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Les fables à l'école

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31 mai 2018

Et ne sais bête au monde pire / Que l'Ecolier, si ce n'est le Pédant. La Fontaine n’aimait ni les écoliers ni les maîtres. Les maîtres d’école ne lui en ont pas tenu rigueur, qui ont utilisé abondamment ses fables pour des exercices de récitation et d’écriture, jusqu’à l’actuel ministre de l’éducation qui propose d’offrir un recueil de fables choisies aux élèves de CM2. Comment expliquer ce succès scolaire des fables ? Quels ont été les usages des fables de La Fontaine à l’école et au lycée au cours du XIXe siècle ?

 
 
Le génie de La Fontaine n’est probablement pas étranger à l’affaire mais d’autres raisons entrent en jeu. Les attraits de la fable pour les enfants tiennent évidemment à la simplicité et au charme du récit ainsi qu’au recours à des animaux. Comme le rappellent Hélène Vallotteau et Virginie Meyer dans le billet Les éditions pour la jeunesse des fables de La Fontaine, les fables sont dédiées à un enfant mais sont lues par des mondains. L’ambiguïté du destinataire, adulte ou enfant, est à l’origine des sélections de fables qui fleurissent au XIXe siècle.
Pour l’enseignant, les fables présentent de multiples intérêts, à condition de prendre de multiples précautions.

 

Récitation et leçons de chose

Grâce à leur forme versifiée, les fables se prêtent particulièrement bien à la récitation. Dans Choix de fables de La Fontaine, précédées d'une notice sur sa vie, et suivies de petits dialogues propres à faire sentir aux enfans les règles et les beautés de l'apologue (Eymery, 1815),  J.-C. Jumel prodigue des conseils dans l’art de la récitation des fables par les enfants :

 

Plus étonnamment, les fables constituent un point de départ à des leçons de chose. Le La Fontaine des enfans ou Choix de fables de La Fontaine, les plus simples et les plus morales, avec des explications à la portée de l'enfance, publié par P. Blanchard en 1810, commente longuement chacune des fables dans un but didactique.  Par exemple, la fable de « La Cigale et la fourmi » est le prétexte à huit pages d’explication d’entomologiste sur les cigales et les fourmis :

 

L’enseignement moral

La fable relève du genre très ancien de l’apologue, genre qui remplit une double visée didactique et esthétique. Presque tous les auteurs et éditeurs d’apologues font référence à Lucrèce qui explique, dans De la nature, livre 4 :

Les médecins, quand ils veulent faire prendre aux enfants l'absinthe amère, commencent par dorer d'un miel blond et sucré les bords de la coupe ; ainsi le jeune âge imprévoyant, ses lèvres trompées par la douceur, avale en même temps l'amer breuvage et, dupé pour son bien, recouvre force et santé."

L’apologue vise à faire passer l’amertume de la morale par la douceur du récit. C’est bien  la morale qui constitue le but premier de l’enseignement, du moins en primaire.

Mais la morale de La Fontaine, auteur également de contes licencieux, n’est pas assez conforme à la morale chrétienne partagée par la société française du XIXe siècle. L. Aubanel, dans ses Fables choisies de La Fontaine et de Florian, à l'usage des petits séminaires (1820), souligne bien le danger moral que peuvent représenter les fables :
 

 

Outre les critiques de Rousseau ou de Lamartine, les contradictions entre morale païenne issue d’Esope et morale chrétienne embarrassent certains éditeurs, qui se sentent obligés de justifier la morale par la source antique de la fable, comme le fait Blanchard dans le La Fontaine des enfans.

 

 

Plus généralement, c’est la morale de l’esclave comme on a qualifié la morale des fables depuis Esope qui est critiquée car elle éduque les enfants dans l’idée qu’il faut user de la ruse pour se tirer d’affaire dans une société injuste.
 

 

Les éditeurs vont donc montrer une grande prudence en sélectionnant les fables et en les accompagnant d’introduction et de commentaires. La sélection se fait explicitement en fonction du contenu moral. Il suffit de parcourir les titres des innombrables recueils de fables publiés au XIXe siècle. Préserver la pureté des jeunes lecteurs passe avant l’intérêt littéraire des fables, comme le souligne A. Delalain dans Excerpta, ou Fables choisies de La Fontaine, ouvrage pour les lycées et les écoles secondaires, publié par M. Roger en 1817 :

 

L’intérêt pédagogique des fables est cependant défendu par les auteurs de manuels ou de recueils. Charles Defodon, dans ses Fables... à l'usage des écoles élémentaires... publiées en 1888, s’oppose aux critiques de Rousseau. Mais c’est en fait surtout le recours à la fiction dans l’enseignement, malmenée par le scientisme qu’il défend dans sa préface. Le pouvoir de la fiction sur l’enfant et donc sa vertu dans l’enseignement est réaffirmé :

 

La fiction mais aussi l’art du fabuliste sont source de plaisir pour le lecteur. Gustave Merlet, dans Extraits des classiques français : cours élémentaires : prose et poésie, édité chez Fouraut et fils en 1870, ajoute aux explications de vocabulaire des commentaires littéraires, chose assez rare dans l’enseignement primaire :

 

L’esthétique et la morale se rejoignent, comme le devoir et le plaisir. La conception du Kalos kagathos, cette correspondance entre le beau et le bon, donne à penser que la lecture de beaux textes éveille une belle âme. Cette conception sera sous-jacente dans l’enseignement de la littérature dans le secondaire jusque dans les années 1960. La double nature de l’apologue répond parfaitement aux nécessités de l’enseignement.

 

Au lycée

Dans la première moitié du  XIXe siècle, l’objectif de l'enseignement de la littérature au lycée est d’apprendre à écrire par l'exemple. Il s’agit surtout d’un travail du style  à travers les exercices d'amplification et de traduction. Les auteurs du XVIIe s sont les plus étudiés : La Fontaine arrive en 6e place au baccalauréat entre 1880 et 1925.  Peu à peu, on assiste à la "mort de la rhétorique" au profit de la culture du commentaire. L’explication et la composition remplacent l'amplification.

Dans la Rhétorique appliquée, ou Recueil d'exercices littéraires dans tous les genres de composition française (1850) , J.-A. Guyet se livre à une description de l’apologue très technique et prescriptive. Les principes sont directement empruntés à la rhétorique. L’exercice proposé est  la décomposition de la fable du Chêne et du Roseau :

 

Suivi d’un exercice de réduction :

 

Ce manuel présente un modèle de lecture linéaire. Le texte est décomposé mot à mot : commentaire du sens des mots, repérage des figures de rhétorique, jugement esthétique. Pas d’objectif ou de problématique sinon de montrer "les beautés de la fable":

 

L’analyse des pensées n’est pas menée dans le but de dégager le sens ou les idées du texte mais de vérifier leur bonne conformité au ton et au niveau de langue employés, appliquant en cela les principes d’Aristote.

L’analyse des fables dans un manuel de rhétorique littéraire du milieu du XIXe siècle repose sur les principes de la rhétorique antique, une analyse linéaire, une appréciation esthétique mais pas d’analyse morale qui porterait sur le "sens" du texte. Les outils sont strictement littéraires et rhétoriques.

Par ces quelques exemples, on mesure l’écart entre enseignement primaire et secondaire au cours du XIXe siècle. Les fables de La Fontaine, à la condition d’être sélectionnées et accompagnées de commentaires afin de préserver la vertu des jeunes lecteurs, conviennent parfaitement à la récitation. Au lycée, les fables de La Fontaine, que l’on peut considérer comme de parfaits exemples d’exercices d’amplification à partir d’Esope ou de Phèdre, servent à leur tour à des exercices de rhétorique puis d’explication littéraire.

Mais La Fontaine, "Homère des Français" selon Sainte-Beuve, présente l’avantage de pouvoir être lu à tous les niveaux et donc de rassembler les Français autour d’un grand auteur national. C’est cette place qui lui sera assignée dans l’enseignement de la littérature.
 

Pour aller plus loin

Violaine Houdart-Merot,  La culture littéraire au lycée depuis 1880, Rennes : Presses universitaires de Rennes ; Paris : ADAPT éd., 1998
A lire aussi sur le blog Gallica : Les Fables de Jean de La Fontaine sur le petit écran, en particulier dans les vidéos de la télévision scolaire maintenant numérisées dans Gallica par Réseau Canopé

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