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La fabrique d'une légende : Henry Masers de Latude

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24 juin 2019

Parmi les pièces les plus saisissantes de l’exposition «Les Manuscrits de l’extrême », l’une d’entre elles fait appel au registre du martyre chrétien, la chemise de Latude. Un peu à la manière d’une relique qu’il aurait lui-même fabriquée, chemise et sang, lointains échos au Saint Suaire et au sang de la Passion du Christ. Ils témoignent du calvaire de Latude à la Bastille.

 

Jean-Henry dit Danry aura forgé sa propre légende, jusqu’à devenir sous le nom d’Henry Masers de Latude, un martyr des prisons de l’Ancien Régime, notamment celle de la Bastille, où il fut détenu pendant 35 ans, entre autres avec Vincennes et Charenton. C’est à décrypter la genèse de son personnage que nous vous invitons dans ce billet. Sans être exhaustif sur les épisodes rocambolesques de son emprisonnement et de ses multiples évasions, où la chemise figure déjà au rang d’accessoire privilégié : il parviendra avec l’aide de son co-détenu à confectionner une échelle de corde composée des chemises qu’il aura obtenues de l’intendance de la prison.

Sauvées de la boue des fossés de la Bastille, où elles ont été jetées, les archives de la Bastille qui nous sont parvenues et sont conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal, comprennent entre autres des dossiers de prisonniers, dont celui de Latude. On y trouve une correspondance incessante, à l’adresse de la Marquise de Pompadour ou du Roi, protestant de son innocence et du malentendu sur ses véritables intentions, implorant sur tous les tons leur clémence et leur amnistie. Mais quel crime lui valut cet embastillement perpétuel par lettre de cachet ?

Au commencement de son histoire, Jean-Henry dit Danry, né de père inconnu, d’où l’absence de patronyme, fut élevé seule  par sa mère, qui veilla à lui prodiguer quelque instruction; jeune homme, il trouva à se placer comme garçon-chirurgien dans l’armée du Languedoc.

De retour de campagne de Flandres à Paris, sans le sou, il partagea un temps donné un garni miséreux avec un certain Binguet, apothicaire de son état. Les circonstances de l’époque, à savoir l’exil du Ministre de Maurepas, critique à l'égard de la favorite du roi, Mme de Pompadour, et les craintes d’empoisonnement de celle-ci en représailles, lui donnèrent l’idée d’un faux-complot, afin de s’en attirer les faveurs.
 

Le 28 avril 1749, il prépara un petit colis explosif, boîte contenant des larmes bataviques, des poussières de vitriol et d’alun, puis emballa le tout et l’adressa à la Marquise de Pompadour, avec une adresse personnelle la priant instamment : « Je vous prie Madame d’ouvrir le paquet en particulier » (cette mention s'est à présent effacée).

Il se précipita alors à Versailles pour en avertir Madame de Pompadour, et la sauver lui-même du danger qu’il lui faisait encourir, bien que l’attentat, à dire le vrai,  se fût soldé par quelques feux de bengale. Il ne put émouvoir la favorite directement, car il fût intercepté par son premier valet, Gourbillon, à qui il raconta avoir surpris une conversation aux Tuileries, relative à un complot ourdi contre Mme de Pompadour. Le fameux paquet fut ouvert par le médecin de la favorite, Quesnay, et on mena instamment une enquête. Danry et son acolyte Binguet furent vite confondus par diverses preuves, dont son écriture qui figurait sur le colis.

Lettre de cachet du 1er mai 1749 par ordre du Roi Louis XV, MS-11692, Archives de la Bastille, Bibliothèque de l'Arsenal

La lettre de cachet du 1er mai 1749 sur l’ordre de laquelle il fut embastillé se trouve dans son dossier de prisonnier. On donna beaucoup plus d’importance au faux-complot de Danry qu’il n’eût mérité, on crut qu’il avait servi de couverture à quelque complice de première importance, bref l’amateurisme ne déjoua pas les soupçons sur la gravité de ce qui avait été prévenu, ce furent les motifs d’une si longue détention. On traita relativement bien le prisonnier Danry, car on espérait par ces traitements de faveur, qu’il donnerait enfin le nom du commanditaire d’importance qui se trouvait derrière ce complot manqué.
Danry quant à lui n’eut de cesse de protester de ses bonnes intentions à l’égard de la marquise, dans un flot épistolaire continu. Cette dévotion resta sans effets et sans réponse.
 

L’épisode de la Chemise écrite avec son sang

Cela n’empêcha pas Danry de s’épancher continuellement sur le papier, de telle sorte qu’on l’en priva momentanément, lorsqu’il se mit en relation avec d’autres détenus et des personnes extérieures ; qu’à cela ne tint, il se mit à écrire sur des tablettes de mie de pain, avec son propre sang, qu’il faisait passer entre deux assiettes. L’usage du papier lui fut rendu.
C’est à ce moment-là que l’épisode de la chemise écrite avec son sang intervint, adressée au lieutenant de police Berryer :
 
Monseigneur, je vous écris avec de mon sang sur mon linge, parce que messieurs les officiers me refusent d’encre et de papier ; voilà plus de six fois que je demande à leur parler inutilement. Qu’est-ce donc, monseigneur, avez-vous résolu ? Ne me poussez pas à bout. Au moins ne me forcez pas à être bourreau de moi-même. Envoyez-moi une sentinelle pour me casser la tête, c’est bien la moindre grâce que vous puissiez m’accorder.

Berryer se renseigna auprès de son major, le papier avait bel et bien été précédemment rendu à Danry.

Cette rhétorique du martyre, nous la retrouvons dans une autre lettre adressée cette fois-ci à son médecin, quelque temps plus tard, le 18 octobre 1753, le docteur Quesnay à qui il voulait faire un présent inestimable:

 

Dieu a donné aux habits des martyrs la vertu de guérir toutes sortes de maladies. Voilà cinquante-sept mois qu’on me fait souffrir le martyre. Ainsi il est sans doute
qu’aujourd’hui le drap de mon habit fera des miracles : en voilà un morceau

La lettre revenue à la lieutenance de police, Berryer y écrit une apostille en haut à gauche : « Lettre bonne à garder, elle fait connaître l’esprit du personnage ». Elle porte encore aujourd'hui la trace des deux coutures fixant le bout de chiffon.

Quelque temps après cela, Danry , ainsi que son compagnon de cellule, Allègre, réclamèrent des chemises neuves ; Allègre et Danry se sauvèrent de la Bastille dans la nuit du 25 au 26 février 1756, grâce à l’échelle qu’ils avaient patiemment confectionnée, à partir de ces chemises et d’autres chiffons. Cette escapade tournera court, et il sera mis aux fers.

La mort de la marquise de Pompadour, le 19 avril 1764, lui laisse entrevoir des lueurs d’espoir de libération ; son impatience le rendit tellement insupportable, qu’il fut alors transféré au donjon de Vincennes.

Bien des années plus tard, et de nombreuses péripéties plus loin, celui qui se sera forgé un patronyme, en s’inventant une noble ascendance d’un défunt marquis du Languedoc, Masers de Latude, aura gagné sa liberté, par la persévérance qu’il aura mis à écrire sans discontinuer ses mémoires : celles-ci lui ouvriront les portes de la prison.

En effet, comme relaté par Frantz Funck-Brentano dans l’introduction aux Mémoires authentiques de Latude, c’est sous le règne de Louis XVI que son long martyre finira en apothéose. La délivrance lui viendra d’une femme du peuple, une certaine Mme Legros, petite mercière de son état : elle tomba par hasard sur un exemplaire des mémoires de Latude, qu’un porte-clef ivre avait laissé tomber au coin d’une borne de la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois. Touchée de compassion à la lecture de ces Mémoires, elle se fit alors porte-parole de la cause de Latude, et elle démarcha les plus grandes maisons, jusqu’à ce que le Roi lui-même, Louis XVI finisse par signer sa mise en liberté le 24 mars 1784. De nombreux bienfaiteurs lui fournirent une rente et lui permirent de vivre dans l'aisance.

 Mais la véritable consécration fut avec la Révolution ; la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 le porta au pinâcle : au salon de peinture de 1789, on vit deux portraits de Latude et la fameuse échelle de cordes. Au bas de l’un de ces portraits par Vestier, on avait gravé ces vers :

 Instruit par ses malheurs et sa captivité,
à vaincre des tyrans les efforts et le rang,
Il apprit aux Français comment le vrai courage
Peut conquérir la liberté ».
En 1790, parassait Le Despotisme dévoilé rédigé par l’Avocat Thiery, le succès en fut prodigieux et de nombreuses éditions s’en suivirent.
 
 

 

Commentaires

Soumis par Bessière Jean-Louis le 04/01/2020

Mazers est le nom d'un château situé sur le territoire de la commune de Fontès, dans l'Hérault. Dans ses mémoires Latude fait plusieurs allusions à ce village. Sa mère, Jeanneton Aubrespy était en relation avec le marquis Maurice de Vissec de Latude, seigneur du lieu. Lorsque Louis XVI a accordé une pension au vicomte Masers de Latude, il ignorait qu'il était lui même propriétaire de ce château dont il avait fait l'acquisition auprès du Prince de Conti, en même temps que le comté de Pézenas. Le château de Mazers est aujourd'hui la propriété de la Confrérie Saint-Hippolyte de Fontès. Il est actuellement en cour de restauration. Des aides seraient les bien venues. Contact ; jlbessiere@orange.fr

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