAL 2247) :

Tous les manuscrits de Cluny ont été numérisés grâce au soutien de la Fondation Polonsky, et sont disponibles sur le site France et Angleterre: manuscrits médiévaux entre 700 et 1200 (consultable en français, anglais et italien). Un site bilingue créé par la British Library est aussi disponible. Vous y trouverez trente articles et de multiples contenus inspirés par les 800 manuscrits du programme.

Emilia Henderson

 

Pour aller plus loin…

  • Art de l’enluminure, volume 33, 2010 volume dédié au 1100 ème anniversaire de Cluny. Voir particulièrement les articles de Charlotte Denoël (pp. 4-27) et  Jean-Pierre Aniel (pp. 58-63).
  • Cluny 910-2010. Onze siècles de rayonnement, édition Neil Stratford, Paris, Editions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2010.

Le programme de la Fondation Polonsky "France-Angleterre 700-1200 : manuscrits médiévaux de la Bibliothèque nationale de France et de la British Library" a permis la numérisation, la restauration, le catalogage ainsi que la valorisation scientifique de manuscrits d’une valeur inestimable, disponible sur le site France-Angleterre Manuscrits Médiévaux. Retrouvez ici tous les autres billets de la série "France-Angleterre 700-1200", et les billets dédiés au programme dans le Carnet de recherche Manuscripta !

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