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Aux origines de l’analyse économique des crises

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29 avril 2015

C’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que se développe l’intérêt des économistes pour l’étude des crises économiques, comme le montre le concours de travaux de recherche sur leurs causes et leurs effets convoqué par l’Académie des sciences morales et politiques en 1860.

Crise du charbon à Pavillons-sous-Bois, Agence Rol, 1916

Le vainqueur est Clément Juglar (1819-1905), premier économiste à formuler une théorie sur les cycles économiques à partir de l’étude des crises commerciales et financières. Un numéro de la Revue européenne des sciences sociales lui est d’ailleurs dédié en 2009 et nombre de ses écrits se trouvent sur Gallica, notamment le travail lauréat, qui constitue la première édition de son œuvre phare Des crises commerciales et de leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis (1862). Il utilise des méthodes qui ont toujours cours dans l’analyse des crises, comme par exemple l’analyse de séries statistiques. Il identifie par ailleurs des causes qu’on évoque encore à propos de la crise actuelle, tels que les excès du crédit ou les facteurs psychologiques, et l’on trouve dans ses écrits des termes tels que « abus de crédit » et  « overtrading »  ou « crédulité du public » et « goût du jeu ».

Mais il avait déjà développé ses arguments dans des travaux antérieurs :  Des crises commerciales, publié dans l’Annuaire de l’économie politique et de la statistique de 1956 et « Des crises commerciales et monétaires de 1800 à 1857 », publié dans les numéros d’avril et mai du Journal des Economistes en 1857. Il expose encore son analyse dans les entrées « Crises commerciales » qu’il rédige pour deux dictionnaires :  le Dictionnaire général de la politique de Maurice Block, dont cette entrée est éditée en tiré à part en 1863 et le Nouveau Dictionnaire d’Economie Politique coordonné par Léon Say et Joseph Chailley.

A partir de séries statistiques, il formule des courbes prévisionnelles utilisant  des outils mathématiques mis au point par un contemporain pionnier de l’économie mathématique, Augustin Cournot, auteur notamment de Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses.

Cependant, l’ouvrage de Juglar est loin d’être le seul de son époque à traiter ce sujet, comme en témoignent de nombreux articles consultables dans Gallica. On peut, par exemple, citer, par Victor Bonnet,  Questions économiques et financières à propos des crises (1859) et celui sur la crise de 1863-64 en France intitulé « L’Enquête sur le crédit »  et publié en deux fois dans la Revue des deux Mondes en 1865 : « La crise monétaire de 1864 et ses origines » et « La monnaie fiduciaire et le capital de la Banque de France ».

Des aspects tels que le rôle du crédit et de la spéculation dans l‘origine des crises et les explications psychologiques des comportements qui les déclenchent apparaissent aussi dans diverses entrées de dictionnaires. On les trouve par exemple dans « Crises commerciales » et « Crédit » rédigées par Charles Coquelin pour le Dictionnaire de l’Economie politique édité sous la direction de MM Coquelin et Guillaumin en 1852 ou à l’entrée « Crise » du Dictionnaire politique : encyclopédie du langage et de la science politique de 1860, avec la signature C.S., qui pourrait correspondre à Jean-Gustave Courcelle-Seneuil, Enfin, le côté salutaire des crises, mis en avant par Juglar sur la couverture de son ouvrage phare apparaît dans l’entrée crises commerciales rédigée par Joseph Garnier  pour le Dictionnaire universel théorique et pratique du commerce et de la navigation de 1859.

Marcheurs de la faim se chauffant dans un abri provisoire, Acme Newspicture, 1932
 

Les crises et les analyses se succèdent. Ainsi, l’article de Paul Leroy-Beaulieu « La baisse des prix et la crise commerciale dans le monde : causes alléguées, remèdes proposés », paru dans la Revue des deux Mondes en 1886, précède de trois ans la deuxième édition de l’œuvre de Clément Juglar, qui compte deux fois plus de pages que la première et dont on trouve un compte rendu de Jean-Gustave Courcelle-Seneuil dans le Journal des économistes d'octobre-décembre 1889.

A l’instar de la crise de 2008 dont les conséquences se font toujours sentir, la crise de 1929 suscita simultanément, de la part des responsables politiques et des opinions publiques, des reproches aux économistes pour ne pas avoir été capables de la prédire et des demandes d’explications et de mesures pour en sortir. Il s’ensuit un regain d’intérêt pour l’histoire des crises et pour leur analyse par la théorie des cycles économiques. Alberto da Veiga Simões raconte tout cela dans les premières pages de son cours « Crise et intervention » donné à l’Académie de droit international de la Haye en 1934, où il présente ensuite un panorama complet de l’état de la recherche tant en Europe qu’aux États-Unis. Plusieurs auteurs français y figurent, dont les ouvrages ne sont pas encore, pour la plupart, libres de droits. Mais leurs articles le sont, et on peut les consulter dans Gallica.

Ainsi François Simiand publie-t-il en 1932 deux ouvrages, un d’histoire et un autre d’analyse : Les fluctuations économiques à longue période et la crise mondiale et Recherches anciennes et nouvelles sur le mouvement général des prix du XVIe au XIXe siècle. Les travaux de cet auteur, sociologue, historien et économiste, suscitent des réactions d’horizons divers. Ainsi, en 1932, suite à son ouvrage Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie, l’économiste  Gaëtan Pirou publie l’article « Une théorie positive du salaire » dans la Revue d’économie politique et Maurice Halbwachs « Une théorie expérimentale du salaire » dans la Revue philosophique. Marc Bloch publie en 1934 dans la Revue historique « Le salaire et les fluctuations économiques à longue période ».

Albert Aftalion est le principal théoricien français du cycle, auteur des Crises périodiques de surproduction, en deux volumes, dont il publie une première version intitulée « La réalité des surproductions générales. Essai d’une théorie des crises générales et périodiques » en quatre chapitres dans les numéros d’octobre 1908 et février, mars et avril 1909 de la Revue d’économie politique. En janvier 1910 paraît dans cette revue une critique de Charles Gide à laquelle l’auteur répond dans « La réalité des surproductions générales – réponse à quelques objections » publié en mai 1910.

Ce parcours de l’analyse économique des crises par les textes pionniers et par ceux des chercheurs français des années 1930 montre que l’étude des crises économiques a nécessité dès le début une approche interdisciplinaire, intégrant dans un premier temps l’histoire et la statistique et ensuite la sociologie. Quant aux facteurs psychologiques, aujourd’hui d’actualité, ils étaient déjà présents dès l’ouvrage fondateur de Clément Juglar. D’ailleurs, comme le relève Juglar lui-même dans son ouvrage, c’est seulement au moment des crises que « l’on s’efforce de chercher des remèdes […] car […] on ne songe plus à [leur] retour ». L’analyse des crises s’avère ainsi aussi cyclique que l’objet qu’elle étudie.

Carmen Guy - Département Droit, économie, politique

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