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Le « Groupe littéraire autonome » au Vietnam des années 1930

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25 juin 2020

Le « Groupe littéraire autonome » - Tự Lực Văn Đoàn (1932-1941) est l’un des cercles littéraires les plus importants des années 1930 au Vietnam.

 Nhât́ Linh, Nguời̛ quay to ̛ , 1927.

 

Fondé en 1933 à Hanoi par Nguyễn Tường Tam (alias Nhất Linh), le groupe se compose initialement des journalistes pionniers du journal Phong Hóa [Les Mœurs] (1932-1936), Trần Khánh Dư (alias Khái Hưng), Hồ Trọng Hiếu (alias Tú Mỡ), Nguyễn Tường Long (alias Hoàng Đạo), Nguyễn Tường Lân (alias Thạch Lam) et Nguyễn Thứ Lễ (alias Thế Lữ). Se joint ensuite au groupe Ngô Xuân Diệu (alias Xuân Diệu). Ces sept écrivains forment le noyau du groupe Tự Lực Văn Đoàn. Le groupe se fait connaître d’abord par sa revue Phong Hóa (1932-1936) qui est suivi du journal Ngày Nay [Aujourd’hui] (1936-1946). Ce mouvement crée également sa propre maison d’édition appelée Đời Nay [Vie contemporaine] (1933-1945) qui réunit de nombreux écrivains et artistes de la jeune génération, tels que Trọng Lang, Đoàn Phú Tứ, Trần Tiêu, Thanh Tịnh, Huy Cận ainsi que les peintres Nguyễn Gia Trí, Tô Ngọc Vân, et d’autres.

 

Khái Hun̛g et Nhất Linh, Gánh hàng hoa... , 1934.

L’intitulé « Groupe littéraire autonome » – Tự Lực – s’explique d’abord par son statut administratif. C’est en effet la première organisation vietnamienne fondée par des personnes privées, indépendamment de toute autorité publique, ne servant pas d’organe du pouvoir colonial comme les journaux et les éditeurs vietnamiens contemporains. Leur esprit autonome et moderniste se montre surtout dans leurs principes directeurs, formulés par l’essayiste et romancier Hoàng Đạo dans son article « Les dix vœux de la jeunesse » (« Mười điều tâm niệm »), publié le 13 septembre 1936 dans le journal Ngày Nay (Traduction de Daniel Héméry) :

1) Refuser l’ancien mode vie et de pensée, 2) Croire au progrès, 3) Vivre selon un idéal, 4) S’engager dans l’action sociale, 5) Forger son propre caractère, 6) Reconnaître le rôle de la femme dans la société, 7) Promouvoir l’esprit scientifique, 8) Œuvrer sans souci des honneurs et des titres, 9) Développer son propre corps, 10) Avoir l’esprit d’organisation.

 

Les romans du groupe Tự Lực vont particulièrement marquer l’histoire littéraire vietnamienne. Le roman moderne en vietnamien romanisé – le quốc ngữ –, suivant le modèle européen, n’a commencé à se développer qu’au début du XXe siècle avec la parution sous forme de feuilletons dans des revues. Dans le Sud, c’était la figure de Hồ Biểu Chánh qui dominait avec ses romans populaires, dont le premier Ai làm được ? [Qui peut le faire ?] publié en 1922. À Hanoi, Tố Tâm – roman éponyme de Hoàng Ngọc Phách – et Quả dưa đỏ [La pastèque rouge] de Nguyễn Trọng Thuật, parus tous les deux en 1925, consacraient le triomphe du roman moderne, qui fut dès lors accueilli plus largement par le public. La rédaction de romans témoigne, d’une part, d’une rupture avec la littérature ancienne presque exclusivement écrite en vers. D’autre part, elle souligne le perfectionnement d’une langue vietnamienne qui s’est modernisée depuis la démocratisation de sa forme écrite romanisée et la capacité des écrivains vietnamiens contemporains à approfondir leurs idées, à explorer des sentiments dans un genre littéraire plus libre et plus étendu. Les romans du groupe Tự Lực contribuent activement à cette évolution et illustrent l’apogée de la création romanesque du Vietnam de la première moitié du XXe siècle.

 

Durant les années 1930, le groupe Tự Lực propose une production romanesque particulièrement intense qui tourne autour de deux tendances principales : le Romantisme et le Réalisme. Leur objectif consiste à se défaire des vestiges de la société traditionnaliste et promouvoir a contrario les valeurs nouvelles de l’individualisme. Les auteurs les plus actifs comme Khái Hưng, Nhất Linh , Hoàng Đạo, Thạch Lam subissent l’influence du Romantisme, ce qui se manifeste essentiellement dans le thème du culte du moi. Les romans reconnus comme Hồn bướm mơ tiên (1933), Nửa chừng xuân (1934), de Khái Hưng, Người quay tơ (1927), Nho phong (1926) de Nhất Linh, Gánh hàng hoa (1934) de Khái Hưng et Nhất Linh ont suscité des grands débats sur les questions sociales et littéraires. Car ces romans prônent un moi conscient de son individualité, de sa sensibilité, désireux de s’exprimer de la manière la plus sincère et la plus limpide par la littérature. Cette conscience de soi se manifeste à travers plusieurs thèmes : le conflit entre la jeunesse moderne et la famille, la révolte de l’individu qui réclame ses droits contre une société contraignante, et plus largement encore les conflits entre les conceptions traditionnalistes extrême-orientales et l’esprit moderne d’inspiration occidentale.

 

À partir de 1936, à cause de la crise économique qui entraîne augmentation du chômage et conditions de vie difficiles, le romantisme du groupe Tự Lực s’imprègne d’une veine réaliste. Cette tendance, pure importation française, constitue un genre tout nouveau au Vietnam. Car si les anciens lettrés vietnamiens composaient des vers à partir de leur imagination en s’appuyant sur des stéréotypes issus de la littérature chinoise, le courant réaliste offre des descriptions plus précises et véritablement vivantes de la société dans ses aspects les plus négatifs, en mettant en évidence les problèmes du moment. Dans le groupe Tự Lực, cette tendance apparaît dans des romans à thèse traitant de sujets tels que la misère scandaleuse, l’injustice entre les classes sociales comme dans le recueil de nouvelles Anh phải sống (1934) de Khái Hưng et Nhất Linh ou le roman Vàng và máu (1934) de Thế Lữ par exemple.

 

Khái Hun̛g et Nhất Linh, Anh phải sống, 1934.

 

En dehors de la production romanesque, le groupe Tự Lực contribue également au développement du mouvement « Nouvelle Poésie » – Thơ Mới (1932-1962) qui consiste à abandonner des formes poétiques d’influence chinoise en hán et en nôm pour le vers libre en écriture quốc ngữ. Lors de sa propagation dans le Nord du Vietnam, le journal Phong hóa publie de nombreux articles pour promouvoir le mouvement Thơ Mới ainsi que les poèmes de ses membres tels que Lưu Trọng Lư, Thế Lữ, Vũ Đình Liên, Đoàn Phú Tứ, Huy Thông et autres. Au sein du groupe Tự Lực, Thế Lữ, Xuân Diệu, Tú Mỡ deviendront des figures éminentes de la « Nouvelle Poésie » : entre 1935 et 1945, la maison d’édition Đời Nay publie de nombreux recueils de poésie : Giòng nước ngược (1943) de Tú Mỡ, Mấy vần thơ (1935) ; Mấy vần thơ, tập mới (1941) de Thế Lữ, Thơ thơ (1938) de Xuân Diệu, Lửa thiêng (1940) de Huy Cận, Bức tranh quê (1941) de Anh Thơ .
 
L’influence du groupe Tự Lực s’illustre encore plus au travers de la création du Prix Tự Lực Văn Đoàn qui est aussitôt considéré comme un des prix les plus prestigieux dans le champ littéraire vietnamien de l’époque.

 


Nguyễn Tuờn̛g Tam, Nho phong, 1926.
 
 

Se donnant pour mission de défendre des classes populaires, le groupe Tự Lực s’engage de plus en plus dans des activités sociales et réformistes à partir de la fin des années 1930. La création de l’Association Ánh Sáng [Lumière] en 1937 témoigne de ce glissement vers l’activisme social puis politique. Lorsque le Japon a occupé l’Indochine, Nguyễn Tường Tam et certains membres du groupe se sont tournés complètement vers la politique. Vers la fin de l’année 1940, Khái Hưng, Hoàng Đạo et Nguyễn Gia Trí sont emprisonnés et exilés à Sơn La. En 1942,  Nguyễn Tường Tam s’enfuit en Chine et Thạch Lam meurt de la tuberculose à Hanoi. Dès lors, ayant perdu ses membres fondateurs, le groupe littéraire Tự Lực  perd de son effervescence sans être officiellement dissout.

Pour aller plus loin

Et le carnet de recherche « France-Vietnam : Un portail entre les cultures »

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