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Claude Bernard et la vulgarisation scientifique

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22 octobre 2013

On célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Claude Bernard (1813-1878), médecin, physiologiste et philosophe de la biologie. Il est l’auteur notamment d’une Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, dont Bergson a comparé l’impact pour le XIXe siècle à celui du Discours de la méthode de Descartes pour le XVIIe siècle. Il est connu pour avoir développé le concept de « milieu intérieur », ensemble des fonctions qui permettent à un organisme de conserver son équilibre et de rester en vie malgré les contraintes extérieures (la science contemporaine parle d’« homéostasie ») en étudiant la physiologie des composants internes essentiels à la vie comme le foie, le pancréas ou le cœur et des liquides qui s’y trouvent, comme le suc ou le sang.

Portrait de Claude Bernard par Alexandre Laemlein, Gallica/BIUS

 

Professeur dans les grandes institutions scientifiques, au Collège de France ou au Muséum d’histoire naturelle, Claude Bernard s’adressa aussi à un public plus large en publiant le fruit de ses recherches dans la Revue des Deux Mondes. À partir de 1864, il y rédigea six articles, dans un style élégant et clair où l’on sent presque son amitié avec Balzac et son influence sur Zola, lui qui était monté à Paris, de son Beaujolais natal, pour y présenter sa pièce de théâtre, Arthur de Bretagne, drame en cinq actes publié à titre posthume.

Ces six articles ont été rédigés à destination d’un public non scientifique mais qui ne devait pas être dépourvu pour autant de références philosophiques ni d’un certain goût pour la réflexion sur le vivant. Le premier est consacré à l’étude physiologique du curare, le fameux poison d’Amérique latine utilisé par les Indiens pour chasser et se défendre.

Le deuxième article mêle habilement la science et la littérature dans une étonnante étude sur le cœur, siège des sentiments les plus nobles pour le poète, organe central de la circulation du sang pour le physiologiste. Après avoir décrit minutieusement l’action des nerfs et l’influence du cœur sur le cerveau, Bernard, on pourrait dire « chante » :

« La science physiologique nous apprend que, d’une part, le cœur reçoit réellement l’impression de tous nos sentiments, et que, d’autre part, le cœur réagit pour renvoyer au cerveau les conditions nécessaires de la manifestation de ces sentiments, d’où il résulte que le poète et le romancier qui, pour nous émouvoir, s’adressent à notre cœur, que l’homme du monde qui à tout instant exprime ses sentiments en invoquant son cœur, font des métaphores qui correspondent à des réalités physiologiques. (…) Ainsi, dire que l’amour fait palpiter le cœur n’est pas seulement une forme poétique ; c’est aussi une réalité physiologique » (p. 251).

Et puisque « chez l’homme, le cerveau doit, pour exprimer ses sentiments, avoir le cœur à son service », Claude Bernard consacrera aussi un article à la physiologie du cerveau. Il apporte des éclaircissements sur les réalités physiologiques d’abstractions philosophiques comme la conscience ou la volonté. « Le cerveau est l’organe de l’intelligence, conclut-il, au même titre que le cœur est l’organe de la circulation, que le larynx est l’organe de la voix. Nous découvrons partout une liaison nécessaire entre les organes et leurs fonctions » (p. 385).

La Revue des Deux Mondes semble être pour Claude Bernard une vitrine publique où faire la promotion de la physiologie. Durant l’été 1865, quelques semaines avant la parution de son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, il fait paraître un long article intitulé « Du progrès dans les sciences physiologiques » qui annonce d’ailleurs, dans une note de bas de page, la parution de son ouvrage. Cet article est clairement destiné à convaincre le grand public et le monde savant du bien-fondé de ses théories tout en répondant à ses détracteurs.

Deux ans après ce premier article, Claude Bernard réexplique ce qu’est le problème de la physiologie générale en prenant appui sur ses propres publications et ses leçons au Collège de France. Critiqué pour ses expérimentations sur les animaux, le savant n’a de cesse d’argumenter en faveur de sa science nouvelle : « La physiologie a pour but de régir les manifestations des phénomènes de la vie. (…) La physiologie est une des sciences les plus dignes de l’attention des esprits élevés par l’importance des questions qu’elle traite, et de toute la sympathie des hommes de progrès par l’influence qu’elle est destinée à exercer sur le bien-être de l’humanité » (p. 874).

Le dernier article qu’il proposera à la Revue en 1875 s’intitule simplement : « Définition de la vie ». Un titre aussi simple cache pourtant un article assez technique dans lequel il revient sur l’histoire des études sur les « phénomènes qui se déroulent dans les êtres vivants », vus par les philosophes et les médecins depuis l’Antiquité et jusqu’au médecin animiste Georg Ernst Stahl au XVIIIe siècle comme « émanés d’un principe supérieur et immatériel agissant sur la matière inerte et obéissante » (p. 326). En physiologiste, Claude Bernard tâche de regarder l’ensemble des fonctions vitales avec leur mécanique propre. Lui pour qui l’organisme est une « machine » conclut ainsi son article :

« Si nous pouvons définir la vie à l’aide d’une conception métaphysique spéciale, il n’en reste pas moins vrai que les forces mécaniques, physiques et chimiques sont seules les agents effectifs de l’organisme vivant, et que le physiologiste ne peut avoir à tenir compte que de leur action. Nous dirons avec Descartes : on pense métaphysiquement, mais on vit et on agit physiquement » (p. 349).

En complément, vous pouvez aussi consulter une bibliographie des œuvres de Claude Bernard.

 

Jérôme Petit

Département Sciences et techniques

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