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Le trottoir roulant : une solution de transport urbain ?

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On le connaît aujourd’hui sous le nom de tapis roulant mais il a eu d’autres appellations : trottoir roulant ou plate-forme mobile et l’ambition de fournir une solution de mobilité urbaine à débit continu pour les villes encombrées.

Atelier des frères Neurdein, Exposition universelle, 1900

"Le fleuve est un chemin qui marche". Ces mots de Pascal sont en partie à l’origine de l’idée d’Eugène Hénard, lorsqu’il soumet une première fois en 1889, pour l’Exposition universelle de Paris, le projet d’une plate-forme mobile, "un plancher continu soutenu par des wagons" mais dont l’inconvénient, que rappelle le Génie civil en 1892, consistait à devoir s’arrêter 15 secondes toutes les minutes. Finalement la plate-forme conçue par Hénard n’est pas retenue mais le principe en est repris et amélioré par deux ingénieurs américains Silsbee et Schimdt qui réalisent pour l’Exposition universelle de Chicago, en 1893, des trottoirs mobiles à vitesse différenciée roulant de manière continue sur un circuit fermé. La vitesse de 5 km/h pour le premier trottoir permet en effet à un piéton de quitter le trottoir roulant sans qu’il soit nécessaire de prévoir des arrêts. Des bornes servent d’appui "aux personnes peu agiles" pour accéder à ce premier trottoir. Sur le second trottoir, circulant à la vitesse plus importante de 10 km/h, des bancs sont prévus, comme l’illustre la gravure suivante.

Le Génie civil, trottoir mobile, Jackson Parck Chicago, 1892

Le Radical qui couvre l’Exposition de Chicago se prend à imaginer une transposition à Paris de "ces rues qui marchent".

En ces temps bienheureux, où nous ne serons peut-être plus, les pauvres piétons qui forment l'immense majorité des Parisiens ne marcheront  plus, ce sont les rues elles-mêmes et avec elles les quais, les boulevards, les avenues et jusqu'aux ruelles qui marcheront à leur place.

Le trottoir connaît un grand succès et est également présenté à Berlin en 1896. En perspective de l’Exposition universelle de 1900, à Paris, les projets abondent pour assurer aux visiteurs une desserte des lieux à visiter grâce à des transports innovants. Eugène Hénard propose de nouveau une plate-forme mobile. Mais c’est le projet de Blot, Guyenet et Mocomble qui est finalement retenu. Les trois ingénieurs imaginent une installation composée d’un trottoir fixe et de deux trottoirs roulants, le premier de trois mètres de large se déplace à la vitesse de 8 km/h, le second d’un mètre de large à la vitesse de 4km/h. Des essais sont alors entrepris sur un circuit construit pour l’occasion à Saint-Ouen.

Le Génie civil, Essais à Saint-Ouen, 1899

A l'Exposition, le trottoir roulant, posé sur un viaduc métallique à 7 mètres de hauteur, s'installe le long des rues de la Motte-Piquet, de la Bourbonnais, du Quai d’Orsay. C’est le même parcours de près de 4 kilomètres qu’effectue en parallèle le chemin de fer électrique, mais en sens inverse.
Neuf stations aériennes desservent la plate-forme mobile : deux au niveau de l’Esplanade des Invalides, quatre pour le Quai d’Orsay et trois pour le Champ de Mars. Pour atteindre ces stations en hauteur, des escaliers sont prévus mais aussi des rampes mobiles. L’accès coûte 50 centimes aux voyageurs. Le succès est au rendez-vous, près de 7 millions de visiteurs l’empruntent pendant  la durée de l’Exposition universelle. Des guides dédiés comme La plate-forme mobile et le chemin de fer électrique sont édités.

Atelier des frères Neurdein, Exposition universelle, 1900

C’est la Compagnie transport électrique qui réalise les travaux et prend en charge l’alimentation électrique du trottoir roulant et du chemin de fer. En effet, les planchers des trottoirs mobiles reposent sur des trucks dotés de roues de guidage et d’une poutre axiale qui adhère à des galets moteurs mus par l’électricité. L’alimentation électrique des 172 moteurs de 500 volts se fait par câbles, des sous-stations de transformation elles-mêmes alimentées en haut voltage par la station des Moulineaux, comme le précise le Guide de  l’exposition de 1900. Le Génie civil présente les coupes de la plate-forme et détaille le fonctionnement de celle-ci.

Atelier des frères Neurdein, Exposition universelle, 1900

Le trottoir roulant fait surtout le bonheur des caricaturistes La proximité de la voie avec les immeubles offre un premier angle satirique. Courteline imagine ainsi dans sa pièce Article 330 le procès d’un homme accusé d’avoir montré ses fesses à 13687 personnes, les passagers du trottoir roulant qui passaient sous ses fenêtres. Ce même motif est largement repris par des titres de presse comme le Journal amusant.

Le Journal amusant, 23 juin 1900 Le nombre de chutes est rare, mais elles sont parfois photographiées ; les déséquilibres sont en revanche plus courants comme rapportés avec humour par Le Petit Français illustré : journal des écoliers et des écolières. Henri Maréchal, ancien directeur de la Compagnie électrique explique pourtant au Figaro en 1921 : « Bien que notre trottoir ait transporté des millions de visiteurs, les accidents furent extrêmement rares et n’eurent rien de tragiques (…) comme on portait à cette époque-là des jupes longues, de nombreuses voyageuses eurent leur robe prise entre le tapis et la plate-forme et furent presque déshabillées. ». Ces souvenirs que l’auteur veut légers, sont recueillis par le journal alors que l’idée ressurgit dans les années 1920 d’un trottoir roulant pour désengorger les grands boulevards de Paris.

Le Journal amusant, 5 mai 1900

En effet, au-delà de l’attraction qui connait un grand succès, ce trottoir peut-il être envisagé comme un nouveau moyen de transport ?  
Le Monde illustré en 1935 rappelle les anticipations liées au transport et le potentiel de la plate-forme mobile. Herbert George Wells revient en 1901, dans son essai Anticipations, sur le trottoir roulant et l’envisage comme un mode urbain de déplacement économique à adopter : 

Il doit pourtant exister un moyen de transport non seulement fréquent mais continu qu’on pourrait emprunter ou laisser sans le moindre arrêt et n’importe où (…) je veux parler de la plate-forme mouvante, dont les avantages ont été soumis à l’appréciation du monde entier.

Il imagine ainsi une sorte de métro composé de six plate-formes côte à côte, à chaque fois plus rapides, pouvant atteindre 40Km/h. Mais le succès du métro dans les grandes villes éteint un temps cette ambition.
Dans les années 1920, le trottoir roulant est de nouveau d'actualité et les projets se font plus précis. A Paris, une commission du trottoir roulant, présidée par Emile Dervaux est créée en 1921 pour désengorger les grands boulevards. Elle est chargée d'examiner des projets de transport continu de la Madeleine à la République et de s'inspirer des essais à l'étranger comme à Kursaal de  Southend-on-sea en Angleterre. Ses conclusions sont rendues en 1923, comme l'indique le Rappel.  Même si des journaux, comme l’Intransigeant relaient les oppositions négatives, particulièrement des commerçants, à l'égard de ce projet, des essais sont réalisés à Bellevue à partir de 1924. "On expérimente le trottoir roulant pour décongestionner Paris", annonce le journal La Liberté en 1925. La revue Recherche et inventions revient de son côté en détail sur la question du trottoir roulant dans son numéro de novembre 1925.  

Agence Roll, Bellevue, expériences de trottoirs roulants, 1925

Parallèlement, des essais sont également réalisés aux Etats-Unis en 1924 où il est question d'installer un trottoir roulant le long de la 42ème rue à New-York.
Finalement, les expérimentations ne se concrétisent pas : il faut attendre les années 1950 pour que la question d'un trottoir roulant soit de nouveau abordée, à Paris, cette fois pour faciliter l'accès entre deux stations de métro. La réponse est là aussi repoussée, et les premiers tapis roulants n'apparaissant dans le métro que dans les années 1970. 

Félix Vallotton, Le trottoir roulant, 1901

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