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Elsa Schiaparelli, créatrice excentrique

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Inventivité, audace et humour caractérisent les créations d’Elsa Schiaparelli. Celle qui ne savait pas bien coudre compte pourtant parmi les grands stylistes à partir des années 30. Avec elle, la mode est devenue un spectacle ! Retour sur ses débuts grâce à Gallica.

Schiaparelli dessinée par Christian Bérard, Vogue, mai 1937

 

Schiaparelli, pionnière du sportwear

Ses premières créations, conçues pour la ville et les loisirs, datent de 1927 et présentent d’étonnants sweaters ornés de motifs géométriques cubistes ou de papillons. Elsa Schiaparelli crée notamment le premier pullover tricoté offrant un motif en trompe-l’œil, un grand nœud sur fond noir et blanc, qui rencontre un immense succès. Elle devient grâce à lui la reine du tricot et le tricot devient immédiatement un vêtement chic ! Ce sont les prémices de ce qui s’appellera plus tard le « sportwear ».

Les États-Unis s’arrachent cette nouveauté venant tout droit de Paris, les commandes affluent, le patron du tricot est copié dans Le Ladies’home journal, ce qui fut le début d’un long litige entre magasins parisiens et magasins outre-Atlantique.

Les loisirs sportifs sont en pleine effervescence auprès de la classe aisée dans les années 20. Elsa Schiaparelli prend conscience de la nécessité pour la mode de s’adapter et concilie admirablement chic et sport, ce qui lui vaut une réelle reconnaissance dans la profession. En 1931 elle crée la jupe-culotte. Cette création choque parfois, particulièrement en Angleterre, avant d’être acceptée.

 

L’excentricité au service de l’art

Le début des années 30 voit l’émergence dans sa ligne des épaules marquées et des coupes aérodynamiques concentrées dans le dos des robes.

C’est la recherche de l’originalité voire de l’excentricité joyeuse qui guide les créations de Schiaparelli. Faune et flore l’inspirent. Le jabot des oiseaux lui sert à structurer des vêtements, à créer des motifs pour des fermetures, à imaginer des revers semblables à des ailes. Adepte des contrastes, Elsa Schiaparelli cultive les oppositions et se joue des extrêmes : elle libère largement les décolletés mais crée une écharpe qui cache jusqu’à la bouche ; elle ose placer des fermetures éclair sur de somptueuses robes du soir.
Son inclination pour la fantaisie, le décalage plein d’humour et la recherche du saugrenu la conduisent à fréquenter le cercle des surréalistes alors en pleine ascension dans les années 30.
En 1936, elle travaille avec le peintre surréaliste Salvador Dali. A partir d’un dessin qu’il lui offre représentant une femme portant un costume tailleur ressemblant à un semainier avec tiroirs intégrés en bois, elle crée pour la collection hiver de 1936-1937 toute une série déclinée sur le thème.  De Dali, Elsa Schiaparelli reprend également le motif du homard pour une collection de vêtements de plage en coton et, plus étonnant encore, pour une robe du soir ! Son fameux chapeau en forme de chaussure à talon aiguille, c’est avec Dali qu’elle le crée également.

La couturière est très liée au monde des artistes dada puis surréalistes. Après avoir rencontré la femme de Picabia sur le paquebot qui l’emmène en France, elle côtoie l’avant-garde de l’entre-deux-guerres. Ces liens amicaux enrichissent son travail. C’est le cas non seulement de Dali, mais aussi de Jean-Michel Frank qui décore son appartement londonien, la maison de couture place Vendôme et des flacons de parfum, de Man Ray, d’Alberto Giacometti et Meret Oppenheim, qui créent des bijoux. Elle fréquente également Jean Cocteau qui participe à ses créations et qu’elle voit notamment au Bœuf sur le toit, lieu mythique des fêtes parisiennes de l’entre-deux-guerres.

Très sensible à l’art, voyageuse impénitente, Elsa Schiaperelli s’appuie sur un vaste ensemble de références culturelles, d’autant plus qu’elle est issue d’une famille d’intellectuels italiens. Elle est élevée au palais Corsini par son père, Celestino, professeur de langues orientales à l’université, et par sa mère, Marchesa Maria de Dominicis, descendante des Médicis. Son oncle, Giovanni, est un astronome célèbre. La couturière passe son enfance à Rome où elle observe la fantaisie baroque, les couleurs du Sud, le sens de la mise en scène dans cette ville-musée ainsi que l'apparat du Vatican. Très jeune, elle publie des poèmes érotiques dans le recueil Arethusa. Sa famille, choquée, l’envoie en pension en Suisse. Déjà d’un caractère bien trempé, elle fait une grève de la faim pour s’en échapper, puis prend ses distances avec sa famille. Elle quitte Rome pour Londres, puis New York et enfin Paris après son divorce. Ce début de vie en rupture avec l’ordre établi la rapproche sans doute du milieu artistique parisien d’après-guerre.

Ce sens du spectacle lui inspire une de ses collections mythiques, celle de 1938, qui reprend les codes du monde du cirque. Les imprimés fantaisistes de la collection présentent des chevaux empanachés, des cerceaux ou des clowns. C’est le premier défilé qui s’offre véritablement comme un spectacle, entrecoupé de performances d’artistes, innovation à laquelle seront fidèles Thierry Mugler en 1984, Martin Margiela en 1989 ou encore Alexander Mc Queen en 2004.

Comme de nombreux autres couturiers, à l’instar de Lanvin, Jean Patou ou encore Lucien Lelong, Elsa Schiaparelli ne tarde pas à lancer une gamme dans le domaine de la parfumerie. En 1936, elle crée un parfum qu’elle nomme par esprit de provocation « Shocking », dont le flacon conçu par la peintre surréaliste Léonor Fini reprend les formes plantureuses de l’actrice Mae West. Le parfum est à l’origine de toute une gamme de cosmétiques.

Une mode joyeuse et décalée

La plupart de ses parfums commencent par la lettre « S » comme Snuff, Salut et Le Roy Soleil, lettre devenue marque de fabrique associée à son nom, choix qui s’avère judicieux en termes de marketing et que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres collections.

Sac en cuir vernis noir en forme d’étui à jumelles géant, petites écrevisses rouges en guise de fermeture, gants laissant à nu le pouce et l’index, bonnet à trou laissant voir les cheveux, poissons en plastique en guise de boutonnière, tailleur brodé de bouches en métal rose, gants se boutonnant comme des guêtres, Elsa Schiaparelli est également connue pour ses accessoires pour lesquels elle ne cesse de cultiver la fantaisie.

 

Chapeau Schiaparelli garni de jasmins roses, Vogue, juillet 1939

 

D’une manière générale, les créations d’Elsa Schiaparelli sont une ode à la couleur vive, parfois même volontairement criarde. On y retrouve du rouge, du violet,  du mauve, du bleu vitrail, du jaune soufre et du vert glauque, du jaune-canari, du bleu-vert écossais, ou encore du « rouge pirate » et du « bleu sleeping », de multiples couleurs, en somme, qui sont reprises dans sa gamme de rouges à lèvres. Celle qui reste associée à son nom est cependant sans conteste le rose.

Il n’est pas étonnant que la femme d’affaires Elisabeth Arden s’inspire au début des années 30 de ses créations pour lancer une nouvelle gamme de vernis : « Poussin » de couleur jaune d’or ou « Petit bois » d’un vert pâle iridescent d’or.

Il ne faudrait cependant pas réduire le travail stylistique d’Elsa Schiaparelli à une constante outrance de couleurs et à une recherche systématique d’exubérance dans les motifs ou la coupe. Ses collections peuvent également être d’une sobre élégance. Après les créations de Jean Patou ou d’Edward Molyneux, elle crée par exemple en 1940 le magnifique modèle de la célèbre silhouette sirène avec une robe fourreau très longue moulant le corps de la femme. La tenue sublime les formes de la femme, tout en chic et en sobriété.

Elsa Schiaparelli est aussi attentive aux tissus. Elle cherche les innovations et apprécie de jouer avec différentes matières. Un crêpe de soie évoque ainsi l’écorce d’arbre au fort pouvoir évocateur et  dessine une silhouette allongée. Elle utilise aussi des matériaux nouveaux comme la cellophane mais aussi la rhodophane, un nouveau tissu évoquant le verre ou d’autres tissus comme le Linatik et le Suédavel.
Elle est aussi la première à utiliser le tissu camouflage en haute couture, avec son art du détournement bien connu.

Pleinement consciente de son art unique, elle participe au mouvement de protection des créations de haute couture, initié par Madeleine Vionnet et la génération précédente de couturiers. Ainsi sous ses modèles apparaît souvent la mention « Modèle déposé P.A.I.S - reproduction interdite ». La Protection Artistique des Industries Saisonnières est une association qui défend la constitution d’albums de copyright.

 

Elsa Schiaparelli, la plus parisienne des Italiennes

Elsa Schiaparelli fréquente le tout-Paris, est invitée à des soirées où son look est remarqué et à des bals mondains, comme celui de Reginald Fellowes en 1935 par exemple où elle se fait photographier par Horst P. Horst. Elle côtoie des personnalités en vue : elle habille l’aviatrice Amy Johnson, l’actrice Michèle Morgan, Wallis Simpson, Marlène Dietrich, une des ferventes clientes de Schiaparelli, fréquente l’actrice Grace Moore et bien sûr Arletty.

Elsa Schiapparelli embellit la femme moderne, à son image. Elle puise aussi son inspiration de la France et plus particulièrement de sa capitale, Paris, dont il lui faut « l’atmosphère vibrante et magique de la ville qui crée la mode ». La France lui a permis de passer du statut de divorcée désargentée à celui de créatrice de mode reconnue à travers le monde.

La période de la Seconde Guerre mondiale révèle ce lien fort. Italienne naturalisée française, son statut est menacé avec l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. D’abord confiante dans sa capacité à maintenir sa maison à flot, elle part aux Etats-Unis en juillet 1940 après l’invasion de la France. Elsa Schiaparelli accepte la proposition de faire 42 conférences dans 42 villes américaines.

« Ambassadrice » de la France dès les années 1930,  elle cherche à soutenir son pays d’adoption comme le montre pendant la guerre l’affaire de la saisie aux Bermudes d’ampoules de vitamines à destination des enfants français.

Les idées me viennent surtout quand je suis en automobile. [Mais] pour faire d’une inspiration soudaine un projet précis, il me faut Paris.

La fin d’une époque

Après la guerre, Elsa Schiaparelli  se heurte à diverses difficultés même s’il y a des présentations de modèles tous les jours dès 1945. Tout d’abord, la rareté du tissu surenchérit le prix des robes alors que la population est appauvrie.

La créatrice signe des contrats de licence aux Etats-Unis notamment pour des lunettes griffées et des sacs-filets métalliques, dans ce pays où elle reste une référence en matière de haute couture.

Cet apport financier ne lui permet pas de surmonter ses difficultés économiques, d’autant plus que se rajoute le mouvement social de 1947. Pour elle, si les ouvrières font grève « c’est du sabotage » à quelques semaines de sa présentation. Pourtant les petites mains veulent voir leur faible salaire augmenter, notamment par rapport aux hommes, et améliorer leur activité en dents de scie rythmée par les collections saisonnières. Elles obtiennent finalement gain de cause. La situation de la haute couture ne s’améliore pas en 1948, beaucoup de maisons ferment ou licencient. Une autre grève a lieu en 1949 dans les ateliers de couture, « cousettes, essayeuses et vendeuses » sont les premières à découvrir ses collections. L’avènement du New Look marque aussi l’émergence de couturiers masculins ainsi qu’une concurrence accrue dans le milieu de la haute couture.

Les difficultés financières et ce changement d’ère dans la mode contraignent Elsa Schiaparelli à fermer sa maison en 1954, non sans avoir contribué à former Hubert de Givenchy ou Pierre Cardin. Son nom reste dans les esprits. Ainsi dans les années 2000, la maison est reprise et s’installe même dans les locaux historiques place Vendôme en 2012.

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Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité
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