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Zoonoses ou les liaisons dangereuses : la rage

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La rage est une maladie infectieuse ancienne due à un virus transmis par morsure, des animaux sauvages aux animaux domestiques puis aux hommes. La rage provoque un état d’agitation et de furie. Elle est presque toujours mortelle jusqu’à la découverte du vaccin antirabique de Pasteur à la fin du XIXe siècle.

La vaccine de la rage. - Installation de M. Pasteur à Villeneuve-l ‘Etang, Revue L'Illustration, 28, n° 2237, 9 janvier 1886, BIUS

L'agent responsable de la rage est le Lyssavirus de la famille des Rhabdoviridae, (du grec ancien rhabdos  (ῥάβδος) signifiant « bâtonnet », en référence à la morphologie du virion, ou particule virale. Il infecte surtout les animaux domestiques comme les chiens ou, plus rarement, les chats, ainsi que les animaux sauvages carnivores, le renard ou le loup. Mais ce sont des hôtes intermédiaires, les chiroptères, plus communément appelés chauves-souris et comptant près de 1 400 espèces, qui constituent probablement le réservoir primitif. La transmission entre  animaux ou à l’homme se fait par la salive au moyen de  morsure, griffure ou léchage de la peau. Dans la majorité des cas, les hommes sont infectés par les chiens domestiques.

Le virus rabique est neurotrope, c’est-à-dire qu’il infecte le système nerveux. Il provoque une encéphalite virale. Les premiers signes sont des difficultés à avaler et des troubles neuropsychiatriques comme l’anxiété, l’agitation et, au dernier stade, de l’agressivité, d’où le nom donné à cette maladie. L’incubation va de quelques jours à quelques mois. Une fois les signes déclarés, la maladie évolue vers le coma et la mort, souvent par arrêt respiratoire. L’issue est presque toujours fatale.
 

Les premiers signes de la rage, notamment chez le chien, sont l’abattement, la tristesse, l’inquiétude, le refus de boire et de manger. Plus tard, il survient de l’agitation… et se jette,… sur les animaux et les hommes qu’il rencontre et qu’il mord avec fureur.

L’origine de la rage se perd dans la nuit des temps. En Mésopotamie, dans le code d’Hammourabi, une amende est prévue si le propriétaire d’un chien enragé cause la mort. Les Égyptiens de l’Antiquité désignent par le hiéroglyphe du chien un homme malade de la rage. Dans l’Iliade d’Homère, il est  fait mention d’Hector comme d’un chien enragé. Démocrite (460-370 av. J.-C.) nomme la rage incendie des nerfs. Aristote parle des chiens atteints de la rage et de la transmission de la maladie par morsure : « La rage les rend furieux ainsi que tous les animaux qu’ils mordent ». Ovide (43 av. J.-C.-17) dit que la médecine est impuissante contre la goutte et la rage. Pline l’Ancien (23-79) attribue la rage à un petit ver situé sous la langue des chiens.

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.

Les médecins arabes et persans et , dont Avicenne (980-1037), connaissent la maladie par les auteurs grecs mais également par expérience en décrivant les symptômes, preuve que la maladie existe à cette époque en Orient.
Au Moyen-Âge, la rage est un fléau redoutable et crainte par la population qui cherche un protecteur. Au IXe siècle,  Saint-Hubert devient le Saint patron des chiens et des chasseurs et on l’invoque pour se protéger ou guérir de la rage. Á cette époque, on ne recourt guère aux médecins.

Á  la Renaissance, le médecin Girolamo Fracastoro (1478-1553) consacre un chapitre sur la rage dans son livre sur la contagion, les maladies contagieuses et leur traitement : « De contagione et contagiosis morbis et curatione libri III ». Il propose une théorie basée sur l’observation et le raisonnement, selon laquelle les maladies infectieuses se propagent via des organismes vivants très petits, invisibles à l’œil nu comme des semences qu’il nomme seminaria.
Français Boissier de Sauvages (1706-1767) écrit une Dissertation sur la rage . Il souligne que l’hydrophobie est une des caractéristiques de la maladie. Il explique que la salive contient un venin qui passe dans le sang et se répand dans les chairs. Il préconise alors le mercure, des saignées ou des scarifications comme traitement.

La Société Royale de médecine, fondée en 1776, a parmi ses missions la protection de la population des épidémies et des épizooties. Un de ses membres, Charles-Louis-François Andy (1741-1829), publie Recherches sur la rage en 1778. Il réalise une synthèse de l’état de la recherche sur la maladie.
Le début du XIXe siècle est marqué par des débats théoriques sur la rage. Trois courants médicaux s’opposent, le neutre, le négatif et le positif. Le neutre reprend les données déjà connues et n’apporte aucun élément nouveau, le négatif nie son existence ou l’assimile à d’autres maladies comme l'affirme Édouard-François-Marie Bosquillon (1744-1814). Enfin, le courant positif, mené par François Magendie (1782-1855) et Gilbert Breschet (1784-1845), démontre que la rage est transmissible à partir d’observations et d’expérimentations.
En 1776, le vétérinaire Pierre Victor Galtier (1846-1908) expérimente l’inoculation de la rage sur des lapins. Le procédé est repris quelques années plus tard par Pasteur.

En 1880, Louis Pasteur (1822-1895) et ses collaborateurs, Émile Roux (1853-1933) et Charles Chamberland (1851-1908), utilisent de la moelle épinière desséchée de lapins morts de la rage. Ils font de nombreuses recherches et expérimentations. Ils comprennent que tout agent pathogène, bactéries ou virus, inactivé ferait peut-être un bon vaccin. Pasteur trouve ainsi comment atténuer le virus de l’anthrax et celui de la rage. Il observe que celui-ci perd sa virulence en passant d’un animal à un autre. Après avoir répandu la rage sur toute une série de lapins, il prélève sur le dernier un peu de moelle épinière qu’il injecte à 50 chiens, réussissant ainsi à les immuniser. Pasteur nomme ce procédé vaccin en hommage à Edouard Jenner qui est le premier à utiliser l’inoculation pour prévenir de la vaccine 90 ans plus tôt.

En 1885, Pasteur vaccine Joseph Meister, un enfant de 9 ans, mordu par un chien enragé et lui sauve la vie. C’est le début de la vaccination humaine contre la rage. Si à ses débuts, le vaccin sert de prophylaxie de la rage après morsure, il est préconisé, dès 1886, comme préventif.
Il est alors décidé de faire une souscription pour la fondation d’un établissement pour le traitement de la rage. L’Institut Pasteur est inauguré en 1888, déclaré d’utilité publique internationale. On  vient s’y faire vacciner de toute l’Europe et même d’Amérique.

 

L’agent pathogène de la rage est un organisme ultra-microscopique.

En 1903, le microbiologiste italien, Adelchi Negri (1876-1912), découvre en examinant au microscope des parcelles de cerveaux d'animaux morts de la rage, des corpuscules (minuscules éléments) intracellulaires, du système nerveux central, infectés par le virus de la rage. Il les nomme corps de Négri. Cette découverte va permettre un diagnostic rapide de la rage jusqu’aux années trente.

 

Corpuscules de Négri, Annales de l’Institut de Pasteur, 1 janvier 1912

Grâce à Pasteur et à la vaccination de masse, la rage n’est plus une maladie crainte. Cependant, elle reste très répandue dans le monde et est toujours responsable d’environ 60 000 décès chaque année dans le monde principalement en Asie et en Afrique. Les îles comme l’Australie, le Japon ou la Grande-Bretagne en sont exemptes. Chaque année, environ 17 millions de personnes reçoivent un traitement après exposition à des animaux chez lesquels on soupçonne la rage.
En France, aucun cas de transmission humaine par des animaux n’a été observé depuis 1941. En 2016, près de 4 200 personnes ont reçu un traitement préventif. Depuis 1989, les renards, qui sont les principaux animaux pouvant être infectés, reçoivent une vaccination orale au moyen d’appâts. La vigilance reste donc de mise.

Pour aller plus loin :

Les billets de blog sur les zoonoses
Quarante ans de publications pasteuriennes sur Gallica (2013)
Les débuts du vaccin (2013)

Charles-Louis-François Andry, Recherches sur la rage : lues à la Société royale de médecine, le 13 décembre 1777, Impr. de P.-D. Pierres, 1778

Pour en savoir plus :

Institut Pasteur (rage)
Petite histoire de la vaccination (L’actualité)
Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes (Arte)

 
 

Commentaires

Soumis par Mohamed Gharbi le 14/05/2021

Bonjour,
Merci pour l'excellent billet. comme il est publié dans un site ayant une excellente réputation, j'aurais quelques commentaires. Les auteurs doivent faire très attention lorsqu'ils donnent des détails sur une maladie aussi importante que la rage. Je ne suis pas spécialiste mais je pense qu'il y a des choses à rectifier dans votre excellent billet.

- La rage est transmise essentiellement par morsure et non exclusivement (comme mentionné par l'auteur). Les griffades du chat transmettent le virus, l'inhalation lors d'un séjour dans des grottes abritant des chéroptères...
- Le virus provoque une méninge-encéphalmyélite et non une encéphalite.
- Avicenne n'est pas un arabe, il est issu d'un père originaire d'une région se trouvant en Afghanistan actuel et d'une mère Tadjik. Ceux deux peuples ne sont pas arabes et ne le parlent pas. Un détail c'est vrai mais lorsqu'il s'agit du site de la BnF ... le détail devient important.
- 60 000 décès par an dans le monde, tout calcul fait, ça représente 1 mort toutes les 10 minutes, peut-on alors mentionner que "la rage n’est plus une maladie crainte." ?

Merci
Pr. Mohamed Gharbi
Ecole Nationale de Médecine Vétérinaire de Sidi Thabet, Tunisie.

Soumis par Chantal PUECH le 26/05/2021

Dans le premier paragraphe, il est écrit : "la transmission entre animaux ou à l'homme se fait par la salive au moyen de morsure, griffure ou léchage de la peau". les chiroptères sont considérés comme le réservoir primitif et non le vecteur.
Vous voulez dire une encéphalomyélite ? Avez-vous des sources ?
Avicenne est considéré comme persan même s'il a écrit aussi en arabe. On corrige.
Effectivement, la maladie existe toujours mais du fait du vaccin antirabique, elle n'est plus crainte, du moins en occident, peut-être à tort. C'est pourquoi, nous avons conclu par cette phrase : "La vigilance reste donc de mise."

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