Tour de France 2022 de Gallica - Étape 19 : Castelnau-Magnoac à Cahors : Les Quatre-Vallées, pays à toutes altitudes
En s’élançant de Castelnau-Magnoac pour sa 19e étape, le Tour revient sans rebrousser chemin sur le territoire de la 17e. Métropole excentrique, la ville est la dernière capitale d’un pays aujourd’hui voilé par la régularité du découpage départemental : les Quatre-Vallées, Aure, Neste, Barousse et, sans continuité territoriale, Magnoac.
Les Quatre-vallées dans la mosaïque des cantons pyrénéens
Les Quatre-Vallées constituent sous l’Ancien Régime un pays d’état (qui délibère sur l’impôt), comme ses voisins proches, Bigorre et Nébouzan, ou plus distants, Béarn, Basse Navarre et Soule. Ils forment un bloc d’assemblées montagnardes isolé depuis 1621 et la suppression des autres états en Gascogne.
Dans cette Suisse pyrénéenne le morcellement est de règle. Les enclaves des Hautes-Pyrénées qui subsistent encore aujourd’hui dans les Pyrénées-Atlantiques, issues des terres de Bigorre en Béarn, sont les maigres vestiges d’un éparpillement généralisé où les habitants eux-mêmes peinaient parfois à se retrouver. Une carte de Guillaume Delisle (1675-1726), gravée et colorée sur soie, datant de la première moitié du XVIIIe siècle permet de le saisir.
Mêmes les mastodontes, Comminges (en marron clair sur la carte) ou Astarac (en bleu clair) n’échappent pas à la fragmentation avec des enclaves. Leur dispersion demeure néanmoins modeste comparée à l’archipel du Nébouzan (en bleu foncé) ou à l’atomisation du pays de Rivière-Verdun (en vert clair), pulvérisé des confins pyrénéens jusqu’à ceux de la Lomagne et de l’Armagnac.
Une formation territoriale originale entre plateau et hauteurs
Au cœur de ce puzzle gascon le territoire des Quatre-Vallées (en beige pâle) présente un cas particulier, non par son morcellement, modéré au regard du voisinage, mais par la solidarité historique qu’il matérialise entre deux zones distinctes.
Son premier bloc au sud comprend les vallées contiguës de Barousse et Aure tandis que Neste en est séparée par le fin corridor d’une enclave commingeoise. Plus au nord le Magnoac en est isolé par le corps du Nébouzan et se trouve frontalier de pays septentrionaux étrangers aux vallées.
Un coup d’œil sur une carte du relief permet de visualiser le contraste. Mauléon-Barousse ou Vielle-Aure, villes de la zone sud, sont profondément ancrées dans les teintes hypsométriques brunes figurant le relief pyrénéen, avec des altitudes dépassant 1000 mètres pour l’une et 2000 mètres pour l’autre. Castelnau-Magnoac baigne, elle, dans la pâleur du plateau de Lannemezan à 250 mètres d’altitude.
Cette excentricité, liant en apparence des pays très dissemblables, ne doit rien à un rapprochement administratif moderne (comme Rivière-Verdun). La formation des Quatre-vallées date en effet du Xe siècle et une communauté encore plus ancienne, liée à l’accès aux plateaux de transhumance pour les activités pastorales des hauteurs, est probable. La capitale des Comte d’Aure est d’abord dans les hautes vallées, à Monléon puis les Labarthe fondent Castelnau au XIIe siècle autour d’un château qui matérialise leur domination sur la plaine.
Assemblées communes et solidarités vécues
Les Quatre-vallées forment alors un de ces pays vécus identifiés par l’historienne Anne Zink dans le sud-ouest de la France, fondés sur la défense d’un intérêt commun, par opposition aux multiples « pays officiels » comme les évêchés où les vallées et Magnoac sont séparés ; une situation comparable en Béarn où les Ossalois dans le diocèse d'Oloron, tenaient la plaine de Pau dans le diocèse de Lescar.
Le pays possède des libertés attestées dès 1300 par une coutume écrite et confirmée par Louis XI quand il rattache le pays à la France en 1475. Elle prescrit notamment une exemption de logement des troupes et de milice justifiée par la défense des cols en montagne que les vallées parviennent à obtenir aussi pour le Magnoac. Cette réciprocité n’est pas partout de mise et tourne parfois à l’affrontement, par exemple entre le Lavedan et la plaine de Tarbes en 1655.
La coutume consacre aussi le droit de tenir des assemblées : elles ne comprennent, à époque moderne, ni nobles ni ecclésiastiques mais seulement le sénéchal, les syndics et les délégués des vallées.
Le 4 février 1790 l’Assemblée nationale met fin à l’existence politique des Quatre-vallées en unissant le pays au Bigorre dans le département des Hautes-Pyrénées. L’évolution, néanmoins, peine à faire l’unanimité face aux divisons séculaires. Ainsi, près d’un siècle plus tard, en 1874, dans un ouvrage empreint de nostalgie, l’auteur, Bertrand Barifouse, conteste encore la fusion, « acte inique ». Le Tour de France, après 200 ans, lui rend raison, pour une journée, en réinstallant la capitale des Hautes-Pyrénées (et du monde) en Magnoac.
En savoir plus
- La Barousse : le pays, son histoire, ses mœurs, J. L. Pène, l'Adret (Saint-Gaudens), 1948
- Les Quatre Vallées, Armand Sarramon, Albi, 1954
- Pays ou circonscriptions: Les collectivités territoriales de la France du Sud-Ouest sous l’Ancien Régime, Anne Zink, Paris: Éditions de la Sorbonne, 2000
- Entre pastoralisme, commerce et défense mutuelle : les lies et passeries des Pyrénées et la genèse de la frontière (XIVe-XVIIe siècle), In: Les ressources des faibles: Neutralités, sauvegardes, accommodements en temps de guerre (XVIe-XVIIIe siècle), Serge Brunet
Pour aller plus loin
- le Tour de France 2022 sur Gallica : tous les billets
- Dans les sélections de Gallica « La France en cartes » : cartes de la région Occitanie
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