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Les playlists de Gallica : du Golfe Persique à la Côte Swahilie

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21 mars 2019

Troisième billet de notre série consacrée aux fonds sonores de Gallica. Chaque mois, musiciens, chercheurs, collectionneurs ou simples mélomanes partagent ici leurs coups de cœur musicaux issus de nos collections numérisées. Notre invité ce mois-ci est David Murray, des blogs Haji Maji et Shellachead.

David Murray est un musicien, graphiste et collectionneur de disques originaire d’Oakland, en Californie. En 2007, il crée le blog Haji Maji pour partager des enregistrements et des informations au sujet des disques 78 tours asiatiques, projet qui trouve son aboutissement dans le coffret "Longing for the Past: The 78 rpm Era in Southeast Asia", publié par le label Dust-to-Digital en 2013 et nominé en 2015 aux Grammy Awards. Il a également produit deux albums de réédition pour Dust-to-Digital consacrés à la Thaïlande et au Maroc : "Luk Thung: Classic & Obscure 78s from the Thai Countryside" (livret de Peter Doolan) et "Kassidat: Raw 45s from Morocco". Créé pour explorer les musiques non-asiatiques, son second blog Shellachead a donné lieu à la publication de plusieurs compilations (https://shellachead.bandcamp.com).
 
David Murray is a musician, graphic designer, and record collector from Oakland, California. In 2007 he created the blog Haji Maji to share music and information about 78 rpm records from Asia, culminating in the Grammy Award-nominated Longing for the Past: The 78 rpm Era in Southeast Asia, published by Dust-to-Digital (2013). Additionally, he also produced two reissue LPs for Dust-to-Digital: Luk Thung: Classic & Obscure 78s from the Thai Countryside (with notes by Peter Doolan) and Kassidat: Raw 45s from Morocco. His second blog, Shellachead.com, was established to explore music from outside of Asia and has resulted in a series of compilations (https://shellachead.bandcamp.com).
 
Pendant plusieurs siècles, la côte est de l’Afrique a entretenu des liens étroits avec le Golfe Persique, l’Inde et au-delà grâce à la "Route maritime de la soie". Les marchands parcouraient alors de vastes distances, longeant la Côte Swahilie depuis Mombasa et Zanzibar pour rejoindre le Yémen et Oman, dans la péninsule arabe, les ports du Koweït et de Bahreïn, et finalement atteindre Bombay. Les cales de leurs dhows étaient chargées d’ivoire, de bois, de peaux de léopard, de carapaces de tortue, d’or, de tissus et, bien sûr, d’esclaves. Plusieurs siècles de cette intense activité commerciale ont donné naissance à une culture littorale très riche où des ports cosmopolites distants les uns des autres étaient souvent davantage connectés entre eux qu’avec l’intérieur de leur propre pays. Art, musique, poésie et cuisine ont tous été exposés à des influences africaines, islamiques et indiennes, ce qui s’est traduit par l’émergence de sociétés riches et complexes. C’est à travers ce prisme multiculturel que je souhaiterais présenter ces trois enregistrements qui, malgré leur éloignement géographique, illustrent les liens culturels nés avec ces anciennes voies maritimes.
Merci à Jonathan Ward et à Gabe Levin pour les informations additionnelles.
 
For centuries the east coast of Africa has been inextricably linked to the Persian Gulf, India, and beyond by way of the “Maritime Silk Road.” Traders were able to traverse vast distances by hugging the coastline from Mombasa and Zanzibar up the Swahili Coast, to Yemen and Oman in the Arabian peninsula, to ports in Kuwait and Bahrain, and further on to Bombay. Their dhows were loaded with ivory, timber, leopard skins, tortoise shells, gold, textiles, and of course, slaves. Centuries of this vibrant trade resulted in a rich littoral culture in which distant cosmopolitan port cities were often more connected to each other than to the interiors of their own country. Art, music, poetry, cuisine, and other cultural aspects were influenced by African, Islamic, and Indian sensibilities, resulting in rich, complex societies. It is through this multicultural lens that I would like to present these three recordings that, while geographically disparate, illustrate the cultural links of these ancient maritime connections.
Thanks to Jonathan Ward and Gabe Levin for additional information.

Saleh Azra Kuwaiti – Yoahidni (Koweït)


 

Les premiers enregistrements de musique arabe remontent à 1903. L’intrépide Gramophone Company britannique est la première à en faire, suivie rapidement par Odeon et par d’autres marques. C’est en 1906 qu’est créé à Beyrouth le premier label arabe, Baidaphon, à l’initiative de la famille Baida. Après avoir enregistré des célébrités locales, ils s’implantent en Égypte et dans d’autres régions du Moyen-Orient. Dans les années qui suivent, Baidaphon enregistre à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, même si leur catalogue reste dominé par des artistes égyptiens. Les premiers enregistrements par Baidaphon de khaleeji, la musique du Golfe Persique, datent de 1927. De nombreux musiciens koweïtiens refusent alors d’enregistrer pour des motifs religieux.  Saleh Azra Kuwaiti, “Al-Kuwaiti" (1908-1986), et son frère cadet Daoud, sont parmi les premiers à accepter de le faire. Les deux frères sont des Juifs du Koweït dont les parents sont originaires de la ville irakienne de Bassorah. Ils sont maîtres de nombreux styles de musique arabe, du maqâm irakien au sawt koweïtien, une musique urbaine créée par Abdallah al-Faraj, un artiste ayant longtemps vécu en Inde. Saleh et Daoud émigrent en Israël dans les années 1950. Certaines de leurs chansons y sont encore populaires.
 
1903 saw the first recordings of Arabic music. The intrepid British Gramophone Company was first, and was soon to be followed by Odeon and others. 1906 saw the establishment of the first Arab-owned label, Baidaphon, which was founded by the Baida family of Beirut. Recording local talent at first, they quickly expanded to Egypt and other parts of the Middle East. In the following years Baidaphon recorded across North Africa and the Middle East, although Egyptian singers came to dominate their catalog. Baidaphon’s first recordings of khaleeji (gulf) music were made in 1927. Although many Kuwaiti musicians refused to record for religious reasons, Saleh Azra Kuwaiti, or “Al-Kuwaiti" (1908-1986) and his younger brother Daoud were among the first who agreed to make records. The brothers were Kuwaiti Jews whose parents had immigrated from Iraqi city of Basra. They were masters of many styles of Arabic music—from Iraqi classical maqam to the Kuwaiti sawt, a genre of urban music founded by Abdallah al-Faraj who had spent many years living in India. Saleh and Daoud emigrated to Israel in the 1950s and many of their songs are still popular.

Sheik Ali Abubaker - Ya Man Ataya (Yémen)

 
Cet enregistrement a probablement été réalisé au début des années 1930 à Aden, une ville portuaire du Yémen. On y entend ce qui sonne de prime abord comme du oud mais qui est en réalité un instrument plus ancien appelé le gambus (ou qanbūs). Le gambus est apparenté à d’autres luths du Moyen-Orient et de Perse, tel le barbat, plus petit que le oud et construit selon une méthode différente. Bien qu’il ait été finalement supplanté par le oud au Yémen au cours du XXe siècle, et rarement enregistré, cet instrument a fait son chemin jusqu’à l’archipel indonésien avec les marchands arabes entre le XIIIe et le XIVe siècles. Il y a donné naissance à un nouveau genre de musique appelé également le "gambus" et toujours joué aujourd’hui.

 
This recording was likely made in the early 1930s in Aden, Yemen’s ancient port city. It features what at first sounds like an oud but is actually an older instrument known as gambus (or qanbūs). The gambus is related to similar lutes from the Middle East and Persia (such as the barbat)—smaller than the oud with a different construction method. Although the gambus was eventually superseded by the oud in Yemen during the 20th Century (and rarely recorded), the instrument had made its way to the Indonesian archipelago with Arab sailors sometime between the 13th to 15th centuries. There it developed into its own genre of music known also as “gambus” which is still played today.

Mutrib Mwinyi-Usi Bin Salim - Sawasawa Maneno Nimezo Nena (Kénya)


 

Cet enregistrement Pathé de 1930 permet d’entendre un magnifique exemple de taarab, genre musical de la côté swahilie de l’Afrique particulièrement présent au Kenya et en Tanzanie. Jeune femme née dans une famille pauvre de Zanzibar, Siti binti Saad est la première artiste en 1928 à enregistrer du taarab sur disque dans les studios d’His Master’s Voice à Bombay. Ses disques connaissent un immense succès et se vendent à plusieurs milliers d’exemplaires. Les exemples anciens de taarab consistent en général en du oud et du violon (ou kamanja, un violon monocorde) joués à un rythme tranquille, avec des influences arabes et indiennes, accompagnant de la poésie chantée. Par la suite, de l’accordéon et d’autres instruments ont été ajoutés aux ensembles. Les disques indiens, et en particulier les musiques de film, ont été très populaires en Afrique de l’Est, autre illustration de cette culture littorale. Dans certains cas, des musiques de film indien ont été réenregistrées en Swahili et des musiciens de taarab ont adapté à leur manière les musiques de Bollywood. Le taarab a connu du succès jusqu’aux années 1970.
 
This Pathé recording from 1930 features a wonderful example of taarab, a genre from Africa’s Swahili coast, especially prominent in Kenya and Zanzibar. The genre was inaugurated on record by Siti binti Saad, a poor, young woman from Zanzibar who recorded for HMV in Bombay in 1928. Her records were extremely popular, selling thousands of copies. Early examples of Taarab usually feature oud and violin (or kamanja, a single-string relative of the violin) played in a relaxed rhythm with Arabic and Indian influences, along with sung poetry. Later, accordion and other instruments were added to the ensembles. Indian records, especially film music, were very popular in East Africa, exemplifying the littoral culture. In some cases Indian film songs were re-recorded in Swahili and later Taarab musicians adapted Bollywood music to their style. Taarab continued to flourish up well into the 1970s.

Pour aller plus loin

Nos pages Sélections consacrées aux fonds sonores.
Haji Maji et Shellachead, les blogs de David Murray.
Notre "Gallica vous conseille" consacré au phonographe.

Commentaires

Soumis par Alex AURE le 04/04/2019

Bonsoir,
Je reste sous le charme de ces musiques du fond des âges, qui respirent le sable chaud et entraînent à s'en étourdir dans d'obscurs et dévoilés paysages d'un Moyen-Orient qui se raconte et, mille et une nuits qui s'éveille, réveille...

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