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La pluralité des mondes, des sciences à la littérature (1)

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29 juillet 2019

L'homme semble s'être toujours interrogé sur le ciel, la lune et les étoiles qui brillent la nuit. Que peut-il bien y avoir là-haut ? Partons à la découverte de la pluralité des mondes, de ces univers inconnus, étranges, inquiétants et fascinants qui ont servi de sujet d’étude aux scientifiques et inspiré l’imaginaire littéraire, dont celui du merveilleux-scientifique. 

Henry de Graffigny. De la terre aux étoiles (1892)

La pluralité des mondes, évocation des autres mondes habités, des autres formes de « vie » est incluse dans les mythes et cosmogonies anciens  avec l’existence d’un être suprême, d’êtres supérieurs ou d’êtres supra-humains ; on n’évoque pas réellement un peuple céleste ayant une nature humaine, mais plutôt un ensemble de divinités.

Pour les « atomistes » grecs et romains de l’Antiquité, notre monde a été créé par une matière composée d’éléments indivisibles qui entrent en collision, les « atomes » (du grec atomos, « insécable »), et de vides entre ces particules. L’atomisme est un processus de la nature qui est reproductible ailleurs : les mondes sont donc en nombre infini, tout comme les atomes.
Des philosophes scientifiques tels Leucippe, Epicure, Pythagore, Lucrèce ou bien Plutarque parlent de vie ailleurs que sur notre planète. Mais d’autres comme Platon et Aristote contestent cette vision et considèrent que la Terre est seule à détenir la vie, modèle qui va dominer le monde intellectuel, religieux et scientifique jusqu’au XVIe siècle. Ce qui n’empêche pas d’avoir des exceptions face à ce modèle dominant, comme Lucien de Samosate au IIe siècle, qui imagine les habitants de la Lune dans son conte L’histoire véritable, précurseur de la fiction spatiale, thème repris bien plus tard dans le merveilleux-scientifique.
Au Moyen Age, l’atomisme et la pluralité des mondes se heurtent fortement au géocentrisme (la Terre est au centre du monde) et à la vision chrétienne de la primauté et de l’unicité universelle de l’être humain, émanation vivante de la création divine toute puissante. Cependant à la fin du Moyen Age, des personnages religieux parlent de la possibilité d’autres mondes tout en s’opposant sur la divinité de tels mondes : Jean Buridan ou Nicolas de Cuse croient à la création divine des vies extra-terrestres, tandis que d’autres comme Guillaume d’Ockham ou Nicole Oresme croient en d’autres mondes sans intervention de Dieu ; Thomas d’Aquin quant à lui croit que Dieu peut créer un autre monde mais qu’effectivement il n’en a créé qu’un seul, la Terre.                                                          
Vers la fin de la Renaissance, la pluralité des mondes est remise en avant avec l’arrivée en 1513 du modèle héliocentrique de Nicolas Copernic, modèle soutenu ensuite par Giordano Bruno dans De l'infinito, universo et mondi (1584). Dans son ouvrage, Bruno postule l'existence d'une infinité de soleils et de planètes potentiellement habitées. En 1608, Johannes Kepler écrit Le Songe ou l'Astronomie lunaire dans lequel un explorateur humain découvre les habitants de la Lune.

Au XVIIe siècle, René Descartes, bien que rejetant l’atomisme, croit en l’existence d’une multitude de corps, donc d’êtres vivants, et propose l’idée de tourbillons potentiellement habités autour des soleils. Christian Huygens, un des grands astronomes de l’époque, mentionne la possible existence de vie extraterrestre dans son ouvrage sur la pluralité des mondes ou dans le Cosmothéoros. Dans la littérature de ce siècle, citons également Pascal qui parle d’emboitement des mondes et de l’infinité des univers, ou bien Savinien Cyrano de Bergerac qui écrit L'Histoire comique des Etats et Empires de la Lune, ainsi que l'Histoire comique des Etats et Empires du Soleil, dont les habitants ont des corps transparents laissant voir leurs organes. Athanasius Kircher, autre grand savant et astronome, envoie son alter ego Theodidacte visiter Mars, Vénus et Mercure dans Athanasi Kircheri itenerarium extaticum, transport par l’esprit qui sera un des thèmes du merveilleux scientifique. Avec The man in the moon, l’Anglais Francis Godwin imagine des Lunaires semblables aux hommes mais vivant mille ans et répartis en trois classes sociales différentes selon leur taille.
 

Au XVIIIe siècle, le philosophe Emmanuel Kant écrit : « dans l’empire de la nature, les mondes et les systèmes ne sont que de la poussière de soleils vis-à-vis de la création entière », soulignant que les mondes potentiellement créés et donc existants sont plus nombreux que nous pouvons le croire, bien qu’ils finissent par être détruits et remplacés par d’autres. Emmanuel de Swendenborg nous explique dans Les merveilles du ciel et de l’enfer et des terres planétaires et astrales que c’est Dieu qui a créé des mondes multiples. Ailleurs est bien là, quelque part.
Dans le même temps, du côté de la littérature imaginaire, le danois Ludvig Holberg expédie son personnage Nicolas Klimius dans un monde sous-terrain pourvu de quatre planètes : Nazar habitée par des arbres intelligents, La Martinie par des singes, Mézendore par des instruments de musique marchant sur un pied et Quama par des sauvages. Voltaire évoque la venue sur Terre d’un habitant de Sirius, Micromégas, mesurant cent vingt mille pieds (plus de 36 kilomètres), et un autre venant de Saturne qui ne mesure que six mille pieds (environ 2 kilomètres). Voltaire fait allusion aux lois de la gravitation encore peu connues, se réfère à la mécanique spatiale totalement inconnue et fait voyager Micromégas de planète en planète, sur des rayons solaires ou sur des comètes, utilisation romancée et transformiste des sciences de l’époque, comme le feront plus tard les auteurs du merveilleux-scientifique. On peut aussi mentionner Restif de la Bretonne qui fait voyager son personnage Multipliandre sur la Lune et les planètes du système solaire grâce à la métempsychose et invente notamment des Mercuriens doués de télépathie, deux thèmes liés à la psychologie et la transmission par la pensée qui se retrouveront dans le merveilleux-scientifique.
Enfin, n’oublions pas Jonathan Swift qui écrit les Voyages du capitaine Lemuel Gulliver en divers pays eloignez, dans lequel son héros est transporté à Lilliput, Brobdingnag, Laputa, Balnibarbi, Glubbdubdrib Luggnagg ou Tilibet. En une seule œuvre, Gulliver préfigure abondamment le merveilleux-scientifique : il rencontre notamment les habitants d’une île flottante dont les savants se mettent dans une sorte de transe prolongée pour réfléchir à longueur de temps ; ou bien des personnages vivant jusqu’à vingt-quatre ans au maximum ou au contraire des immortels qui vieillissent et prennent une forme spectrale, et dont le gouverneur nécromancien peut communiquer avec les morts apparaissant sous forme de fantômes. Les rencontres à la fois physiques et psychiques du merveilleux-scientifique sont donc déjà évoquées.
 

A la fin du XVIIIe siècle, l’existence extra-terrestre est mise en avant par Fontenelle. Dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, il évoque les peuples des planètes du système solaire. Sans aller jusque là, D'Alembert écrit dans l'article "attraction" de L'Encyclopédie :

« l’univers est caché pour nous derrière une espèce de voile, à travers lequel nous entrevoyons confusément quelques points ; si ce voile se déchiroit tout à coup, peut-être serions-nous bien surpris de ce qui se cache derrière ».

Au XIXe siècle, à une époque où sciences et foi s’opposent et se déchirent encore, l’imaginaire côtoie de plus en plus le rationnel et la pluralité des mondes s’impose plus fortement dans les esprits du public. La connaissance de l’univers progresse et influence l'imaginaire littéraire, jusque dans ses formes poétiques. Les interrogations se structurent de plus en plus autour d'êtres supérieurs ou extra-terrestres, et des possibilités de l’intelligence humaine à concevoir l’inconcevable, à voir et matérialiser l’invisible, à imaginer possible ce qui paraît impossible.
 

Les écrits de l’époque incitent les lecteurs à laisser libre court à leur imagination, à leur libre-arbitre en ce qui concerne la pluralité des mondes, préfigurant déjà un pan de l’imaginaire du merveilleux-scientifique à venir. Ainsi en est-il d’une fausse publication parue en 1835 sous le nom de l’astronome anglais William Herschel qui prétendait que les habitants de la lune étaient des hommes avec des ailes de chauve-souris ; forme reprise au siècle suivant par Gustave le Rouge, un des auteurs du merveilleux-scientifique dans Le prisonnier de la planète Mars. On retrouve ce thème de l’homme chauve-souris dans un poème signé A. F. B., « Le verre magique ou le nouveau monde lunaire », qui rappelle des instruments inventés quelques dizaines d’années plus tard par deux auteurs ayant inspiré le merveilleux-scientifique : « l’œuf de verre » d’H. G. Wells et le « verre martien » de l’Abbé Moreux, qui permettent de visualiser les mondes lointains.                                             
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la vulgarisation des sciences participe grandement au développement de cet imaginaire et fait l’objet de nombreuses publications savantes et de fictions. Camille Flammarion évoquent ces civilisations dans La pluralité des mondes habités, Les mondes imaginaires et les mondes réels : voyage astronomique pittoresque ou bien encore dans Les terres du ciel : voyage astronomique sur les autres mondes.
Camille Flammarion souligne aussi que la vie n’est pas forcément intelligente sur les autres mondes mais qu’elle peut le devenir comme sur Terre. Quant à la communication, ce grand scientifique évoque déjà les mystères du transport dans le temps et l’espace, préfigurant des idées qui inspireront plus tard les auteurs du merveilleux-scientifique. 
François Arago, autre savant défenseur de l’existence de la vie sur d’autres planètes, propose même cette existence au cœur de la fournaise du soleil. Dans sa « théorie des quatre mouvements », Charles Fourier parle d’« omnivers » qui serait un ensemble d’univers composé de tourbillons d’astres tournant autour de soleils, reprenant en cela la théorie des « tourbillons » de René Descartes. Quand Giovanni Schiapparelli et d’autres astronomes de renom observent des mers et des canaux sur Mars, l’hypothèse de l'existence d’eau sur la planète rouge vient soutenir la possible présence d’habitants extra-terrestres. Les martiens (re)naissent et avec eux les autres habitants stellaires, même si la pluralité et l’habitabilité des mondes constituent de vastes thèmes, toujours sujets à de nombreuses discussions et interprétations.
Les scientifiques eux-mêmes, comme le géologue J.-B. Rames, témoins des merveilleuses découvertes des sciences de leur époque, imaginent leur propre univers. Imagination qui amène scientifiques et romanciers à concevoir d’autres théories scientifiques ou romanesques. Ainsi Abraham Sébastien Crozes invente-t-il en 1872 le télégraphe céleste qui non seulement transmet les messages mais fait aussi office d’appareil photo (photo transmissible) et d’appareil de topographie. Ainsi André Laurie n’hésite-t-il pas à faire se rapprocher la Lune de la Terre par attraction magnétique dans Les exilés de la terre (1887). Encore plus extraordinaire, Louis Boussenard, dans Les secrets de M. Synthèse (1888-1889), propose que les Terriens se déplacent sur d’autres mondes sans bouger de leur planète ; pour cela il suffit de déplacer l’axe de la Terre en modifiant sa forme et donc son orbite solaire.
Les sciences, en cette fin de XIXe siècle, sont au cœur des récits et souvent les extra-terrestres sont présentés comme ayant des civilisations plus avancées que la nôtre, comme dans Un monde inconnu : deux ans sur la Lune, par Pierre de Sélène. Sciences et imaginaire sont là pour faire voyager le public de plus en plus loin, vers d'autres horizons, vers d'autres mondes.     

Pour aller plus loin

Le merveilleux-scientifique. Une science-fiction à la française est une exposition gratuite visible sur le site François-Mitterrand du 23 avril au 25 août 2019, aux horaires d'ouverture de la BnF.
 
Lire les articles consacrés au "Cycle-Merveilleux scientifique" dans le Blog Gallica.
 
Pour lire des récits merveilleux-scientifiques dans les fonds Gallica, une carte aux trésors, sous la forme d'une bibliographie en ligne.
 
Pour se promener dans la richesse visuelle et iconographique du mouvement, un compte Instagram.

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