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Tunnel sous la Manche : origines et projets jusqu’au XIXe siècle

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22 mai 2024

À l’occasion du 30e anniversaire de l’ouverture du tunnel sous la Manche, partons à la découverte de ses premiers projets, concurrencés par d’autres voies de communication, jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Projet de tunnel de A. Mathieu-Favier, en 1802, Annales des mines, 01/05/1988

En 1751, Nicolas Desmarets, ingénieur et géologue français, forme un premier projet de pont ou de tunnel traversant la Manche pour relier les deux pays. Il remporte le prix du concours de l’académie d’Amiens afin d’améliorer la traversée de cette mer.

Il faut attendre un demi-siècle pour qu’apparaisse un nouveau projet, celui d’un tunnel foré proposé à Napoléon Ier en 1802, par Albert Mathieu-Favier, projet approuvé entre la France et l’Angleterre après la paix d’Amiens. Mais les hostilités entre les deux pays reprennent rapidement et y mettent un terme définitif.  

Entre 1831 et 1867, on trouve trace de plusieurs projets, notamment, entre 1831 et 1837,  ceux du Docteur Payerne, de MM. Franchot et Tessié, de M. Favre ou encore de M. Meyer. Mais nous nous attacherons plus particulièrement au français Aimé Thomé de Gamond, qui joue un rôle central dans ces projets. En 1833, ce dernier, officier du génie militaire, ingénieur des mines et ingénieur hydrographe, fait des relevés géologiques du sous-sol du détroit du Pas-de-Calais, en plongeant au fond de la Manche afin d’établir la première carte du relief sous-marin à cet endroit.

Thomé de Gamond
La Nature : revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie : journal hebdomadaire illustré / rédacteur en chef Gaston Tissandier, 18/03/1876

De 1834 à 1844, Thomé de Gamond parfait ses études des sols sous-marins et émet plusieurs projets : pont, tube cimenté au fond de la Manche, ainsi que deux jetées flottantes de 8 kilomètres de long accrochées aux plages de chaque côté et laissant un passage navigable au milieu ; il propose même la reconstitution de l’isthme de Douvres par l’édification d’un terre-plein, enrochement de 100 mètres de large avec une base de 300 mètres, qui relierait les deux pays avec trois larges passes navigables, avant de revenir au projet plus réaliste du tunnel.

A partir de 1853, un rapprochement a lieu entre la France et l’Angleterre, suite à leur alliance dans la guerre de Crimée (1853-1855). En 1855, l’Empereur Napoléon III est invité au Royaume-Uni par la Reine Victoria, qui se rend en retour à l’Exposition universelle de Paris. Cette dernière tient ces propos élogieux au sujet de Thomé de Gamond :

Vous pouvez dire à l’ingénieur français que, s’il parvient à faire cela, je lui donne ma bénédiction en mon nom personnel et au nom de toutes les ladies de l’Angleterre »

Bulletin de la Chambre de commerce de Paris, 14/05/0904

En 1856, Thomé de Gamond diffuse un diagramme géologique du relief et des côtes aux deux extrémités du futur tunnel qu’il souhaite construire.

Diagramme géologique
Carte d'étude pour servir à l'avant projet d'un tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre... / par M. A. Thomé de Gamond, 1857

En 1857, dans le contexte cordial entre les deux nations, Aimé Thomé de Gamond dévoile son projet de tunnel sous la Manche. Il doit relier la pointe Eastware au sud de Douvres et le Cap Grinez au sud de Calais (cf ci-dessous). Il reçoit l’approbation des deux souverains en 1867 et un comité franco-britannique pour l’étude du tunnel sous-marin est créé en 1868.

Carte d'étude pour servir à l'avant projet d'un tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre... / par M. A. Thomé de Gamond, 1857

Les travaux de faisabilité de Thomé de Gamond sont confirmés par M. Hawkshaw, l’ingénieur chargé de l’étude côté anglais. Il est décidé de créer une compagnie financière conjointe. Mais, en raison des législations différentes entre les deux pays, deux compagnies provisoires de recherches sont finalement créés séparément. En 1872, « The Channel Tunnel Company » est créée à Londres, société concessionnaire qui va réaliser les premiers travaux de forage afin de décider si elle réalisera le tunnel. De son côté, en France, « l’Association du tunnel sous-marin » est créée en 1875 et se voit attribuer par l’Assemblée nationale une concession de ligne de chemin de fer, pour 99 ans. Cette même année, un accord semble conclu avec l’Angleterre et la construction devient effective. Notons que dans les années 1870, un autre projet de pont est proposé par M. Vérard de Saint-Anne, dont on trouve trace du détail et de ses avantages par rapport au tunnel, mais qui restera sans suite.

En janvier 1876, M. Hébert, géologue français, émet un avertissement sur la présence de poches d’eau dans la craie sous la Manche pouvant rendre plus difficile le percement du tunnel.  Le projet est toujours en discussion à la Chambre des communes anglaises. Rien n’est encore définitif. En mai 1880, le Parlement anglais vote contre le percement du tunnel, de nombreux députés craignant une invasion par cette nouvelle voie de communication avec le continent.

La machine de Beaumont 1882  
La Petite lucarne : le chemin des écoliers télé CNDP école élémentaire. 19/04/1889

Cependant le projet n’est pas définitivement abandonné, même autorisé et commencé dans les années suivantes. En 1881, le premier tunnelier français, la machine du colonel De Beaumont, participe aux premiers travaux de reconnaissance en vue de la construction du tunnel. Deux kilomètres d’amorces sont alors percés, à Shakspeare-Cliff, entre Douvres et Folkestone, côté anglais, et à Sangatte, près de Calais, côté français. Mais en Angleterre, les travaux sont interrompus début 1882, puis de nouveau interdits en 1883. A ce sujet, en 1916, A. Moutier nous fait part de l’influence d’un article du Times et de la peur instillée par un pamphlet qui avait circulé en 1882 en Angleterre : 

Douvres envahi, une belle nuit, à l’arrivée d’un train de plaisir par une bande de touristes [...], allant tranquillement se coucher dans des hôtels retenus à l’avance, puis la nuit […] se coulant furtivement vers le port, où ils s’emparaient d’un approvisionnement de fusils apportés par deux vapeurs. […] Douvres pris, la garnison égorgée, le tunnel pendant ce temps vomissant sans relâche des hommes de toutes armes, Londres envahie, l’Angleterre conquise.»

Tunnel sous-marin entre la France et l'Angleterre / par M. A. Moutier, 1916

En juin 1888, une  nouvelle lecture du « bill relatif aux travaux d’étude pour la construction du tunnel sous la Manche» » est faite en Angleterre à la Chambre des communes, sur la demande de Sir E. Watkin. C’est un nouveau refus, malgré la défense du projet par Lord Gladstone qui avait reçu quelques jours auparavant les espoirs de M. Léon Say, président français de la compagnie du chemin de fer sous-marin entre la France et l’Angleterre.

Le pont sur la Manche : exposé complet de la question, avec documents, cartes et planches, 1892

Aux alentours des années 1885, un nouveau projet de pont entre les deux rives avait été mis à l’étude. En 1889, le projet plus aboutit de ce pont en acier sur la Manche est à l’ordre du jour pour remplacer celui du tunnel, mais son financement est évalué à environ 860 millions de francs et met surtout en avant l’avantage du tunnel qui coûterait à peine le sixième de cette somme.  En 1891, l’Entente Cordiale amène de nouveaux projets : pont, pont-tunnel, tunnel précédé d’un viaduc de chaque côté, tout projet pouvant être détruit en cas de nouveau conflit entre les deux nations. Ils ne verront jamais le jour. C’est partie remise au XXe siècle.

Profil géologique simplifié le long du tunnel ferroviaire sud
Annales des ponts et chaussées : mémoires et documents relatifs à l'art des constructions et au service de l'ingénieur, 01/04/1989

Après un nouvel abandon d’un projet constitué au milieu des années 1970, il faut attendre 1981 pour voir l’éventualité du tunnel se redessiner entre les deux pays, 1986 pour la signature d’un traité franco-britannique , 1987 pour que le projet soit définitivement ratifié et le tunnel commencé de construire.

La Petite lucarne : le chemin des écoliers télé CNDP école élémentaire, 19/04/1989

Le 6 mai 1994, le tunnel sous la Manche est inauguré. De nos jours il est emprunté par environ 10 millions de voyageurs par an.

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