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La traversée de Paris à la nage : les grandes heures d'une course mythique

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24 juillet 2024

Interdite par arrêté préfectoral depuis 1923, la baignade dans la Seine est un rêve pour les Parisiens, surtout en période de canicule. Pourtant, la « Traversée de Paris à la nage » a réellement existé. Revenons en images sur ce grand événement populaire et médiatique dans les premières décennies du XXe  siècle.

Traversée de Paris à la nage, photographie de presse Agence Rol, 1918

1905 : la première traversée de Paris à la nage

S’il y a déjà eu des courses de natation dans la Seine à la fin du XIXe siècle, la traversée de Paris à la nage de 1905 est la première course de longue distance.

Elle est organisée conjointement par le journal L’Auto, créateur du Tour de France, et Georges Moëbs, président de la SNEN (Société nationale d’encouragement à la natation). Le parcours fait 11,6 kilomètres du pont National (XIIe et XIIIe arrondissements) au viaduc d’Auteuil (XVIe arrondissement).

Elle a lieu le 10 septembre, un dimanche, jour chômé choisi pour permettre à un maximum de spectateurs de se déplacer. Finalement, il n’y a que huit candidats, tous nageurs confirmés : les Anglais Nuttal, Billington, Burgess et Holbein, les Français Paulus, Bougoin et Poullitou et la célèbre Australienne Annette Kellermann (1886-1975), âgée de 18 ans. Les favoris sont Nuttal, Billington et Burgess. Miss Kellermann vient de tenter la traversée de la Manche et elle a échoué de peu. A l’arrivée, il ne reste que quatre nageurs. Après bien des écueils, Annette Kellermann arrive 4e en quatre heures et cinquante-huit minutes, à plus de quatre-vingt-dix minutes du vainqueur, Paulus. Celui-ci remporte l’épreuve en 3 heures et 29 minutes.

Miss Kellermann pendant la traversée, La Vie au grand air, 15 septembre 1905, p. 761

D’après L'Auto, 500 000 personnes se sont massées le long des quais de Seine. C’est un véritable succès :

Les berges de la Seine pendant toute la traversée de la Coupe de Paris étaient noires de monde. Nous espérons que cette grande épreuve fera beaucoup pour l’extension du beau sport de la natation. »

La Vie au grand air, 15 septembre 1905

Les deux traversées de Paris à la nage de 1906

Devant un tel succès, une deuxième édition est tout de suite envisagée. Cependant, un désaccord apparaît rapidement entre Georges Moëbs et L’Auto. Deux courses ont donc lieu en juillet 1906 : une le 15 sur un parcours de 12 kilomètres, orchestrée par le journal L’Auto et destinée aux professionnels et une deuxième le 29 du mois sous l’égide du journal Les Sports et de la SNEN, réservée aux amateurs. Seize compétiteurs se présentent sur la ligne de départ dont trois femmes : Annette Kellermann, grande favorite, l’Autrichienne Rosa Frauendorfer et l’Anglaise Dora Herxheimer. Finalement, Miss Kellermann et Rosa Frauendorfer se classent 7e ex aequo, Annette Kellermann améliorant d’une heure son temps de l’année précédente. Dora Herxheimer finit en dernière position et cinq concurrents ont abandonné en cours de route.

« La traversée de Paris à la nage », Armes et sports, 30 juillet 1906, p. 269

En 1914, la compétition « amateurs » a eu lieu en juillet, deux semaines avant la déclaration de guerre, mais la course professionnelle qui aurait dû se dérouler en août n’a pas lieu du fait des circonstances. En 1917 et 1918, la course pour les professionnels peut reprendre car le front est loin de Paris.

Après la Première Guerre mondiale, la manifestation du départ s’étoffe et ses besoins logistiques s’accroissent. Dépassé par les enjeux sportifs et médiatiques, L’Auto abandonne l’organisation de l’épreuve au profit du Petit Parisien, quotidien national tirant à plus de 1 500 000 exemplaires. A partir de 1922, la  traversée est sous l’égide de la FFNS (fédération française de natation et de sauvetage) avec le parrainage du Petit Parisien. Elle a lieu fin août ou début septembre. Une autre traversée concurrente est lancée par Le Journal. Comme elle a lieu en juillet, les Parisiens peuvent apprécier deux courses de natation dans la Seine à un mois d’intervalle.

1926 : les grandes heures de la fête de l’eau

Le Petit Parisien, une du lundi 23 août 1926 (extraits)

Malgré l''ordonnance du préfet de Paris du 17 avril 1923 (document sur le site des bibliothèques spécialisées de Paris) interdisant de se baigner dans la Seine, l’édition 1926 est une grande fête populaire qui rassemble un million de spectateurs du pont National à la passerelle Debilly (au niveau de l'actuel musée du quai Branly).

Le Miroir des sports, 23 août 1923, p. 116

Elle est renommée la « Fête parisienne de l’eau ». La traversée à la nage est doublée d’une course d’avirons le jour. Une parade d’embarcations illuminées et des feux d’artifice émerveillent la foule durant la soirée. Le Petit Parisien fait de la course un des grands événements médiatiques de la saison estivale qui s’inscrira dans la mémoire et l’imaginaire du peuple parisien.

Ce fut la fête de l’eau, mais surtout la fête de la Seine. Car tous les Parisiens étaient là. Nous n’osions escompter un pareil succès : un million de spectateurs faisant la chaîne […] du pont National à la passerelle Debilly. […] La fête de nuit qui fut un poème de lumière, évocateur des fastes vénitiennes, compléta la fête du jour, où le lyrisme du spectacle faisait un cadre de beauté au poème de l’effort »

Le Petit Parisien, 23 août 1926

Traversée de Paris [à la nage, arrivée à la passerelle Debilly] : photographie de presse, Agence Rol, 30 août 1925

Dans les années trente, c’est le Français Jean Taris (1909-1977), nageur aux multiples records européens et mondiaux qui remporte plusieurs fois la course et termine sa carrière lors de l’édition de 1936. A la même époque, chez les femmes, Marguerite Mahieux, du Cercle des nageurs de Marseille, et Monique et Lucette Berlioux, filles de la célèbre nageuse Suzanne Berlioux, collectionnent les victoires.

Traversée de Paris à la nage : Mademoiselle Mahieux, gagnante, catégorie dames : photographie de presse, Agence Mondial, 1932

Dans les années quarante, le Swimming-Club relance la natation dans la Seine avec le mécénat du quotidien Paris-Soir. La fin de la Seconde Guerre mondiale sonne le glas de cette épreuve mythique.

Vers les Jeux olympiques de 2024

En 1990, Jacques Chirac, alors maire de Paris, avait promis qu’il se baignerait dans la Seine : s’il n’a pas tenu son engagement, l’idée a en revanche marqué les esprits.

En 2012, l’association Paris swim présidée par Stéphan Caron, champion français de natation, souhaite faire revivre la légendaire traversée de Paris à la nage. Elle propose deux courses sur la Seine : une de 10 km pour les nageurs chevronnés avec 300 places et une de 2,5 km pour tout le monde du pont d’Iéna au parc Citroën avec 3 000 places ouvertes à l’inscription. Elles sont prises d’assaut en moins d’un mois, ce qui prouve un véritable engouement pour la natation dans la Seine. Cette course n’a finalement pas eu lieu, la préfecture refusant de donner une dérogation pour des raisons de pollution de l’eau et de perturbation du trafic fluvial.

En juillet 2023, Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris, affirmait : « Nous nous baignerons dans la Seine ! » mais à quelques semaines des Jeux olympiques, la qualité de l’eau n'était toujours pas satisfaisante pour la tenue des épreuves de nage libre malgré d'énormes et coûteux travaux d'assainissement . Il semble cependant que les épreuves "en eau libre" du marathon natation et du triathlon auront bien lieu dans la Seine comme promis. De quoi relancer la légende.

Pour aller plus loin

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

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