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Le canal de Suez

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21 novembre 2019

Le 17 novembre 1869 est inauguré le canal de Suez. Il a nécessité de grands travaux et bouleverse l’organisation du commerce mondial. Il devient aussi un objectif stratégique, au cœur de plusieurs conflits.

Panorama del canale di Suez (Panorama du canal de Suez),1884

L’Afrique est séparée de l’Asie par l’isthme de Suez, à l’ouest de la péninsule du Sinaï. L’Egypte connaît dès l’Antiquité un trafic commercial entre ses ports de la mer Rouge et la vallée du Nil. Pour faciliter ces transports, le pharaon Sésostris III relie la branche la plus orientale du Nil à la baie de Suez en passant par les lacs Amers au centre de l’isthme. Ce canal est repris un millénaire plus tard par Néchao II et connaît ensuite une alternance de périodes d’entretien et d’abandon jusqu’à son arrêt définitif au VIIIème siècle. Mais l’idée d’un canal rejaillit périodiquement par la suite comme lors de la campagne d’Egypte. Bonaparte demande à l’ingénieur Le Père une étude sur un canal entre Péluse et Suez équipé d’écluses. En effet, on pense alors que le niveau de la mer Rouge est supérieur de dix mètres à celui de la Méditerranée.

Au XIXème siècle, les Britanniques aménagent un itinéraire terrestre entre Suez et Le Caire pour raccorder les lignes maritimes de Méditerranée et de l’océan Indien. Cet Overland Route est pourvue d’un service de diligences. En France, le courant saint-simonien, favorable au développement industriel, voit dans un canal à Suez un moyen de réunir l’Orient et l’Occident. Son chef, le père Enfantin, crée en 1846 une Société d’études du canal de Suez. Un homme reprend ces projets à son profit : Ferdinand de Lesseps. Diplomate, il a fait connaissance de Saïd Pacha lors d’un premier séjour en Egypte. Ce dernier, devenu vice-roi d’Egypte, accorde son soutien à son vieil ami et à son projet de canal.
Un accord verbal de concession est passé en novembre 1854. Des études de nivellement ont révélé que la différence de niveau entre les deux mers est négligeable. En novembre 1858 est lancée en France la souscription pour la Compagnie universelle du canal maritime de Suez ; elle est close dès la fin du mois. La Compagnie est créée le 15 décembre 1858 et le premier coup de pioche est donné en avril 1859.  Il faut recourir à la corvée pour réunir plusieurs milliers de terrassiers qui doivent dégager la vase du lac Menzaleh. Les Britanniques prennent prétexte de la corvée pour s’opposer au canal. L’arbitrage de Napoléon III amène la suppression de la corvée en échange d’une indemnité pour la compagnie qui doit recruter des ouvriers étrangers et s’équiper en dragues à vapeur pour déblayer le tracé du canal.

Le canal traverse des zones désertes qu’il faut aménager. Sur la côte méditerranéenne est créée Port-Saïd et, à mi-parcours entre les deux mers, Ismaïlia, sur le lac Timsah. Sur la côte de la mer Rouge, Suez existe déjà, point de départ des pèlerins vers La Mecque. Tous ces sites sont sur la rive occidentale du canal. Sur la rive orientale seront construits ultérieurement Port-Fouad, face à Port-Saïd, et Port-Tewfik, face à Suez. Ces nouvelles villes portent toutes le nom de dirigeants égyptiens. Elles attirent une population importante qu’il faut desservir. Un canal d’eau douce est creusé du Nil à Ismaïlia, siège de la Compagnie, avant d’être prolongé jusqu’à Port-Saïd. A l’entrée du canal, Auguste Bartholdi propose un phare : L’Egypte éclairant l’Orient. Le projet n’est pas retenu mais Bartholdi réutilisera l’esquisse pour une autre statue monumentale : la statue de la Liberté à New York.

En 1869, le canal est achevé. L’inauguration est un grand événement. Une grande fête est donnée sur les rives du canal en présence de maintes personnalités dont l’impératrice Eugénie venue sur son yacht. En vue des cérémonies, le khédive commande à Verdi son opéra Aïda sur une idée de Mariette, mais l’œuvre n’est donnée qu’en 1871. Le canal inspire aussi à Jules Verne l’Arabian Canal, une cavité naturelle reliant mer Rouge et Méditerranée et qu’emprunte le Nautilus dans Vingt mille lieues sous les mers.

Le canal bouleverse les voies maritimes, mais aussi la zoologie : les poissons lessepsiens passent d’une mer à l’autre par le canal. Les Britanniques, après avoir tenté d’empêcher la construction du canal, en deviennent pour un siècle les premiers utilisateurs : le voyage de Londres à Bombay prend quarante jours par Suez au lieu de quatre mois en contournant l’Afrique. Les Britanniques disposent d’une série de bases sur la route des Indes : Gibraltar, Malte, Chypre, Aden… Ils rachètent en 1875 la part du khédive dans la Compagnie du canal (44 % des actions) puis interviennent militairement en 1882, prenant le contrôle du canal et des finances de l’Egypte. En effet, la dette du khédive a pris des proportions colossales en raison des taux d’intérêts pratiqués par ses créanciers. Dans le même temps, plusieurs conventions font du canal une voie internationale, neutre même en temps de guerre.
Enjeu stratégique, le canal est menacé par une attaque ottomane en 1915. Il représente un territoire à part en Egypte par sa forte présence étrangère. Beaucoup d’innovations technologiques ou culturelles ont leur première occurrence égyptienne dans la région du canal : le premier syndicat d’Egypte est fondé dans l’isthme en 1893. Le trafic du canal augmente, nécessitant des agrandissements. Le fret évolue et s’oriente vers le transport des hydrocarbures du Golfe par pétrolier. Une raffinerie Shell est ouverte à Suez en 1919. La même année, une grande grève agite les ouvriers du canal ; les Egyptiens commencent à en réclamer le contrôle.

En 1942, les Britanniques stoppent à El Alamein une offensive allemande en direction du canal. Ils disposent de bases militaires dans la zone du canal dont ils évacuent les derniers soldats en juin 1956 devant l’hostilité des Egyptiens. Un mois plus tard, Nasser décide de nationaliser la Compagnie du canal. Il n’a pas obtenu de financement américain pour la construction du barrage d’Assouan et saisit ce qui a été pendant plusieurs décennies la première capitalisation boursière française. Les Franco-Britanniques débarquent sur le canal pour, officiellement, s’interposer entre Egyptiens et Israéliens qui ont envahi le Sinaï, mais doivent reculer devant l’opposition des Américains et des Soviétiques. Un accord est signé à Genève en 1958 pour régler la question : l’Egypte garde le canal tandis que les avoirs de la Compagnie hors d’Egypte forment la Compagnie financière de Suez.
En 1967, Israël, menacé par une coalition d’Etats arabes, frappe en premier, occupant le Sinaï, la Cisjordanie et le Golan en six jours à peine. Le canal, fermé, devient une frontière fortifiée : la ligne Bar Lev. De nouveau, les navires doivent contourner l’Afrique. Leur taille s’accroît considérablement pour rentabiliser le transport. En 1973, l’Egypte, alliée avec la Syrie, lance une attaque surprise qui perce le mur de sable construit par les Israéliens. Ceux-ci sont mis en difficulté mais parviennent à contre-attaquer. Ils doivent néanmoins accepter de négocier et se retirent peu à peu du Sinaï. Le canal est rendu à la navigation en 1975, mais il faut le déminer, le réparer et l’élargir pour pouvoir accueillir de plus gros navires. Les ports sont réaménagés, et un oléoduc construit entre Suez et Alexandrie pour permettre aux pétroliers de traverser le canal à vide.

 Le canal de Suez a joué un rôle majeur dans l’histoire égyptienne, avant même son inauguration. Son financement creuse le déficit égyptien et contribue à la mise sous tutelle du pays par les Occidentaux. Il devient ensuite l’enjeu de plusieurs conflits. Il inspire d’autres projets de canaux : canal de Corinthe, canal de Kiel, mais surtout canal de Panama, interocéanique. Ferdinand de Lesseps en commence le creusement mais ne l’achève pas en raison des difficultés des travaux en zone tropicale : terres instables, situation sanitaire catastrophique, nécessité d’installer des écluses, scandale financier. Les Etats-Unis reprennent le chantier, achevé en 1914, prenant ainsi le contrôle de cette voie stratégique. D’autres projets de canaux interocéaniques ont fleuri au XIXème siècle, de l’isthme de Tehuantepec à la Colombie, mais surtout au Nicaragua. Le sujet reste d’actualité puisque les Chinois ont relancé en 2014 le projet de canal du Nicaragua et que la Turquie compte ouvrir un second Bosphore à l’ouest d’Istanbul.

 

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