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Le fakir dans les romans populaires

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22 juin 2022

Ce second billet met à l’honneur les fakirs de papier, abondants dans les romans populaires de la première moitié du XXe siècle. Cette masse littéraire enrichit le portrait stéréotypé du fakir, qui se veut ascète torturé, hirsute antagoniste, violent étrangleur ou exotique étranger.

L’Intrépide, n° 742, 9 novembre 1924

Le savant suédois Synthèse, imaginé par Louis Boussenard dans Les Secrets de Monsieur Synthèse (1888-1889), est un exemple incontournable de l’appropriation des savoirs fakiriques. Celui-ci utilise les fakirs comme modèles dans le but de parfaire ses connaissances scientifiques, mais surtout afin de rationaliser leurs prodiges.

Affiche de lancement pour Louis Boussenard, Les Secrets de Monsieur Synthèse dans La Science illustrée, 1888

Ainsi, s’il pratique comme eux l’alimentation réduite, il s’inspire des expériences de jeûne thérapeutique du docteur Henry Samuel Tanner et utilise, pour se passer de nourriture, des pilules ultra-concentrées.

Louis Boussenard, Les Secrets de Monsieur Synthèse, La Science illustrée, 1888, p. 284

De même, pour n’avoir jamais à dormir il s’autosuggestionne, mais choisit de ne pas utiliser son nombril ou bout du nez comme points de fixation, mais plutôt un objet brillant, comme préconise de le faire l’hypnotiseur écossais James Braid.

Louis Boussenard, Les Secrets de Monsieur Synthèse, La Science illustrée, 1888, p. 300

Un autre savant de cette époque, Népomucène Grillard, protagoniste de L’Homme en nickel (1897) de Pierre Ferréol, entre en hibernation et, pour arriver à ses fins, s’installe dans une cuve de galvanoplastie. Là, il se plonge en catalepsie, tandis que son corps est recouvert d’une couche de nickel. Bien que ce récit reproduise le prodige bien connu de l’anabiose, c’est-à-dire la suspension des facultés vitales propres aux fakirs, le savant mêle surtout l’hypnose fakirique à l’électrochimie occidentale.

Pierre Ferréol (signé Georges Béthuys, pseudo. de Georges-Frédéric Espitallier), L’Homme en nickel, La Science Française, 1897, p. 44

Mieux, il modernise la catalepsie par une référence cachée aux procédés de marborisation du docteur Mariani ou de métallisation du docteur Variot qui consistent à déposer une couche de nickel sur un corps mort (ici, bien vivant !). Ce prodige n’aura de cesse de fasciner les lecteurs, comme en témoigne le courrier abondant reçu par Lectures pour tous après la publication du Sommeil sous les blés de Joseph Jacquin et Aristide Fabre (1927).

Armand Rio, "Nos grandes enquêtes. Le fakirisme et la vie ralentie", Lectures pour tous, juin 1927, p. 75

Si les savants précités sont rompus aux prodiges fakiriques, qu’ils reproduisent et améliorent par des moyens scientifiques, d’autres rêvent d’être mis dans la confidence. C’est le cas de Josuah-Thomas-Alva Tockson, avatar de Thomas Edison, protagoniste du Fakir (1899-1900) de Nicol Meyra. Il considère le fakir Çoukryana, qui dort dans un cercueil en laque qui trône dans son laboratoire, comme un scientifique plus talentueux que lui. Si Tockson se consacre à la "nécrobiologie", il espère que lui seront dévoilés les secrets de l’anabiose, qui devraient lui permettre de maîtriser la vie et la mort.

Nicol Meyra, Le Fakir, Paris, Librairie Hachette, 1901, p. 75

Quand le fakir n’est ni un modèle ni un homologue, il peut devenir un rival. Plusieurs récits imaginent que des fakirs et savants s’associent pour accomplir leurs forfaits, mettant en tension leurs connaissances respectives. Dans Ville hantée (1911-1912) du journaliste Léon Groc par exemple, le reporter Henri Henry découvre que les crises d’apoplexie des habitants de Bénédac résultent de la ponction de leur fluide vital, destiné à alimenter une curieuse machine qui anime à distance un être composé de morceaux de cadavres, Stilla (clin d’œil à Jules Verne). Derrière sa conception se trouvent deux savants : Srigar, petit-fils de Cagliostro, et Calvignac, "sorcier scientifique". Le lecteur découvrira que c’est la connaissance en transport de force sans fil, et non les puissances psychiques de l’hindou, qui ont permis le prodige de l’animation.

Les Treize, "La Boite aux Lettres", L’Intransigeant, n° 12043, 5 juillet 1913, p. 2

D’autres récits mettent en scène de maléfiques initiés, qui détournent les enseignements fakiriques à leur compte. Ainsi, dans L’Ombre du tribun (1925) de Léon Groc, tout comme dans La Vivante Epingle (1920) de Jean Joseph-Renaud, un antagoniste utilise ses dons de suggestion pour faire voir à de crédules Occidentaux des hallucination effrayantes, revenants ou Dieu-crocodile.

Jean Joseph-Renaud, La Vivante épingle, Je sais tout, n° 180, 15 décembre 1920, p. 1584

D’autres héros heureusement, comme le détective de l’occulte Sâr Dubnotal (1909-1910) utilisent leur savoir pour faire le jour sur des phénomènes spirites ou combattre le Mal.
À ce titre, plusieurs récits témoignent d’un mariage réussi entre fakirisme et sciences occidentales. Le Prisonnier de la planète Mars (1908) de Gustave Le Rouge, tout comme Aventures merveilleuses de Serge Myrandhal (1908) d’Henri Gayar, imaginent qu’un zélé ingénieur entend utiliser l’énergie psychique de fakirs pour faire léviter un bolide jusque sur Mars, plutôt que de recourir à une matière imaginative comme la cavorite de H. G. Wells ou l’héliose de Jean de La Hire.

Gustave Le Rouge, Le Prisonnier de la planète Mars, Paris, "Le Romans d’Aventures", Albert Méricant, 1908, p. 35

Cette fois, c’est la sortie de corps des fakirs — ivresse astrale explorée par Maurice Champagne ou par Jules Lermina — mêlée au don de lévitation, qui nourrit le motif, tout autant que la croyance de Camille Flammarion en la métempsycose, c’est-à-dire la réincarnation de planète en planète après la mort.

Burret, "Hôtes de châteaux", Le Rire, n° 191, 29 septembre 1906, p. 8

De fait, et sans épuiser les exemples, le fakir prend de l’ampleur dans la littérature de la première moitié du XXe siècle. Sa figure plastique permet de nourrir un dialogue fécond autour des limitations de la science occidentale, et de la possibilité d’un syncrétisme entre ces deux savoirs. Il faudra explorer les albums jeunesse, comme Félix et le fakir (1938) ou les récits sous images pour découvrir un versant plus comique où le fakir devient magicien de pacotilles.

L’Intrépide, n° 116, 4 août 1912

Commentaires

Soumis par Gislaine Cloutier le 11/07/2022

Félicitations! Très beau et intéressant blog sur les fakirs!
C'est comme Noël en juillet pour moi!
Ça fait changement des "romans à l'eau de rose" et des "livres de recettes !

Encore Merci et Bons Baisers "masqués" du Québec !

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