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Napoléon dans la littérature polonaise

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31 mars 2021

Napoléon Bonaparte a durablement marqué l’histoire, l’art et l’imaginaire polonais. Les Polonais lui ont voué un véritable culte en espérant qu’il ferait renaître leur patrie effacée des cartes de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle. Aussi n’est-il pas étonnant que l’épopée napoléonienne inspire la littérature polonaise jusqu’à nos jours.

Les Polonais constituaient la force étrangère la plus importante de la Grande Armée avec près de 100 000 soldats qui se sont distingués par leur courage et leur bravoure au cours de nombreuses campagnes et batailles. Ils manifestaient un dévouement sans borne à l’Empereur des Français et comptaient parmi ses plus fidèles soldats.


Chevau-légers, lanciers polonais de la Garde impériale, 1807-1816. Notes et aquarelles par E. Fort
 

Les légions polonaises, créées en Italie en 1795 sous le commandement du général Jan Henryk Dąbrowski (1755-1818), se sont mises au service de la France afin de combattre les ennemis communs et libérer la Pologne. Le chant des légions dit la Mazurka de Dąbrowski écrit en 1797 par Józef Wybicki (1747-1822), est devenu l’hymne national polonais dès 1920, et traduit cet espoir dès sa première strophe : « La Pologne n’est pas morte tant que nous vivons » en rendant par la suite hommage à Napoléon : « Bonaparte nous a donné l’exemple comment remporter les batailles ». Cette « Marseillaise des Polonais » accompagne les Polonais depuis plus de deux siècles et a revêtu une résonnance particulière aux moments les plus graves de leur histoire.


La Marseillaise des Polonais : composée en Italie, paroles et musique, en 1797 /
par Joseph Wybiçki ; traduit du polonais par Alphonse Pagès, 1863
 

La guerre de 1806 contre la Prusse, l’entrée de Napoléon dans la Pologne occupée et la création du Duché de Varsovie en 1807 ont contribué au développement de la légende napoléonienne dans toute la nation polonaise.


Carte du royaume de Prusse, de la Pologne et de la Lithuanie...
où l'on peut suivre exactement la marche des armées françaises, dressé par Hérisson..., 1806
 

Cette légende trouvera un écho dans les œuvres d’auteurs tels que Kajetan Koźmian (1771-1856), Jan Paweł Woronicz (1757-1829), Marcin Molski (1752-1822) et l’éminent représentant des Lumières polonaises Hugo Kołłątaj (1750-1812). Les familles polonaises n’hésitent pas à choisir pour leurs fils le prénom de l’Empereur des Français à l’instar des parents de Napoleon Orda (1806-1883), compositeur, pianiste, dessinateur et même auteur  de la Grammaire analytique et pratique de la langue polonaise à l'usage des Français publiée à Paris en 1856. Le culte de Napoléon anime les œuvres des trois « poètes-prophètes » romantiques : Adam Mickiewicz (1798-1855), Juliusz Słowacki (1809-1849) et Zygmunt Krasiński (1812-1859).


Adam Mickiewicz
, Catalogue de l'album photographique …
photographié par Coudrette, a Paris, 1862

 

Juliusz Słowacki

 

Le personnage de l’Empereur et la traversée de son armée par la Pologne au cours de  la campagne de Russie constituent la toile de fond de l’épopée d’Adam Mickiewicz  Pan Tadeusz czyli ostatni zajazd na Litwie, publiée pour la première fois en 1834 à Paris où son auteur résidait alors. Cette œuvre d’une grande importance pour la culture et la littérature polonaise est parue en français en 1876-1877 sous le titre de Monsieur Thadée  De « Sopliça » ou Le dernier procès en Lithuanie sui generis : récit historique en 12 chants par Adam Mickiewicz, puis en 1899 dans une traduction de V. Gasztowtt  sous le titre de Thadée Soplitza, ou la Lithuanie en 1812.


Pan Tadeusz czyli, Ostatni zajazd na Litwie, historja szlachecka z r. 1811 i 1812,
we dwunastu księgach wierszem, przez Adama Mickiewicza.
Tom I [-II.] Wydanie Alexandra Jelowickiego... Paryż : w typografji A. Pinard, 1834
 

 

Thadée Soplitza, ou la Lithuanie en 1812,
poème d'Adam Mickiewicz, traduit en vers français par V. Gasztowtt, Paris, 1899
 

Composé de douze chants (ou livres), Monsieur Thadée  retrace la vie d’une famille noble en Pologne après l’arrivée de l’armée de Napoléon perçu comme le libérateur de la Pologne au point que le peuple  considère que « c’est  Dieu qui nous l’envoie » :

Le livre XI, sous le titre évocateur : Année 1812, fait part des espoirs et de l’impatience avec lesquels l’Empereur et son armée sont attendus, accueillis plus loin avec enthousiasme :

« Si vous nous refusez de partir pour la guerre, Criez donc avec nous en levant votre verre : « Hourra pour la Pologne ! » et « Vive l’Empereur ! ».

 
Andrzej Wajda  a relevé le défi d’adapter au cinéma ce monument de littérature polonaise et son film Pan Tadeusz sorti en 1999 dans une production franco-polonaise a remporté un grand succès en Pologne.
Dramaturge et auteur de comédies reconnu, Aleksander Fredro (1793-1876), s’est engagé dans l’armée de Napoléon à l’âge de 16 ans, il a participé à la campagne de Russie et s’est fait prisonnier. Il s’évade et rejoint l’armée française où il sert comme officier d’ordonnance de l’état-major général jusqu’à la défaite de Napoléon. Dans ses mémoires destinées à l’origine au cercle familial, publiées en français sous le titre Sans queue ni tête il narre avec verve et beaucoup d’anecdotes ses expériences et ses convictions acquises au cours de la campagne napoléonienne. 
 
Parmi les batailles de cette époque c’est surtout la charge des chevau-légers polonais au col de Somosierra (1808) au cours de la campagne d’Espagne qui a marqué les esprits et est devenue une légende. L’officier André Niegolewski (1787-1857), qui y a participé, donne sa version des faits dans Les Polonais à Somo-Sierra en 1808, en Espagne. Réfutations et rectifications relatives à l'attaque de Somo-Sierra, décrite dans le IXe volume de l'"Histoire du consulat et de l'empire, par M. A. Thiers", 1854.


Les Polonais à Somo-Sierra en 1808, en Espagne ; réfutations et rectifications relatives à l'attaque de Somo-Sierra,
décrite... par M. A. Thiers, par le colonel Niegolewski,1854
 

Karol Forster (1800-1879), poète et écrivain qui a dû s’exiler en France après l’échec de l’insurrection de 1830 contre la Russie, exprime les sentiments largement partagés par ses compatriotes dans son vibrant hommage à Napoléon La tombe de l’Empereur.


Charles Forster, La Tombe de l'Empereur, 1840, p. 6
 

Au début du XXe siècle, la légende napoléonienne est perpétuée dans les œuvres de nombreux écrivains polonais. L’exemple sans doute le plus remarquable est le roman Cendres de Stefan Żeromski (1864-1925) qui brosse un vaste panorama des guerres napoléoniennes et des Légions polonaises formées aux côtés de Napoléon en Italie, qui sont passées par l’Autriche, la Suisse, l’Espagne et jusqu’à Saint-Domingue. L’adaptation cinématographie d’Adam Wajda, sélectionnée pour le festival de Cannes en 1966, a suscité des débats passionnés dans son pays en raison de son caractère iconoclaste.
 
Legiony (Les légions), roman inachevé de Henryk Sienkiewicz (1846-1916), prix Nobel de littérature en 1905, devait constituer le point de départ d’une trilogie consacrée aux guerres napoléoniennes que la mort prématurée de l’écrivain a interrompue.


Sienkievicz, auteur de "Quo vadis", fait prisonnier par les Autrichiens/ [Agence Rol]
 

Toutefois, l’œuvre qui a le plus popularisé la légende napoléonienne au début du XXe siècle est celle de Wacław Gąsiorowski (1869-1939), auteur aujourd’hui oublié. Son Huragan  (Ouragan), non traduit en français, est devenu en son temps un véritable best-seller connaissant de nombreuses éditions dont une version pour la jeunesse. Gąsiorowski a dédié plusieurs autres romans à cette thématique : Madame Walewska , L’An 1809, etc, non traduits. Il a également édité les Mémoires militaires de Joseph Grabowski, officier à l'état-major impérial de Napoléon Ier : 1812-1813-1814.

Mémoires militaires de Joseph Grabowski, officier à l'état-major impérial de Napoléon Ier: 1812-1813-1814,
publiés par M. Waclaw Gasiorowski. Paris : Plon-Nourrit et Cie, 1907
 
 

L’intérêt pour l’épopée napoléonienne ne faiblit pas auprès des auteurs polonais contemporains. Le maître du reportage historique, Marian Brandys (1912-1998) retrace les grands événements de cette époque à travers le prisme des destinées individuelles et particulièrement de celles des chevau-légers polonais qui se sont distingués au cours de la bataille de Somosierra (1808). L’auteur de Kozietulski i inni (Kozietulski et les autres) et du cycle Koniec świata szwoleżerów (La fin du monde des chevau-légers), non traduits en français, nous livre un vaste panorama de l’époque et avec le sort de nombreux héros polonais dont le colonel Jan Leon Kozietulski, le général Jan Henryk Dąbrowski et le prince Józef Poniatowski mort noyé dans la rivière Elster lors de la retraite après la bataille de Leipzig.

Son livre sur Marie Walewska, « épouse polonaise de Napoléon » est considéré comme le plus honnête parmi les écrits qui ont tenté de démêler le mythe et la réalité dans ses relations avec l’empereur des Français. Ce sujet a inspiré également des cinéastes dont le plus célèbre reste l’américain Clarence Brown qui a confié le rôle de Marie à Greta Garbo.


[Recueil. "Marie Walewska" film de Clarence Brown], 1938
 

L’épopée napoléonienne est toujours un sujet de prédilection pour Waldemar Łysiak, écrivain, architecte, historien de la culture et de l’art et titulaire d’une thèse de doctorat sur un aspect moins connu de l’action de Napoléon, notamment son génie en matière des fortifications : Napoleon fortyfikator. Parmi ses romans, le seul traduit en français est Échec à l’empereur qui croise la fantasmagorie et un certain réalisme.
L’abondance et la permanence de la thématique napoléonienne dans la littérature polonaise où la légende dorée domine largement sur la légende noire, tendent à confirmer les propos de l’historien Édouard Driault (1874-1947) que « la Pologne est plus napoléonienne que la France ».
 
Pour aller plus loin

Commentaires

Soumis par Nicolas Lemaitre le 31/03/2021

Merci pour ce blog très bien fait.
Je ne savais pas que Napoleon avait aussi fortement marqué la littérature polonaise.
100 000 soldats polonais dans la Grand Armée ! Je comprends mieux le culte pour sa personne.
Bravo

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