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"Le Calicot", de l’estampe satirique au journal parodique

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25 juillet 2023

"Le Calicot", publié par le journal satirique Le Tintamarre en 1874 est un pastiche de vengeance publié dans le cadre d’un conflit public et dont l’origine remonte à la « Guerre des Calicots » de 1817.

Calicot, sens propre et métonymique

Le calicot (de la ville indienne Calicut) est un tissu de coton de qualité ordinaire. Au XVIIIe siècle, ce terme n’apparaît que dans les récits de voyages. Sa fréquence augmente fortement à partir de 1800, alors que la production et le commerce se développent en France. Rapidement, par métonymie, un deuxième sens d’un registre familier apparaît pour qualifier le vendeur, « employé de magasin de nouveautés », cf. le Dictionnaire de la langue française (1873) d’Émile Littré. L’usage de ce surnom péjoratif va devenir extrêmement fréquent à partir de l’été 1817 au point de devenir aussi un synonyme de « jeune élégant idiot et prétentieux » Le terme disparaît du langage courant au milieu du XXe siècle.

« Le Calicot » du Tintamarre

L’équipe du Tintamarre dirigé par Léon Bienvenu dit Touchatout et Alfred Delilia annonce dans son numéro du 23 août 1874 la publication du « Calicot, organe du Madapolam ».

Avis, 1ère page du Tintamarre, 23 août 1874

Sur deux pages, et publié au milieu du journal, les pages 4 et 5 se faisant face, cette parodie de journal inventé décline de nombreuses rubriques. Le programme, passage obligé d’un numéro 1 lors de la création d’un nouveau titre caricature deux caractéristiques du calicot : sa prétention et son égotisme.

Détails de la 1ère page du "Calicot"

Le Premier Paris (article politique placé en tête, remplacé ensuite par l’éditorial) est détourné en « Premier Madapolam », terme utilisé pour désigner un tissu calicot de qualité supérieure. Ce texte joue sur le double sens (propre et figuré) du vocabulaire du commis.

« Non amnis moriar » insiste sur le métier et l’identité de cette profession, et se prolonge avec le « Guide du Calicot » qui stigmatise la réplique commerciale du vendeur et ses « Commandements ».

Détails des 1ère et 2e  pages du "Calicot"

Les jeux de mots et blagues se poursuivent dans les rubriques « Pensées d’un Commis sans guelte », « Calicot-autographes », « Rossignols » ou « La chanson du Calicot ». La guelte est une prime accordée au vendeur qui réussissait à écouler des rossignols, marchandises démodées et invendables.

Détails des 1ère et 2e  pages du "Calicot"

La rubrique « Lu dans la presse » est transformée ici en « Coups de ciseaux ». Le rez-de-chaussée parodie le style des romans populaires de Xavier de Montépin et inverse le procédé du roman-feuilleton publié dans la presse qui instaure le suspens en jouant sur la longueur et le fractionnement des chapitres.

Rez-de-chaussée de la 1ère page du "Calicot"

On trouve toutes les rubriques, jusqu’aux annonces, professionnelles et matrimoniales, et les publicités.

Détails des 1ère et 2e  pages du "Calicot"

Les articles sont signés de noms farfelus ridiculisant les calicots comme « Raoul de la Bandoline », mais s’y glissent aussi de véritables rédacteurs du Tintamarre comme Alfred Delilia et Hippolyte Briollet. Les noms des enseignes sont imaginaires ou détournées : Les grands magasins de l’Été pour Le Printemps, le Magasin du Grand Abeylard pour À la Nouvelle Héloïse ou Les Trois mandarins pour Les Trois quartiers.

« L’avis aux journalistes » laisse entendre l’existence d’un conflit ancien et d’une rivalité, mêlant susceptibilité et prétention :

Détails de la 2e page du "Calicot"

La Folie Beaujon

Ce « passé » des calicots renvoie à la Restauration, où éclata la « Guerre des Calicots ». La mode des parcs d’attraction bat son plein à partir de la création des Montagnes russes (1816) et rapidement chaque quartier a ses Montagnes. Cette « montagnomanie » décrite par Le Rôdeur français engendre des concurrences et les élégants calicots aiment s'y montrer.

L’été 1817, le nouveau lieu de promenade des Parisiens, La Folie Beaujon (les Montagnes françaises), se trouve dans le quartier des Champs-Élysées. Le médecin François Frédéric Cotterel publie même ses Promenades aériennes ou Montagnes françaises considérées sous le rapport de l'agrément et de la santé

La Vogue des Montagnes, reproduit en noir et blanc dans La Monographie du VIIIe arrondissement de Paris d’Hippolyte Bonnardot ; Caroline Naudet, Jardin Beaujon Montagnes françaises

Les Montagnes russes avaient déjà inspirés les vaudevillistes et trois pièces de théâtre prennent pour sujet « La Folie Beaujon » : La Folie Beaujon ou les Promenades aériennes est joué au théâtre de l’Ambigu-Comique le 10 juillet, puis le 12 juillet La Folie-Beaujon ou Une heure avant l’Ouverture au théâtre du Vaudeville et Le Combat des montagnes ou La Folie-Beaujon au théâtre des Variétés. Le Journal général de France rend compte de ces deux dernières pièces de vaudeville dans le même article, au moment de l’inauguration du jardin Beaujon, qui ouvre toutes ses attractions le 21 juillet.

 "Le Combat des Montagnes", Œuvres illustrées d’Eugène Scribe

Le Combat des Montagnes

Le théâtre de boulevard est une forme de chronique qui mêle fiction et réalité. Le Combat des Fontagnes ou La Folie-Beaujon d’Eugène Scribe et Henri Dupin reprend l’actualité de la mode des promenades aériennes et caricature au passage un nouveau type social, les marchands de nouveautés, représentés par M. Calicot, commerçant de la rue Vivienne.

Mercure de France journal politique, littéraire et dramatique, 15 juillet 1817 ; Le théâtre des Variétés en 1829

La pièce est un succès et l’unique scène de Monsieur Calicot, joué par l’acteur Brunet, est immédiatement repérée.

Journal des Débats, 28 juillet 1817 et l’acteur Brunet

Les calicots se reconnaissent et se fâchent, au point de provoquer des émeutes les jours suivants.

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Journal général de France, 27 et 28 juillet 1817

Un type social parisien

Si tout le monde a reconnu le type du jeune commis marchand, c’est qu’il cultive une apparence facilement identifiable.

Exploit de Mr Calicot faisant l'exercice...... de ses fonctions ; Mr Calicot, Sans personnalité, rions du ridicule…

Il est habillé d’un pantalon ample de calicot blanc, une veste de couleur vive et d’un corset lui faisant une poitrine large et une taille fine. Il se donne surtout une allure militaire avec des bottes à éperons et des moustaches postiches. Il aime se montrer dans les cafés et sur les promenades et symbolise rapidement l’élégant trop jeune pour avoir connu la guerre, mais assez fier pour se pavaner en temps de paix. Sa tenue est, de plus, peu compatible avec son métier et son ridicule contamine toute la profession.

La scène de M. Calicot

Le caractère prétentieux du calicot va se révéler encore plus avec sa colère et son refus de se voir caricaturer. À l’occasion de l’édition complète de ses œuvres, Eugène Scribe rappelle ainsi le contexte :

Préface au "Combat des Montagnes", Œuvres illustrées d’Eugène Scribe

Ainsi des jeunes gens qui n’avaient jamais été à nos armées, des commis-marchands qui sortaient de leurs magasins, paraissaient dans toutes les promenades avec des moustaches et des éperons.

Dans l’unique scène où il apparaît, c’est la réplique suivante qui met le feu aux poudres :

Extrait de la scène III du "Combat des Montagnes" et son illustration, Œuvres illustrées d’Eugène Scribe

 La Folie. C’est que cette cravate noire, ces éperons, et surtout ces moustaches… Excusez, Monsieur, je vous prenais pour un brave.
Calicot. Il n’y a pas de quoi, Madame.
 

Le théâtre comme champ de bataille

Les calicots lancent donc une guerre contre le théâtre, les auteurs et les journalistes.

 Plusieurs fois le théâtre fut assiégé dans les règles, et des combats sanglants furent livrés. 

Monsieur Calicot partant pour le Combat des montagnes ; Charge de Mr Calicot et Com.gnie au Théâtre des Variétés, la guerre en tems de paix

Ce qui ne fait qu’accentuer leur caricature, puisque le seul champ de bataille est le théâtre des Variétés et qu’ils seront très vite arrêtés par les forces de l’ordre et moqués encore plus.

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Le Départ de Calicot pour le Combat ; Mr Calicot se faisant ramasser aux Montagnes des Variétés, Musée Carnavalet

Défaite du Calicot et triomphe de la satire

Les conséquences de cette Guerre des Calicots furent d’accentuer le succès de la pièce et le ridicule des calicots. La colère du calicot est même à l’origine de sa célébrité puisqu’une énorme production de pamphlets, chansons et estampes satiriques accompagnent et prolongent ce scandale.

Le Café et le Théâtre des Variétés (1830)

Une première paix est conclue avec le Théâtre de Variétés. Scribe et Dupin y présente un épilogue Le Café des Variétés, qui, comme la presse, essaie de faire comprendre aux calicots que de nombreuses professions sont représentées dans les comédies sans que l’esprit de corps ne se sente visé.

Préface au "Café des Variétés", Œuvres illustrées d’Eugène Scribe 

Mais le calicot va rester longtemps une cible de caricature et de plaisanterie. Dépassant le cadre même de sa profession et le cercle parisien, il devient le synonyme de l’élégant prétentieux et idiot, produit d’une nouvelle société du loisir et de la consommation. Il sera notamment épinglé par Cham (1818-1879) dans le Miroir du Calicot en 1841 pour qui :

Le Calicot est l’homme chez lequel on trouve le moins ce qu’il vend, de l’étoffe. 

Le Calicot de la gomme ! Chansonnette (1877) ; Dessin (1897) de G. Grellet dans La Caricature

Henri Bouchot écrira ainsi en 1895 que c’est le calicot qui « lança la lithographie », auparavant cantonnée à la reproduction des chefs-d’œuvre de l’art.

Les blagues sur la catégorie professionnelle du calicot sont ainsi récurrentes dans la presse et la littérature jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais pourquoi un tel déchaînement l’été 1874 ? Le Tintamarre, qui avait déjà publié un certain nombre de pastiches de presse, inaugure avec « Le Calicot », une série se moquant des types sociaux et de journaux professionnels (« Le Cocu », « Le Spirite », « Le Croque-mort » ou « Le Carliste ») alors qu’auparavant il détournait plus volontiers des journaux connus (« Le Journal des traits », « Le Constitutionègre », « Le Moustiquaire » ou « Le Sommeil »).

C’est une double conjoncture qui va inciter l’équipe du Tintamarre à fabriquer ce « Calicot » en août 1874.

L’Homme à la fourchette

Il y a tout d’abord le 2 avril 1874 un retentissant fait divers titré par toute la presse « L’Homme à la fourchette ». L’affaire semble un canard, au sens de fausse rumeur colportée par la presse : Lausseur, 18 ans, employé du Printemps, avale une fourchette le 30 mars en faisant une démonstration de prestidigitation. La presse va suivre cette aventure rocambolesque.

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Portrait de Lausseur par Bertall, La presse illustrée, 18 avril 1874 ; Le Sifflet, 26 avril 1874, Heidelberg University Library

En mai, au Théâtre du Châtelet, le spectacle Les Pilules du Diable ajoute une scène sur cette actualité puis un vaudeville est créé au Théâtre des Folies-Marigny, L'Homme à la fourchette de Paul Avenel. Ce dernier avait déjà écrit une pièce sur Les Calicots avec Henri Thiéry en 1864 et en 1866 Les Calicots,scènes de la vie réelle. Le corps médical publie aussi, et en 1886 Léon Labbé (1830-1916) relatera l’opération pratiquée pour extraire la fourchette de l'estomac dans L'Homme à la fourchette, opération de la gastronomie.

Le Tintamarre s’en amuse comme les autres journaux comiques et satiriques, mais sans viser les calicots.

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Le Tintamarre, 19 avril 1874 ; dessin d’Hadol dans Le Trombinoscope de Touchatout

On retrouve ainsi une référence à ce fait divers dans le pastiche du « Calicot » :

Détails de la 2e page du "Calicot"

La seconde guerre des Calicots

Le 16 avril 1874, Le Gaulois fait clairement le lien entre L’Homme à la Fourchette et les calicots, rappelant l’historique de 1817 et y ajoute les problématiques plus récentes.

Le Gaulois, 16 avril 1874

Deux questions d’actualité remettent en cause la corporation des calicots. Beaucoup pensent que les calicots prennent une place qui conviendrait mieux aux femmes. Le second sujet de polémiques est le comportement des commis en nouveautés avec leurs clientes que Le Tintamarre dénonce en juin 1874 :

Le Tintamarre, 28 juin 1874 ; Le Rappel, 3 juillet 1874

La rédaction reçoit de nombreuses lettres d’employés de la nouveauté et Touchatout répond longuement le 12 juillet :

Extraits de la réponse de Touchatout, Le Tintamarre, 28 juin 1874

Le 26 juillet, la guerre continue et les calicots répondent par presse interposée.

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Dessin de Moloch et article en page 2, Le Sifflet, 26 juillet 1874, Heidelberg University Library

Le Tintamarre reprend la main le 16 août :

Le Tintamarre, 16 août 1874

Les calicots ont oublié la leçon donnée par la presse et les écrivains en 1817. Le Tintamarre annonce son ultime attaque, le pastiche de vengeance, qui va leur faire gagner la guerre.
C’est ainsi que l’on trouve dans Le Tintamarre la semaine suivante le pastiche du « Calicot », et à la seconde page, cette mise à l’index :

Bandeau de la 1ère page du "Calicot"

Détails de la 2e page du "Calicot"

Mise à l’index du Tintamarre et aussi du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle (1866-1877) pour son article « Calicot », extrêmement long et révélateur des nombreuses polémiques et de la place de cette catégorie sociale à l’époque.

L'autre débat du moment n'est pas oublié et ce fait divers lui donne un nouvel éclairage, sous forme de monde à l'envers : 

Après ce pastiche, les calicots ne chercheront plus querelle au Tintamarre, mais en 1883, c’est La Bavarde qui, à son tour, fabrique un nouveau « Calicot, journal des commis en nouveautés », qui sera suivi d’un « Boudiné, journal pschutt ».

Pour aller plus loin :

Susan Hiner, « Monsieur Calicot: French Masculinity between Commerce and Honor », West 86th: A Journal of Decorative Arts, Design History, and Material Culture, Vol. 19, No. 1, Spring-Summer 2012

Peggy Davis, « Entre la physiognomonie et les Physiologies : le Calicot, figure du panorama parisien sous la Restauration », Études françaises, 49(3), 2013 

« Une vie de jeune homme: la satire du calicot », Le jeune homme en France au XIXe siècle : contours et mutations d’une figure, Cahiers ReMix, numéro 06, 2016 

« La fureur de Calicot : Intermédialité et intervisualité de la satire », L’Image railleuse : La satire visuelle du XVIIIe siècle à nos jours, Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2019

Commentaires

Soumis par gfc le 04/09/2023

Merci pour cette savante parenthèse pleine de frivolité... On en redemande !
Le plus inouï, à mon sens, c'est d'apprendre que les calicots aient su faire montre d'un esprit de corps. Je ne m'y attendais pas du tout !
Je vais dès demain à la nouvelle Samaritaine prendre la température de la corporation ;)

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