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Si la Cisleithanie m'était comptée...

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23 septembre 2020

Parmi les curiosités cartographiques disponibles dans Gallica, il est une carte particulièrement surprenante par son aspect et son contenu : ses couleurs vives et bigarrées font croire à une carte géologique, mais il s'agit d'une carte électorale donnant les résultats d'élections législatives de 1907.

Carte des élections législatives à la chambre des députés de l'empire d'Autriche, élue pour la première fois au suffrage universel BnF - CPL Ge C 15326

Cette curieuse carte électorale conservée au département des Cartes et plans de la BnF ne renseigne donc pas sur les structures géologiques de l’espace qu’elle représente, elle donne plutôt le résultat de ces élections législatives de 1907. Le territoire représenté pourrait faire penser à quelques contrées exotiques, mais nous sommes ici en Europe, au cœur de la Mitteleuropa. C'est une carte de l'Autriche-Hongrie sans la Hongrie, un état aujourd'hui disparu qui s'étendait des frontières de la Suisse aux marges de la Moldavie, des montagnes septentrionales de la Bohême aux côtes du Monténégro. Ce territoire vaste de 300 200 km² et peuplé de plus de 26 millions d'habitants était la création du compromis austro-hongrois de 1867 qui avait divisé l'empire de François-Joseph Ier en deux états autonomes. La partie autrichienne était aussi appelée Cisleithanie du nom de la rivière Leitha qui séparait la double monarchie, mais le nom officiel utilisé par l'administration était plutôt : « royaumes et pays représentés au Reichsrat ». 
 

 

Le Reichsrat ou Conseil de l'Empire était le parlement autrichien installé à Vienne sur le Franzensring, dans un bâtiment de style néo-classique rappelant la démocratie athénienne.

  Les élections de 1907 devaient renouveler les 516 représentants à la chambre des députés et les élire pour la première fois au suffrage universel, ce qui entraina la montée des populismes. La principale caractéristique de ce Reichsrat était l'impossibilité de constituer une majorité sans compromis, en raison des profondes divisions nationales et politiques. Le parti le plus nombreux de la chambre était l'union des chrétiens-sociaux, dont le chef était Karl Lueger, le très controversé maire antisémite de Vienne. Ce parti, composé de 96 députés allemands, représentait moins de 19% des élus et ne lui permettait pas de former un gouvernement seul. Le président de l'assemblée, Richard Weiskirchner avait été choisi dans ses rangs. Le second parti politique était le parti social-démocrate dirigé par Viktor Adler. Il avait été le grand bénéficiaire du suffrage universel en passant de 10 à 87 députés. Il était aussi le seul parti véritablement multinational comptant, parmi d'autres, 4 députés italiens de Trieste. Les Polonais venant principalement de Galicie formaient un groupe influent de 72 députés car ils étaient capables de surmonter leurs divisions politiques pour défendre leurs intérêts nationaux. Ils prenaient part aux coalitions gouvernementales et avaient obtenu deux postes ministériels, dont celui des finances. A côté des grands partis, siégeaient de nombreux petits partis. L’association des Slaves du sud regroupaient des Slovènes, des Croates et des Serbes, venant des provinces méridionales, comme la Dalmatie. Le club des Roumains était constitué de députés de Bucovine. Il existait aussi un parti pangermaniste, réclamant l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne, et un parti sioniste, favorable à la création d’un état juif.

 

Parcours guidé dans la carte, ses graphiques et ses recoins, à retrouver également en plein écran

Gustav Freytag (1852-1938), l’auteur de cette carte avait précédemment publié une carte des élections de 1901 et il fut le fondateur en 1885 de la maison d'édition viennoise, G. Freytag & Berndt, qui aujourd'hui encore est réputée pour ses cartes touristiques. Sur la carte de 1907, la plupart des noms géographiques sont écrits dans leur forme germanique et les noms des 516 députés sont inscrits en rouge dans leur circonscription respective. Différentes couleurs sont utilisées pour distinguer les nationalités (rose pour les Allemands, bleu pour les Tchèques, etc.), puis différents motifs pour caractériser les tendances politiques (des croix pour les cléricaux, des cercles pour les agrariens, etc.). Une distinction est faite entre les circonscriptions urbaines représentées dans des cercles et les circonscriptions rurales directement dessinées sur le fond de carte. La ville de Vienne, la plus peuplée, envoyait 33 députés. Autre particularité de la carte, la province de Moravie est représentée deux fois, en raison d’un compromis passé entre Tchèques et Allemands qui se sont partagés à l’avance le nombre d’élus pour les deux nationalités. Pour aider à la compréhension des résultats électoraux, de nombreux diagrammes et statistiques accompagnent la carte. Une attention est notamment portée à la représentativité des nationalités. Les Allemands et les Italiens étaient plutôt surreprésentés car le découpage électoral favorisait les petites provinces alpines au détriment des vastes provinces orientales peuplés de Slaves, en particulier les Ruthènes (ou Ukrainiens de Galicie) qui étaient les plus sous-représentés.

Cette carte des élections au Reichsrat de 1907 symbolise parfaitement le microcosme de la Mitteleuropa et le multiculturalisme du Monde d'hier de Stefan Zweig qui furent détruits par les deux guerres mondiales qui ont suivies. Deux témoins de cette époque passée, étaient en 1918 après la chute de l'Empire à la tête de deux états différents. L'ancien député social-démocrate de Basse-Autriche, Karl Renner était devenu chancelier fédéral d'Autriche et Tomáš Masaryk, ancien député radical tchèque de Moravie, président de la République tchécoslovaque. Le Conseil de l'Empire pouvait sembler baroque aux contemporains des autres nations, mais ne ressemble-t-il pas aujourd'hui par certains côtés au parlement européen de Strasbourg ?
 

Pour aller plus loin

- Retrouvez les cartes de l'Autriche disponibles dans Gallica dans la sélection "L' Europe en cartes"

Présentation du prototype permettant une présentation animée du document Gallica

Dans le cadre du projet européen The Rise of Literacy (La construction de l'Europe des savoirs), Gallica a bénéficié d’un co-financement par le programme Mécanisme d'interconnexion Européen (Connecting Europe Facility) de l’Union européenne (accord de subvention INEA/CEF/ICT/A2016/1332086) pour la création d’un outil innovant de médiation des collections numérisées. Cet outil est actuellement en cours de test par les chargés de collection de la BnF. Permettant l’appropriation des collections numérisées de manière scientifique ou ludique, il sera prochainement enrichi en fonctionnalités, ouvert au public et accessible depuis Europeana et Gallica.

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