Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Les faits divers de Gallica, affaire Brierre épisode 2 : le procès

0

Le procès d’Édouard Brierre, accusé d’avoir assassiné ses cinq enfants, s’ouvre le 16 décembre 1901 à la cour d’assises de Chartres. Des « présomptions graves » pèsent sur l’accusé, mais il a toujours protesté de son innocence...

Édouard Brierre au banc des accusés, Le Matin du 17 décembre 1901

L’Aurore  rappelle que « l’instruction s’est poursuivie péniblement sous la pression d’une opinion publique qui se montrait aussi féroce qu’elle avait été compatissante le premier jour pour l’accusé […] L’affaire reste donc mystérieuse et on s’attend à des débats passionnants au plus haut point. »

 

Un accusé impassible

Près de cinquante journalistes de la presse parisienne et d’Eure-et-Loir sont présents. « Aucun procès, peut-être, n’en réunit autant dans une ville de province depuis celui de Dreyfus » (La Presse).  À  la lecture de l’acte d’accusation, Brierre « ne manifeste rien, ni l’indignation d’un innocent, ni le repentir d’un coupable, ni la douleur d’un père dont les enfants ont été assassinés. » Le Gaulois  voit dans son visage « une sorte de modèle destiné à accompagner une démonstration sur les traces que laissent sur un visage humain ces deux passions : la férocité et la ruse. »

brierre_salle_daudience.jpg

La salle d'audience du procès, Le Matin, 24 décembre 1901

L’interrogatoire de Brierre par le président du tribunal durera presque dix heures. « Monsieur le président Belat va, en un long monologue, exposer avec un soin méticuleux les charges de l’accusation. Mais M. le président n’est point de la nouvelle école […] Il est avec le ministère public et lui prépare la besogne » (Le Figaro).  L’Écho de Paris voit dans cet interrogatoire « un véritable réquisitoire » au cours duquel le juge Belat n’est pas disposé « à tolérer la moindre discussion ».  Brierre s’en tient à des dénégations, se plaignant auprès du juge : « Vous parlez continuellement, je ne puis placer un mot » (Le Petit journal).

brierre_belat.jpg

Le Président Belat, L'Echo de Paris, 17 décembre 1901

 

Les témoins n’ont pas réussi à faire la lumière

Quatre-vingt-sept témoins sont ensuite interrogés. Parmi ceux-ci, Véronique Lubin, « pour la main de laquelle l’accusé aurait fait de ses cinq petits enfants l’effroyable hécatombe que l’on sait » (La Lanterne). Elle est décrite comme « petite, très laide, âgée d’environ trente-cinq ans, la taille mal serrée dans une jaquette à la mode des villes » (L’Intransigeant). « C’est pour devenir le mari de cette pauvre fille, maigre, mal attifée, au teint hâlé, que Brierre aurait tué ses cinq enfants ! » (L’Écho de Paris). Les auditions des témoins laissent les journaux déçus : « nous restons à chercher le mobile du crime incompréhensible et barbare que ne parviennent à expliquer […] ni l’intérêt ni la passion de Brierre » (La Lanterne). « On a entendu des gens qui n’ont rien vu et surtout rien entendu car le nombre de sourds est, dans ce pays, presque impossible à fixer » (L’Écho de Paris). « Les dépositions des témoins n’ont pas réussi à faire la lumière […] et aucun de nous n’oserait affirmer sur son honneur et sur sa conscience que c’est Brierre qui a assassiné ses cinq enfants » (L’Aurore). L’Intransigeant considère cependant que « Brierre a perdu du terrain », et que « si le mobile qui a pu le guider demeure encore incertain, la matérialité de sa culpabilité devient de jour en jour plus terriblement probable. »

brierre_temoins.jpg

Quelques témoins au procès, Le Matin, 19 décembre 1901

 

La journée des experts

La cinquième audience est « la journée des experts de Paris […] avec lesquels on discutera la grosse, la décisive question des taches de sang sur les effets de l’accusé » (Le Figaro). Le médecin Dudefoy mime la manière dont Brierre aurait pu se blesser pour simuler son agression. Il lui fait ensuite revêtir les vêtements retrouvés cachés dans la cour, tachés du sang de ses enfants. Le Figaro compare ce procédé à « une lugubre séance d’essayage » ; La Lanterne juge la démonstration « très laborieuse ». « Pour résumer toute cette discussion […] la science admet comme possible la thèse de l’accusation […] ; c’est possible, c’est même probable, mais ce n’est pas certain » (Le Petit Journal). Finalement, « cette audience, qui devait tout trancher, n’a donc rien résolu » (Le Figaro).

brierre_experts_0.jpg

Les experts présentant des pièces à conviction, Le Matin, 21 décembre 1901

 

Le témoignage de Germaine Brierre

La sixième audience est marquée par le témoignage de la seule fille survivante d’Édouard Brierre, Germaine, la fille, qui était à Paris le soir du massacre. La veille de son témoignage, le chroniqueur Henry Fouquier publie un long billet dans Le Temps, « Pour Mlle Brierre » : « Il y a quelque part à Paris, cachée je ne sais où, une créature humaine qui souffre la douleur la plus poignante qui puisse être soufferte. C’est vous, Mademoiselle, jeune fille presque enfant, qui serez demain probablement la fille du condamné. »

brierre_fille_0.jpg

Portraits de Germaine Brierre dans L'Echo de Paris et Le Petit Parisien du 22 décembre 1901

L’envoyé du Petit Parisien raconte la scène « des plus douloureuses » : « un silence véritablement impressionnant succède au tohu-bohu […] Germaine Brierre, vêtue de deuil, s’avance en pleurant. » Elle tombe à genoux « et, tendant ses petits bras vers le président et les juges, d’une voix […] étouffée par les sanglots : Je demande qu’on me rende mon Papa. Je demande qu’on l’acquitte. Il était bon pour nous. » Pour L’Écho de Paris  « c’est une oppression, c’est un cauchemar lent à se dissiper ; tous les spectateurs ont le cœur serré ; beaucoup, même parmi les jurés, pleurent. » Et de conclure : « il ne reste plus qu’à entendre le réquisitoire et la plaidoirie. Espérons qu’ils dissiperont le malaise qui plane sur l’affaire. »

 

Le verdict

Les débats sont clos et « l’affaire reste ce qu’elle était, mystérieuse et angoissante » (Le Gaulois) : « Quelle tâche que celle des jurés, de ces douze juges à qui la loi a donné le droit de tuer […] La vérité est qu’il n’est personne aujourd’hui qui puisse prétendre que Brierre est innocent, mais personne non plus qui puisse dire : j’ai la preuve qu’il est coupable ».  Le 23 décembre, le procureur Voisin prononce son réquisitoire. Voisin demande aux jurés de la « fermeté » et « un châtiment proportionné à l’atrocité du crime » (Le Matin). Paul Comby, l’avocat de Brierre, avait annoncé une plaidoirie de sept heures ; elle dure en fait à peine une heure et demie et est jugée très sévèrement par Le Gaulois : « Il a donné à tous l’impression pénible que provoquent les efforts d’un stagiaire désigné d’office […] Jamais pour ma part je n’ai entendu plus pitoyable défense. »

Le jury rend son verdict après une heure et demie de délibérations : Brierre est reconnu coupable avec préméditation de l’assassinat de ses cinq enfants. Quand le président Belat annonce la peine de mort et que Brierre est emmené, celui-ci « s’adresse aux jurés d’une voix qui ne tremble pas : Messieurs, vous pouvez être certains que vous avez condamné un innocent » (L’Écho de Paris).

 

Ce billet s'appuie principalement sur : Alain Denizet, L’affaire Brierre. Un crime insensé à la Belle Époque, Paris, Les éditions de la Bisquine, 2015, 317 p., préface d’Alain Corbin.

 

À suivre le 6 mars : Brierre au bagne

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.