H.-J. Redouté,
Vue des environs de Rosette,
1798-1809
BnF, département des Estampes et de la Photographie,
RESERVE UB-181 (B, 2)-FT 4
La découverte
En juillet 1799, les troupes françaises effectuent des travaux dans le Fort Julien (ou « Borg Rachid ») situé au nord de la ville de Rosette (Rachid), dans le Delta du Nil. Un officier du Génie, Pierre-François-Xavier Bouchard, découvre dans la construction un fragment de stèle qui attire tout de suite l’attention des savants de la « Commission des sciences et des arts » qui accompagne l’armée de Bonaparte.
Carte géographique de l'Egypte et des pays environnans, réduite d'après la carte topographique levée pendant l'expédition de l'armée française...par M. Jacotin, 1818 (
détail)
BnF, département des Cartes et Plans,
GE C-11298
Le fragment de basalte, d’un peu plus d’un mètre de haut et pesant plus de 700 kg, dont les sections en hiéroglyphe et en grec ancien sont identifiées rapidement, est transporté le mois suivant à l'Institut d’Égypte au Caire, créé par Bonaparte en 1798. L’annonce de la découverte est faite lors de la séance du 29 juillet 1799, sans rencontrer un grand écho bien qu'il soit précisé que l’examen de ces inscriptions « peut offrir beaucoup d’intérêt ».
Jean-Constantin Protain, Le palais d'Hassan-Kashif au Caire, siège de l’Institut d’Égypte, 1798-1809
BnF, département des Estampes et de la Photographie,
RESERVE UB-181 (B BIS)-FT 4
Le 15 septembre, le Courier de l’Égypte, destiné aux troupes, en donne un récit plus détaillé et conclut :
« cette pierre offre un grand intérêt pour l’étude des caractères hiéroglyphiques ; peut-être même en donnera-t-elle enfin la clef »
Courier de l’Egypte, n°37, [15 septembre 1799], p. 3
En 1800, dans le tome III de la revue savante de l’Institut,
La Décade égyptienne, davantage de précisions sont données en note par
Jean-Joseph Marcel, un jeune orientaliste qui dirige alors l’Imprimerie du Caire. Il écarte l’identification du deuxième texte comme étant du syriaque ou du copte et l’assimile fort justement à une cursive égyptienne, appelée plus tard « démotique ».
La décade égyptienne, III, 1800, p. 393
Estampages et moulages
Les savants de l’Institut, qui sont souvent aussi des membres de la « Commission des sciences et des arts », font faire des copies de la pierre pour pouvoir les envoyer en France rapidement.
Jean-Joseph Marcel est toujours à la manœuvre comme le prouve l’annotation manuscrite qui se trouve en bas à gauche de l’estampage conservé au département des Manuscrits de la BnF. Il y est mentionné en tant que Directeur de l’Imprimerie nationale aux côtés du « correcteur » et imprimeur
Antoine Galland. La copie est datée du « 4 pluviose an 8 de la République » soit le 24 janvier 1800. La technique utilisée est celle de l’autographe : de l’encre noire est appliquée sur la surface de la pierre, laissant les inscriptions en creux en blanc, puis une feuille de papier est pressée sur celle-ci, résultant en une version inversée du fragment.
Un des premiers estampages fait sur la pierre de Rosette, 1800
BnF, département des Manuscrits,
Égyptien 228
En 1818, Jean-François Champollion obtient un estampage similaire pour ses recherches sur le déchiffrement, ceci grâce à l’entremise de son frère, proche d’anciens membres de l’expédition d’Égypte. Il est actuellement conservé au
Musée Champollion de Vif, près de Grenoble et il y a soigneusement annoté en couleur les trois textes.
Une autre technique utilisée est celle du moulage qui permet de se faire une meilleure idée de la matérialité de la pierre. Adrien Raffeneau-Delile effectue ainsi une
empreinte au soufre, qui, avec les estampages, rejoint Paris au printemps 1800. Un des exemplaires a été retrouvé en
2010 au musée archéologique de Montpellier.
C’est ce type de moulage qui est utilisé pour la version démotique et grecque de la pierre dans les planches du tome V des
Antiquités de la
Description de l’Égypte, qui paraîtra bien plus tard, en 1822. Entre temps, le géographe
Edme-François Jomard, à la tête de la
Description, s'était rendu à Londres en 1815 afin de faire une nouvelle empreinte en plâtre pour préciser sa copie de la section en hiéroglyphes. C’est donc plus de vint-cinq ans après sa découverte qu’une reproduction exacte de la pierre est enfin disponible au-delà des cercles académiques.
E.-F. Jomard, Dessin [entre 1798 et 1822] pour : "Description de l'Égypte .... Antiquités", 1822, t. 5, pl. 52
BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE UB-181 (H BIS, 1)-FT 4
La BnF conserve également un
moulage en plâtre, donné en 1837 par l’épigraphiste
Jean Antoine Letronne, directeur de la Bibliothèque royale de 1832 à 1840. Il publie en 1840 une
traduction de l'inscription grecque de la pierre de Rosette.
Ces techniques de copies ne sont pas l’apanage des Français puisque, dès juillet 1802, des moulages et fac-similés de la pierre de Rosette sont envoyés par le British Museum à des institutions européennes, dans le but d’aider aux tentatives de déchiffrement.
Le décret de Memphis
Si la pierre est devenue un objet iconique pour l’histoire de l’égyptologie, on oublie parfois le contenu même de l’inscription qui y est gravée. Il s’agit d’un décret royal de 196 avant J.-Chr., dit « décret de Memphis », car établi par les grands prêtres réunis dans la capitale religieuse de l'Egypte, qui se trouve au sud du Caire actuel.
Carte topographique de l'Egypte et de plusieurs parties des pays limitrophes large pendant l'expédition de l'armée française...
par M. Jacotin, 1818, (détail)
La pierre, qui est le fragment d’une stèle cintrée à l’égyptienne, était placée probablement à l’origine dans le temple de Saïs dans le Delta. Le texte institue le culte divin en faveur de Ptolémée V Epiphane, alors âgé de 12 ans. Réuni dans un contexte politique troublé, le clergé memphite cherche à asseoir le pouvoir du jeune souverain, qui en échange, les assure de son soutien via des donations aux temples. Dans ce pays multilingue, où les rois d'origine macédonienne ont adopté les rites des pharaons sur les parois des temples, le décret est rédigé dans deux langues (égyptien et grec) pour être lu aussi bien par les grands prêtres, les lettrés que les colons grecs. Le texte grec se termine donc ainsi : « Qu’on inscrive ce décret sur une stèle de pierre dure en écriture sacrée [=hiéroglyphe], en écriture enchoriale [=démotique] et en écriture grecque et qu’on la fasse dresser dans les temples. »
Ptolémée V et son épouse Cléopâtre I, monnaie d’Alexandrie
BnF, département des Monnaies, Médailles et Antiquités,
Fonds général 293
Pour en savoir plus
- L’aventure Champollion. Dans le secret des hiéroglyphes, exposition à la BnF-François Mitterrand, Galerie 2, jusqu’au 24 juillet 2022, accompagnée d'un catalogue.
- Série de billets autour du Bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes
- les Essentiels-BnF sur Jean-François Champollion
- Les sélections Gallica sur le déchiffrement des hiéroglyphes
- V. Desclaux, "L'expédition d'Egypte et la naissance de l'institut d'Egypte", Blog Gallica
- R. Solé, D. Valbelle, La pierre de Rosette, Paris, 1999
- La pierre de Rosette dans les ressources de la BnF.
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