Venise à vol d'oiseau

24 mars 2022

Lena Baude

Au département des Estampes et de la photographie de la BnF est conservé un trésor : une vue de Venise en l’an 1500, six planches gravées qui forment un ensemble de plus d’un mètre de haut et trois mètres de long. Grâce au dispositif « A la loupe », le blog de Gallica vous propose de parcourir ce chef d’œuvre en détail.

Vue perspective de la ville de Venise par Jacopo de' Barbari, 1500

En 1500, l’éditeur allemand Anton Kolb obtient de la République de Venise l’autorisation de publier un plan de la ville réalisé par Jacopo de' Barbari, un des plus grands graveurs européens de l’époque. Sobrement intitulée Venetie MD (« Venise 1500 »), cette vue est exceptionnelle par ses dimensions et son exactitude. Il s'agit de la première grande représentation topographique de la ville de Venise.
Ce réalisme et cette précision sont au service d’une vision idéalisée de la ville. L’objectif est de « faire impression », en proposant une vue orientée depuis la mer, telle que la découvraient les navires accostant dans le port et de montrer dans toute sa splendeur une ville prospère, plus commerçante que guerrière, ouverte sur le monde.

Nous vous proposons donc un petit survol en 6 étapes, qui vous permettra, nous l’espérons, d’apprécier la richesse de cette représentation.

Commençons par le cœur de la ville et le bassin de Saint-Marc.

Vue n°1 - Voir l'animation en plein écran

Le secteur suivant regroupe le nord du sestier de San Marco, une partie de Castello et de Cannaregio.

Vue n°2 - Voir l'animation en plein écran

Autre point névralgique de Venise : l’Arsenal, qui occupe une grande partie du sestier de Castello.

Vue n°3 - Voir l'animation en plein écran

Prêts pour poursuivre le voyage ? Notre prochaine étape nous mène au-dessus du sestier de Dorsoduro et l’île de la Giudecca.

Vue n°4 - Voir l'animation en plein écran

Survolons à présent les sestieri de San Polo, Santa Croce et Cannaregio.

Vue n°5 - Voir l'animation en plein écran

Notre voyage s’achève avec les îles du nord de la lagune qui se perdent dans le lointain...

Vue n°6 - Voir l'animation en plein écran

De Jacopo de’ Barbari, l’artiste qui a supervisé la réalisation de cette gravure, on sait peu de choses. Né à Venise, élève supposé du peintre Alvise Vivarini, il a travaillé en Allemagne et en Europe du nord à la cour de plusieurs monarques, notamment l’empereur Maximilien Ier. Connu et admiré d’Albrecht Dürer, qui l’a probablement rencontré à une ou deux reprises, il est l’auteur d ‘une douzaine de toiles parvenues jusqu’à nous, de plusieurs gravures sur bois et au burin. Son aisance technique lui vaut également une certaine renommée en tant qu’inventeur d’un des premiers « trompes l’œil » modernes, la fameuse Nature morte avec perdrix, gantelet et carreau d’arbalète. Grand voyageur, celui qui est surnommé « le maître au Caducée » en référence au dieu Mercure demeure un personnage mystérieux.

Pégase, gravure au burin de Jacopo de Barbari, 15..

La Vue perspective de la ville de Venise est sans nul doute un de ses chefs d’œuvre. Il existe deux états différents de cette xylographie (ou gravure sur bois) et c’est le premier, celui de 1500, qui est conservé au Département des estampes et de la photographie de la BnF. Une dizaine d’autres exemplaires sont présents dans plusieurs institutions culturelles du monde. Les matrices nécessaires à l’exécution de l’œuvre existent toujours : elles sont visibles au Musée Correr de Venise.

Comment une œuvre d’une telle perfection technique a-t-elle pu être réalisée, à une époque où les visions « depuis le ciel » ne pouvaient être que le fruit d’une reconstitution ? On dispose de peu d’informations sur sa genèse et sa réalisation. Il ne reste aucun dessin préparatoire à même de donner des éclaircissements.

Une chose est sûre : sous la direction de l’artiste ont dû concourir à sa production des « spécialistes » et assistants de tous ordres : architectes, géomètres, graveurs professionnels…De sorte que chaque bâtiment est représenté avec la même minutie. Si on compare cette gravure avec d’autres représentations de villes des 15eme et 16eme siècles, on ne peut qu’être émerveillé par sa précision, son réalisme et sa capacité descriptive.

Venegia, gravure anonyme de la première moitié du seizième siècle

A une époque où la Sérénissime n’est déjà plus à l’apogée de sa puissance, concurrencée par les Ottomans en Méditerranée et par l’ouverture de nouvelles routes de commerce vers le Nouveau Monde, elle nous offre à contempler à l’infini cette autocélébration triomphante, magnifique représentation en miroir d’elle-même.